Jacques Duvall : Et finalement le bonheur ? (L'Article n°43)

RÉSUMÉ

Jacques et moi, on a des morts en commun : Gilles Verlant, Michel Clair, Marc Morgan… Je m’arrête là, ça casse l’ambiance.

Jacques et moi, on a des amis en commun : Isabelle Wéry, Guy Clerbois, Marka… Je m’arrête là, la liste est longue, je vais en oublier.

Jacques et moi, on a des chanteurs en commun : Lio, Chamfort… Je m’arrête là, il écrit pour ceux que j’écoute.

Jacques et moi, on a un prénom en commun : Eric… Je m’arrête là, lisez cet article épatant de Michel Zumkir.


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Le panache de l’escargot. Philosophie vagabonde sur l’humeur du monde

Dans ce troisième recueil de chroniques qui recense des textes courts philosophiques chapeautés par des titres parfois surprenants, Pascale Seys nous emmène dans ses réflexions sur des thèmes classiques tels la vieillesse, le bonheur ou la gentillesse, mais aussi des thèmes plus inattendus comme les distributeurs de savon automatiques. En recourant souvent à l’étymologie des mots et en faisant régulièrement référence à des philosophes de toutes les époques, l’autrice nous offre des textes tantôt doux et drôles, tantôt profonds et inspirants, et nous pousse à repenser le monde d’une façon nouvelle. Sans jamais y porter aucun jugement, elle aborde avec un regard authentique et juste les parts obscures de l’homme et du monde, tentant de les appréhender, de les comprendre, loin des certitudes et des réponses toutes faites. Deux mouvements contraires, le désir de faire société d’une part et la monotonie de leur vie intérieure d’autre part, poussent les hommes à se tourner les uns vers les autres. Mais les défauts de chacun, qui inévitablement apparaissent, les dispersent aussitôt : tel est le paradoxe de la vie en commun. Excessivement proche en mode fusion ou trop éloigné d’autrui en mode fission, les risques sont, en réalité, exactement les mêmes pour les hérissons que nous sommes : ceux de la solitude, de la déception conjugale, amicale ou sociale mais avec toujours, au milieu du gué, un corps qui tremble de froid ou qui, s’il se réchauffe, finit par suffoquer.  Dans Le panache de l’escargot , Pascale Seys a pris le parti de rédiger ses textes selon un trajet non rectiligne : elle sautille d’une anecdote à l’autre, d’une référence à l’autre, sans perdre le fil de sa pensée, emmenant son lecteur de découverte en découverte, à travers sa propre quête. Car au fond, il n’est question que de cela : tenter d’appréhender la part secrète et mystérieuse de la vie, l’envisager comme une aventure vaste et joyeuse, afin de cheminer vers une meilleure connaissance de soi, pour être plus libre.À l’heure où nous sommes toujours confinés et où nous souffrons de ne plus pouvoir voyager à notre guise, Pascale Seys nous invite à faire un des voyages les plus magnifiques : partir en quête de soi. Cette quête est certes «  difficile, périlleuse, pleine d’écueils, indocile  », mais ne serait-il pas intéressant d’envisager cette maison confinée où certains d’entre nous étouffent, comme un lieu d’exploration joyeuse, où l’on échappe à «  l’ivresse de la vitesse  » et la dictature de la rentabilité, pour trouver chacun à son rythme le beau et le bon, là où ils sont invisibles à l’œil nu («  il faut sans doute imaginer qu’il appartient à notre regard de faire en sorte que le monde, pourtant si laid à certains égards, puisse apparaître soudainement outrageusement beau et digne d’admiration  »).Quelle belle invitation ! Envisager le panache de l’escargot que nous sommes… Séverine Radoux Un regard philosophique intelligent, décomplexé et décomplexant sur notre vie quotidienne « Regarder loin, humer de près, sentir en profondeur et explorer une dimension supérieure » : c’est ce voyage-là, exactement, que cette diablesse de la philosophie nous fait faire, nous menant à nous et aux autres sous couvert de papillons, de homards, de scorpions et de grenouilles, étrangement et délicieusement accouplés à Dostoïevski, Platon, Socrate ou Thoreau, savoureusement pimentés par Tarantino, Brian De Palma, David Hockney ou Louise Bourgeois, le tout savamment enrobé…

Une autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre)

Après le remarqué Comment tout peut s’effondrer sorti en 2015, les ingénieurs agronomes Pablo Servigne, Gauthier Chapelle et l’écoconseiller Raphaël Stevens,  « chercheurs in-Terre indépendants »,  poursuivent leurs réflexions dans un essai qui prolonge la « collapsologie » (dont ils sont les pionniers) en une collapsosophie. L’axiome des collapsonautes se définit comme «  apprendre à vivre avec  », avec la catastrophe en cours, avec la débâcle environnementale, avec l’effondrement de la société actuelle. De ce diagnostic condensé dans le vocable de collapsologie découle la mise en œuvre d’une éthique, d’une collapsosophie. S’appuyant sur un tableau clinique précis, incontestable (l’humanité menacée d’extinction dans le sillage de l’hécatombe de la biodiversité), les auteurs proposent des pistes fécondes qui réconcilient «  méditants  » et «  militants  », qui explorent l’idée de ré-ensauvagement, de nouvelles manières de coexister avec les non-humains, d’habiter la Terre. Lire aussi : un extrait d’ Une autre fin du monde est possible Croire que les choses peuvent encore être modifiées, redressées globalement relève à leurs yeux d’une illusion. Le futur n’existe que barré par l’impossible. Face à cet impossible, l’appel est lancé : creuser des niches, des îlots au cœur de l’apocalypse, inventer à la fois un chemin, un salut intérieur et des actions collectives dotées d’un impact sur l’extérieur. On a parfois l’impression que, pour les auteurs, les jeux sont faits. Il ne resterait qu’à assister au déferlement du pire en assortissant la course à l’abîme d’une morale stoïcienne. Un stoïcisme prônant, dans le fil du stoïcisme antique et de Descartes, de changer soi-même, son rapport au monde plutôt que l’état des choses. Or, les jeux ne sont jamais faits même lorsqu’ils semblent l’être. L’accent porté sur le «  l’activisme de l’âme  » minore par endroits la recherche d’une collapsosophie vue comme un prérequis à la politique, à une tentative d’infléchir la marche des choses. Dans cet «  apprendre à vivre avec l’effondrement  », on peut lire une sagesse mais aussi l’acceptation d’une défaite. Le présupposé discutable du (sur-)vivalisme, de la collapsologie est celui de l’inéluctable : l’effondrement, la pulsion de mort, l’autodestruction est un fait entériné sur lequel nous n’avons plus prise. Tout se réduit alors à un sauvetage moral, à une prise de conscience, à une résilience qui s’accompagne, certes, d’activités locales de résistance, ZAD, laboratoires de créativité, activisme. La phrase de Valéry, «  Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles  » engage le choix d’un «  Changement de Cap  » (Joanna Macy), à savoir l’alliance entre activisme, proposition d’alternatives concrètes et changement intérieur. «  Au service du vivant  », les auteurs en appellent à des mobilisations collectives créant les rapports de force nécessaires afin de rompre avec le néolibéralisme. Le principe de responsabilité à l’égard des générations futures formulé par Hans Jonas implique de léguer un monde viable, digne d’être vécu, tissant de nouveaux «  liens réels avec le sauvage retrouvé  », dans une harmonie entre les formes du vivant.Louons les auteurs de parier pour la mise en œuvre des passions joyeuses de Spinoza, pour une résistance au camp de ceux qui détruisent la Terre, ses écosystèmes, ses collectifs humains et non-humains. À l’heure où le deuil de l’idée de révolution affaiblit en un sens la logique de la résistance, Une autre fin du monde est possible oppose salutairement un contre-feu au nihilisme, et ce, en dépit de l’oscillation relevée. La possibilité de prendre les armes, de lutter contre ceux qui mènent le monde à la ruine se dessine.  «  Le contrat politique avec les autres qu’humains n’est pas à réinventer, il est d’abord à découvrir chez eux ! À quoi pourrait ressembler un immense parlement interspécifique ? (…) Les animaux, les arbres, les champignons et les microbes  ne sont pas des êtres passifs, ce sont de redoutables politiciens. Ce sont même des paysagistes, et même des activistes, car ils transforment la terre depuis des millions d’années, contribuant ainsi à former et à maintenir la zone critique , ce minuscule espace de vie commun sur lequel nous vivons, et dans lequel nous puisons sans relâche. Autrement, ils nous donnent (…) Cette…

Jean Ray / Thomas Owen. Correspondances littéraires

Commençons par la préface qui cadre bien les enjeux du livre. Arnaud Huftier y fait remarquer l’importance du « principe associatif » dont use la critique : un nouvel auteur est comparé à un auteur bien connu. Comparaison nécessairement réductrice car elle néglige des qualités de l’écrivain mais aussi d’autres aspects du champ littéraire. Mais, à terme, elle permet cependant  à ce nouvel auteur de jouer de cette référence, de se positionner et de se construire une personnalité littéraire propre, en accentuant ce qui le différencie de l’auteur à qui il est comparé : il peut devenir « autonome ». Avant éventuellement – mais après combien de temps ? – de devenir lui-même une référence. C’est ainsi que l’on a qualifié Jean Ray d’« Edgar Poe belge » ou de « Lovecraft flamand », avant qu’il ne devienne lui-même la référence pour Thomas Owen. A. Huftier propose encore une autre réflexion intéressante : cette démarche associative postule une « communauté d’esprit » qui délimite un « genre », mais sans qu’il faille théoriser ce genre. Aux yeux des lecteurs, un texte sera fantastique ou belge parce que la critique aura établi des associations qui justifient de le placer dans le même « rayon ». Ce qui ne va pas sans clichés et lieux communs, non argumentés ou non prouvés.Dans ce cadre ainsi résumé, le livre de Jean-Louis Étienne présente les rapports entre Jean Ray et Thomas Owen et leur évolution dans le temps au fur et à mesure que leur statut respectif change, dans le contexte du développement de la notion, justifiée ou non, d’école belge de l’étrange.Thomas Owen a, très jeune, admiré l’œuvre de Jean Ray, de 33 ans son aîné. Au début de sa carrière, il va ouvertement revendiquer une filiation par rapport à celui-ci, qui sera petit à petit retravaillée, jusqu’à être finalement niée. Au début, il va faire de nombreuses mentions des textes de Ray, en répétant cependant trois leitmotivs : il n’est pas un disciple de son aîné ; il n’a pas été influencé par ses thèmes ou son style ; Jean Ray a été «  un révélateur, toujours encourageant, pittoresque  ». En 1987, Owen résume ce qui, à ses yeux, le différencie de son prédécesseur en fantastique : «  Chez Jean Ray, le monstre enfonce la porte. Chez moi, il souffle un peu de fumée à travers la serrure.  »De son côté, Ray va, après la Seconde Guerre, s’approprier Thomas Owen, confortant ainsi son statut de « maître » et singulièrement de maître de la dite école belge de l’étrange. Au vu des extraits de leur correspondance repris dans l’ouvrage, les relations entre les deux hommes semblent être vraiment cordiales et même amicales. À la mort de son mentor en 1964, Owen va cependant, plus librement, se distancier de celui-ci et s’autonomiser. Les notices accompagnant ses publications, qu’il rédige ou relit alors, ne font progressivement plus mention de son « maître ès fantastique ».Sur un point, Owen ne s’est pourtant jamais repris : la « légende » de Jean Ray. Il avait été un des principaux propagateurs des faits à la fois sombres et héroïques attribués au Gantois (trafic d’alcool, marin expérimenté, ascendance sioux, etc.), allant même jusqu’à décrire dans une de ses nouvelles une visite au cimetière de Bernkastel en compagnie de Ray – où celui-ci ne s’est jamais rendu – et continuant à l’affirmer véridique. Étrangement, dans l’entretien de 1987, il regrette même la disparition de la légende au profit de la vérité historique. : «  Henri Vernes s’efforce de maintenir la légende, comme Van Herp, comme moi-même. Nous menons un combat qui devient de plus en plus difficile. Pourquoi ce combat ? C’est tellement plus beau… Je l’aimais bien, je l’aimais pirate, et lui aimait d’être aimé pirate.  »L’étude, foisonnante, s’appuie sur de nombreux documents illustrant le propos. Joseph DUHAMEL…