Marguerite Yourcenar, le sacre du siècle

RÉSUMÉ

Introduction de Jacques De DeckerÀ propos du livre (texte de l’Introduction)

Deux mille trois : Yourcenar atteignait le siècle. Elle aurait été, comme il est d’usage de le supposer, centenaire. D’aucuns se gaussent de cette manie, de plus en plus répandue, de commémorer les anniversaires, les jubilés plutôt, des grandes figures. On peut le comprendre : pourquoi faudrait-il, sous prétexte…

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Comme le suggère le titre explicite de l'ouvrage, les Mémoires d'Hadrien n'ont pas été écrits par un personnage autre que l'empereur ; ils ne sont pas le fruit de l'imagination d'un auteur qui se serait pris de passion pour le successeur de Trajan; cet auteur serait-il même historien, par quel subterfuge ou sous l'effet de quelle nécessité se serait-il vu contraint de choisir la première personne pour parler d'une autre? Une pareille ambiguïté exile le texte à la fois de l'Histoire et de la littérature, elle ne lui consent aucun choix entre l'invention et le fait objectif, entre l'acte de la subjectivité et le constat impersonnel de l'extériorité. Et pourtant, sans ces mémoires qui sont à la fois l'œuvre d'un grand empereur et d'un grand écrivain, Hadrien n'aurait subsisté pour la plupart que sous les espèces d'un nom évocateur d'une époque lointaine et somme toute étrangère à notre propre vie. Or, c'est de mémoires qu'il s'agit, d'un texte qui s'alimente à la confidence, mieux, à l'expérience, à la vie même, un texte dans lequel l'événement n'existe qu'à travers l'épreuve de l'esprit.

Pour Marguerite Yourcenar, l'œuvre est le «portrait d'une voix». «Si j'ai choisi d'écrire ces Mémoires d'Hadrien à la première personne, précise-t-elle, c'est pour me passer le plus possible de tout intermédiaire, fût-ce de moi-même. Hadrien pouvait parler de sa vie plus fermement et plus subtilement que moi.» L'empereur n'est pas dupe des faits bruts, quelle que soit leur distance dans le passé ou leur urgence dans le présent et il s'inquiète d'assister aux mutations que le langage fait subir aux choses. «Les historiens, écrit-il, nous proposent du passé des systèmes trop complets, des séries de causes et d'effets trop exacts et trop clairs pour n'avoir été entièrement vrais; ils réarrangent cette docile matière morte et je sais que même à Plutarque n'échappera pas toujours Alexandre.»

(Extrait du texte de Georges Thinès : Un auteur latin contemporain)
Table des matières

Jacques De Decker : Introduction

Georges Thinès : Un auteur latin contemporain

Rémy Poignault : Hadrien et Marc-Aurèle, le choix de Marguerite Yourcenar et de Jules Romains

Jacques Cels : Le sens et le sensoriel

Bérengère Deprez : Yourcenar, déesse-mère de son univers littéraire

Maurice Delcroix : Marguerite Yourcenar et la non-relation avec Julien Green

Michèle Goslar : Marguerite Yourcenar et Suzanne Lilar, plus qu'une rencontre, une complicité

Alexandre Terneuil : Yourcenar-Cocteau : lectures croisées des mythes


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Jacques Crickillon ou la littérature en instance d’oubli. Suivi de La poésie est une guerre indienne par Jacques Crickillon

Il fallait un poète pour rencontrer l’œuvre de Jacques Crickillon, pour donner lieu à une danse de planètes mue par la question du geste poétique.   Après la très belle étude de Christophe Van Rossom, Éric Brogniet livre en poète une traversée des créations de l’Apache Crickillon, des cycles d’écriture qui, de  La Défendue  à  L’Indien de la Gare du Nord , de  Colonie de la mémoire  à  Ténébrées , du  Tueur birman  à  Sphère, À Kénalon I et II , portent le verbe au bord du gouffre, sur les cimes de la sécession, loin des bonnes mœurs littéraires. Taillés dans le vif-argent d’une langue réinventant ses pouvoirs comme ses impuissances, la poésie, les nouvelles, les romans de Crickillon se tiennent sur la corde du funambule qui vit la parole comme une expérience de la dépossession, comme une initiation à la diffraction du moi et à la contrée du vide. Si la littérature dans ce qu’elle a de sismique, de réfractaire à l’ordre social naît avec Homère, l’aède aveugle, elle semble parachever son cycle de nos jours, la cécité doublée de la surdité se logeant désormais dans le cirque d’une scène littéraire acquise à l’embourgeoisement, aux grelots du divertissement et du conformisme. La question du devenir, de l’incidence du poème dans un monde qui lui tourne le dos et le piétine — question que pose Jacques Crickillon dans « La poésie est une guerre indienne », son texte en postface — porte en elle le souffle des insurgés, lesquels ne sont les apôtres d’aucune vérité. Le poète comme «  inquiéteur  » (Crickillon), comme horloge qui refuse de marquer l’heure est l’artisan d’une expérience existentielle qui côtoie les gouffres et l’inconfort. On mesurera toute la démesure de l’œuvre «  explosante-fixe  » de Crickillon et de l’analyse qu’en produit Brogniet à sa prégnance relativement clandestine comme si l’époque tenait loin d’elle ce qui la subvertit, ce qu’elle ne peut recycler dans la littérature  trendy , minimalisme creux ou verbiage boursouflé de graisse. Un Indien des lettres ensauvage la grammaire, la sémantique, la Terre, les nerfs, le sang, propage la rigueur de l’anarchie dans une poétique du «  contre  », sœur de celle de Michaux (contre l’état de choses et ses séides). Éric Brogniet plonge à mains nues dans les grands cycles formant des «  cosmographies  », des mondes mythologiques vertébrés par l’amour, le questionnement de la mémoire, la fusion du polar et du chamanique, de l’ivresse et de l’extase. Déchiffreur des convulsions intérieures et extérieures, à rebours de l’assassinat programmé de la poésie auquel on assiste, l’auteur de  Vide et Voyageur , de  Talisman  révèle la nécessité, l’urgence d’un verbe poétique transfigurateur. La ténacité du paria, de l’«  horrible travailleur  » (Rimbaud) enraiera l’extermination des poètes, des Indiens du «  Cinquième Monde  ». Au cœur de sa geste poétique, de son œuvre-spirale comme l’énonce Éric Brogniet, un feu central, le feu de l’amante, de la muse qui a impulsé la poésie de l’amour dont Crickillon est l’un des grands chantres, Ferry C., auteure de nombreux collages qui accompagnent les recueils  Région interdite, Nuit la Neige. Poète, muletier sans provende, qu’on chasse d’une cabane à l’autre, et qui s’en va dormir dans les chapelles abandonnées. Poète : fantôme du muletier sur sa montagne fantôme Élégies d’Evolène.    Véronique Bergen Jacques Crickillon, né à Bruxelles en 1940, nous a donné, depuis  La Défendue,  son premier livre publié en 1968 par André De Rache, jusqu’à Litanies, publié par Le Taillis Pré en 2016, un matériau poétique singulier et brûlant. Et pour tout dire fascinant. Il faut mettre en perspective cette musique lancinante, tour à tour tendre ou violente, qui court tout au long des pages de cette œuvre et la perspective d’écriture qui tend à son propre effacement. Basé sur une respiration interne, qui lui permet, sous la dictée des puissances obscures du lyrisme, d’épouser toutes les formes stylistiques imaginables et de puiser à un vaste répertoire à la fois prosodique et métaphorique, le texte poétique explore, avec une constance remarquable, de vastes territoires imaginaires, fantasmés ou réels, des contrées étranges, une flore et un bestiaire singuliers, souvent, mais pas toujours, exotiques. Le style sensuel, fait de rythmes variés, d’un  double registre verbal, poétique et prosaïque, le recours au procédé de la science-fiction, souvent américaine, à celui des sagesses orientales, du polar, des grands romans d’aventure…