« — Il serait temps que je meure, sinon je vais vous fatiguer.
— C’est toi qui te fatigues : tu ne t’ennuies pas, toute la journée à ne rien faire ?
— Je ne m’ennuie jamais. Quand je n’aurai plus rien à faire, je deviendrai enfin bonne. »
Une nuit, la narratrice rêve que sa mère, handicapée et malvoyante, parcourt à pied dans l’obscurité les cent kilomètres qui les séparent. Ce rêve inaugure un temps durant lequel, dans la « grande et brave maison » où la mère voudrait mourir parmi les siens, se renoue un lien ambivalent mais tenace. Cinq ans plus tard, la presque centenaire assumera avec courage la nécessité de son placement dans un établissement de soins. Cet exil se doublera du confinement imposé par la pandémie, la voix de la mère au téléphone constituant l’unique vecteur de sa révolte. La mort l’emportera sans qu’elle ait pu revoir ses enfants. Mais ce qu’elle a voulu faire de sa fin offrira une lumineuse consolation au désarroi familial.
En mars dernier, Caroline Lamarche publie chez Gallimard La fin des abeilles, le résumé d’une vie : celle de sa mère. Une femme austère, mais attentionnée, abandonnée par le destin puis retrouvée par sa fille. Un coup de cœur richement bavard, qu’un article aussi bref ne pourra traiter entièrement.
Le nouveau récit de Caroline Lamarche se referme avec des ruisseaux sur les joues, au milieu des premières abeilles du printemps – osmia bicornis, de petites abeilles rousses et solitaires, disparues des zones d’agriculture intensive mais toujours présentes en zones urbaines. Attirées sans doute par les filets de lumière qui serpentent entre les phrases, par les mots solaires pour dire la nuit, elles contreviennent à leur solitude pour se réunir sous la voûte de papier. Là où Dans la maison un grand cerf (Gallimard, 2017) touchait à la première grande disparition, celle du père, La fin des abeilles se penche sur la figure de la mère, sa très longue vie et sa fin considérablement étirée.J’écris…
Anne GUINOT , Un si profond silence , Âme de la Colline, 2021, 178 p., 15 €, ISBN : 978-2-9602025-2-6…
Milou quitte la Belgique pendant l’été 1970 avec ses trois enfants pour s’assurer que son mari ne les emmènera pas aux USA avec lui, suite à leur séparation. D’un tempérament impulsif et fougueux, elle choisit l’Afrique pour se perdre , atterrit à Kinshasa dans le jeune Zaïre de Mobutu et se rend pour enseigner deux ans à Luluabourg (aujourd’hui Kananga), puis un an à Bukavu. À la porte de l’avion, une gifle d’air brûlant. Coup de javelot dans les rétines. Je vois le jour, enfin. Cette lumière… mais quelles montagnes avons-nous gravies pour être à ce point proches du soleil ? Liz, la narratrice, découvre tout au présent et ses périls : elle a à peine 6 ans à l’atterrissage et en aura 9 ans à son retour en Belgique. Elle sait dès ce moment qu’elle rédigera un jour son immense aventure. Trouver le journal intime de sa mère des décennies plus tard lance la rédaction de ce récit déguisé en roman. Je me sens mal dans cette école. J’ai peut-être la peau blanche, mais j’en suis certaine, mon cœur, lui, est devenu noir ! Avec Milou en mère excessive et libre, Alix grande sœur plus responsable, la petite Liz est aussi la cadette de John, un frère dangereux se prenant pour un bandit et aussi l’homme de la maison, du haut de ses douze ans qui en paraissent seize. De plus, la famille s’agrandit du voisinage, des camarades de classes et des débordements du cœur du Congo.Liz, pénétrée du continent, entre peu à peu en osmose avec le pays. Le spectacle de sa vie intérieure, en fusion toujours plus forte avec la terre, la grande nature, le climat et le ciel, dépasse en le sublimant, son entendement de petite fille absolument offerte à l’existence. Je me fiche qu’on me regarde, je suis la petite Blanche qui entre en transe parce qu’elle brûle de vie et qu’il faut que ça sorte. Je ne vois plus personne, je suis ailleurs. Une dimension parallèle où seule la musique parle, cogne, tape sur les tambours et impose ses lois. Elle m’a prise dans ses longs bras d’ébène et sculpte mon corps à sa guise. Des chanteurs scandent chacun de mes gestes et subliment ma danse. Des larmes soudain inondent mon cou. Brutalité des contrastes : la petite famille embarquée dans la grande histoire du pays va subir les frasques de l’idéologie mobutiste jusque dans le bureau de tel ministre et l’impasse de la jungle débordante. Nous aurions pu finir découpés à coups de machette. Mes frères zaïrois auraient pu me faire ça, à moi et à ma famille. Ça me pétrifie. J’ai l’œil rivé à ma frêle main blanche sur le bras chocolat du général. Je serai toujours une mzungu . Quels que soient mes sentiments, mes tentatives pour me rapprocher d’eux, je n’ai pas l’honneur d’être née zaïroise. L’Afrique est toute Aventure. Ce roman le raconte à foison et se lit avec plaisir, curiosité, envie, inquiétude aussi. Une fois dépassée la mise en place fragile d’une petite fille de moins de dix ans en narratrice comprenant et s’exprimant comme une adulte, Fabienne Zutterman sait emporter le lecteur dans son histoire vraie en…