Inventer en littérature. Du poème en prose à l’écriture automatique

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Cartographier un genre, établir l’arbre généalogique d’une œuvre, retracer la trajectoire d’un écrivain, autant d’entreprises qui exigent déjà beaucoup de la part de qui s’y lance. Mais cerner un concept littéraire, voilà qui relève presque du tour de force, tant la matière à réflexion est trop fluente pour être véritablement appréhendée dans sa dynamique et saisie dans sa logique intrinsèque.Jean-Pierre Bertrand, professeur de sociologie de la littérature à l’Université de Liège, avait déjà signé, dans des ouvrages collaboratifs, de précieuses contributions à la compréhension de ses auteurs de prédilection (au premier rang desquels, Gide et Laforgue), des regroupements informels qu’il fréquente volontiers…


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Le fantastique dans l’oeuvre en prose de Marcel Thiry

À propos du livre Il est toujours périlleux d'aborder l'oeuvre d'un grand écrivain en isolant un des aspects de sa personnalité et une des faces de son talent. À force d'examiner l'arbre à la loupe, l'analyste risque de perdre de vue la forêt qui l'entoure et le justifie. Je ne me dissimule nullement que le sujet de cette étude m'expose ainsi à un double danger : étudier l'oeuvre — et encore uniquement l'oeuvre en prose de fiction — d'un homme que la renommée range d'abord parmi les poètes et, dans cette oeuvre, tenter de mettre en lumière l'élément fantastique de préférence à tout autre, peut apparaître comme un propos qui ne rend pas à l'un de nos plus grands écrivains une justice suffisante. À l'issue de cette étude ces craintes se sont quelque peu effacées. La vérité est que, en prose aussi bien qu'en vers, Marcel Thiry ne cesse pas un instant d'être poète, et que le regard posé sur le monde par le romancier et le nouvelliste a la même acuité, les mêmes qualités d'invention que celui de l'auteur des poèmes. C'est presque simultanément que se sont amorcées, vers les années vingt, les voies multiples qu'allait emprunter l'oeuvre littéraire de M. Thiry pendant plus de cinquante années : la voie de la poésie avec, en 1919, Le Coeur et les Sens mais surtout avec Toi qui pâlis au nom de Vancouver en 1924; la voie très diverse de l'écriture en prose avec, en 1922, un roman intitulé Le Goût du Malheur , un récit autobiographique paru en 1919, Soldats belges à l'armée russe , ou encore, en 1921, un court essai politique, Voir Grand. Quelques idées sur l'alliance française . Cet opuscule relève de cette branche très féconde de son activité littéraire que je n'étudierai pas mais qui témoigne que M. Thiry a participé aux événements de son temps aussi bien sur le plan de l'écriture que sur celui de l'action. On verra que j'ai tenté, aussi fréquemment que je l'ai pu, de situer en concordance les vers et la prose qui, à travers toute l'oeuvre, s'interpellent et se répondent. Le dialogue devient parfois à ce point étroit qu'il tend à l'unisson comme dans les Attouchements des sonnets de Shakespeare où commentaires critiques, traductions, transpositions poétiques participent d'une même rêverie qui prend conscience d'elle-même tantôt en prose, tantôt en vers, ou encore comme dans Marchands qui propose une alternance de poèmes et de nouvelles qui, groupés par deux, sont comme le double signifiant d'un même signifié. Il n'est pas rare de trouver ainsi de véritables doublets qui révèlent une source d'inspiration identique. Outre l'exemple de Marchands , on pourrait encore évoquer la nouvelle Simul qui apparaît comme une certaine occurrence de cette vérité générale et abstraite dont le poème de Vie Poésie qui porte le même titre recèle tous les possibles. Citons aussi le roman Voie-Lactée dont le dénouement rappelle un événement réel qui a aussi inspiré à M. Thiry la Prose des cellules He La. Je n'ai donc eu que l'embarras du choix pour placer en épigraphe à chaque chapitre quelques vers qui exprimaient ou confirmaient ce que l'analyse des oeuvres tentait de dégager. Bien sûr, la forme n'est pas indifférente, et même s'il y a concordance entre les thèmes et identité entre les motifs d'inspiration, il n'y a jamais équivalence : le recours à l'écriture en prose est une nécessité que la chose à dire, à la recherche d'un langage propre, impose pour son accession à l'existence. C'est précisément aux «rapports qui peuvent être décelés entre ces deux aspects» de l'activité littéraire de Marcel Thiry que Robert Vivier a consacré son Introduction aux récits en prose d'un poète qui préface l'édition originale des Nouvelles du Grand Possible . Cette étude d'une dizaine de pages constitue sans doute ce que l'on a écrit de plus fin et de plus éclairant sur les caractères spécifiques de l'oeuvre en prose; elle en arrive à formuler la proposition suivante : «Aussi ne doit-on pas s'étonner que, tout en gardant le vers pour l'examen immédiat et comme privé des émotions, il se soit décidé à en confier l'examen différé et public à la prose, avec tous les développements persuasifs et les détours didactiques dont elle offre la possibilité. Et sa narration accueillera dans la clarté de l'aventure signifiante plus d'un thème et d'une obsession dont son lyrisme s'était sourdement nourri.» Car, sans pour autant adopter la position extrême que défend, par exemple, Tzvetan Todorov dans son Introduction à la littérature fantastique, et qui consiste à affirmer que la poésie ne renvoie pas à un monde extérieur à elle-même, n'est pas représentative du monde sensible (et d'en déduire — j'y reviendrai dans la quatrième partie — que poésie et fantastique sont, pour cette raison, incompatibles), on peut cependant accepter comme relativement sûr que la traduction en termes de réalité ne s'opère pas de la même façon lors de la lecture d'un texte en prose ou d'un poème. C'est donc tout naturellement qu'un écrivain recourra à la prose, dont l'effet de réel est plus assuré, dont le caractère de vraisemblance est plus certain, chaque fois qu'il s'agira pour lui, essentiellement, d'interroger la réalité pour en solliciter les failles, d'analyser la condition humaine pour en déceler les contraintes ou en tester les latitudes. Le développement dans la durée permet l'épanouissement d'une idée, la mise à l'épreuve d'une hypothèse que la poésie aurait tendance à suspendre hors du réel et à cristalliser en objet de langage, pour les porter, en quelque sorte, à un degré supérieur d'existence, celui de la non-contingence. Il n'est sans doute pas sans intérêt de rappeler que, dans un discours académique dont l'objet était de définir la fonction du poème, M. Thiry n'a pas craint de reprendre à son compte, avec ce mélange d'audace et d'ironie envers lui-même qui caractérise nombre de ses communications, cette proposition de G. Benn et de T. S. Eliot pour qui la poésie n'a pas à communiquer et qui ne reconnaissent comme fonction du poème que celle d'être. La projection dans une histoire, l'incarnation par des personnages, la mise en situation dans un décor comme l'utilisation de procédés propres à la narration permettent une mise à distance qui favorise l'analyse et la spéculation et qui appelle en même temps une participation du lecteur. Parallèlement, on peut sans doute comprendre pourquoi presque toute l'oeuvre de fiction est de nature fantastique ou, dans les cas moins flagrants, teintée de fantastique. Car la création d'histoires où l'étrange et l'insolite ont leur part est aussi une manière de manifester ce désir de remettre en cause les structures du réel ou tout au moins de les interroger. Pour l'auteur d' Échec au Temps , la tentation de l'impossible est une constante et l'événement fantastique est le dernier refuge de l'espérance. Son oeuvre se nourrit à la fois de révolte et de nostalgie. Révolte contre l'irréversibilité du temps humain dans Échec au Temps , révolte contre le caractère irréparable de la mort qui sépare ceux qui s'aiment dans Nondum Jam Non , dans Distances , révolte contre l'injustice des choix imposés à l'homme dans Simul , révolte contre les tyrannies médiocres du commerce dans Marchands … Nostalgie du temps passé, du temps perdu, du temps d'avant la faute, nostalgie de tous les possibles non réalisés, de la liberté défendue, de la pureté impossible. Nostalgie complémentaire de la révolte et qui traverse toute l'oeuvre de Marcel Thiry comme un leitmotiv douloureux. Comme l'écrit Robert Vivier, «le thème secret et constant de Thiry, c'est évidemment l'amour anxieux du bonheur de vivre ou plus exactement peut-être le désir, perpétuellement menacé par la lucidité, de trouver du bonheur à vivre». Où trouver, où retrouver un bonheur que la vie interdit sinon dans la grande surprise du hasard qui suspendrait les lois du monde? La première maîtresse de ce hasard est justement la…

36 outils conceptuels de Gilles Deleuze. Pour mieux comprendre le monde et agir en lui

Gilles Deleuze ! Qui voudrait encore le lire ? Se perdre puis se retrouver, un peu, puis se reperdre, beaucoup, dans les méandres d’une des pensées les plus vagabondes et les plus libres du siècle dernier ? Qui ?Pas les tenants du statu-quo, les cyniques à-quoi-bonistes ou les sempiternels râleurs et découragés de la vie, en tout cas ! Pas ceux et celles, non plus, qui se contentent des livraisons expresses de la pensée, du prêt-à-penser. C’est que pour lire Deleuze, il ne faut pas avoir peur de perdre pied. De se laisser couler. De remonter les moindres petites flaches, petits cours d’eau. La pensée de Deleuze est un milieu. Un territoire. On n’explore pas un milieu de façon « logique ». On y va au petit bonheur. De façon nomade. Allant de découverte en découverte. Soulevant les cailloux. Goûtant, par curiosité, aux plantes. Au risque, parfois, d’en avoir l’estomac retourné. De n’en tirer rien de bon. Au risque, parfois, de découvrir, au détour d’une page, une phrase, un paragraphe, subitement lumineux. Éclairant tout à coup quelque chose. Un point jusqu’alors obscur de nos vies ou du monde. Quelque chose qui nous échappait.Pensées vitales et vitalistes.Pierre Ansay navigue, quant à lui, dans ces belles eaux philosophiques depuis pas mal de temps. Après avoir commis deux livres sur Spinoza, cet autre « penseur de la vie », un ouvrage nous présentant Gaston Lagaffe en philosophe deleuzien et spinozien qui s’ignore, voici donc qu’il aborde en pédagogue l’œuvre de Deleuze – et, par la bande, celle de son comparse, Félix Guattari.A priori, il pourrait sembler étrange, et tout à fait anti-deleuzien, de présenter cette œuvre en « 36 outils conceptuels ». Pensée éminemment fluide, pensée toujours fuyante, sautant allègrement d’une matière à l’autre, créant des ponts inattendus et réjouissants entre, entre autres, la politique, la psychanalyse, l’anthropologie, la sociologie, la littérature, le cinéma, etc., on pourrait craindre que la réduire ainsi en simples outils pratiques en tuerait tout le sel, toute la singularité. Mais non ! Ô joie ! C’est tout le contraire qui se passe. Le livre de Pierre Ansay est une splendide invitation à lire ou à relire ces œuvres philosophiques majeures que sont Mille plateaux ou L’Anti-Oedipe . Le livre de Pierre Ansay est une magnifique introduction à cette philosophie anarchiste, toujours prompte à débusquer les rapports de force et de pouvoir. À nous donner des balises, des outils de pensée, pour sortir de nos routines, de nos points de vue trop étriqués. Non pas que Deleuze et Guattari nous auraient fait le coup, mille fois éculé, de « ceux qui savent » ou de « ceux qui ont compris », le coup des penseurs « gourouisants » à la petite semaine. Lire Deleuze – et Guattari –, nous rappelle Pierre Ansay, c’est se plonger dans une pensée en action. Une pensée qui, littéralement, se crée, se cherche, devant nous, en se disant, en s’écrivant, n’arrête pas de faire des retours en arrière, ou des projections dans le futur. Lire Deleuze, nous rappelle Pierre Ansay, c’est faire l’expérience d’une pensée vive, toujours en mouvement, ne démontrant rien si ce n’est l’importance qu’il y a à penser. À laisser libre cours à nos intuitions. Nos capacités d’inventions. De fuites ou de résistances aux idées toutes faites. Lire Deleuze, nous rappelle Pierre Ansay, c’est dire un énorme « oui » à la vie, à nos propensions à ne pas nous laisser encadrer. Mettre en boîte. À ne pas prendre pour argent comptant les rôles et les identités qu’on nous assigne. Lire Deleuze, ce serait, en somme, comme apprendre à devenir poreux. À trouver une formidable puissance à nous laisser pénétrer par le monde, par ce qui n’est pas nous. À reconnaître dans ce qui n’est pas nous des frères, des sœurs, des appuis pour nous faire grandir. Augmenter ainsi notre puissance de vie. Persister ainsi dans ce qui est bon pour nous. Pour nos êtres. Fuir ce qui tend à nous réduire. À diminuer notre puissance, notre capacité d’invention.Lire Pierre Ansay, tous les livres de Pierre Ansay, c’est redécouvrir ces philosophes de la vie. Ne plus les juger, a priori, difficiles d’accès. Les rendre, en tout cas, éminemment pratiques. Éminemment urgents de lire et de relire, si l’on veut, de temps à autre, un peu, résister aux sirènes totalitaires, aux embrigadements de toute sorte, ou bien agir, tout simplement, agir, penser autrement l’action dans le monde. Comme l’œuvre de Deleuze, ces 36 outils conceptuels sont à lire dans n’importe quel sens, selon ses envies, ses désirs, ses préoccupations du moment. Pas de hiérarchie entre les concepts. Pas de hiérarchie entre les êtres. Laisser juste l’intuition nous guider : d’abord ceci, puis cela. Ou inversement. Peu importe.Bien sûr, comme l’œuvre de Deleuze, impossible de faire le tour de ces « outils conceptuels » en 4000 ou 5000 signes ! Tout juste peut-on inviter chacun et chacune…

À voix haute. Poésie et lecture publique

Ses lecteurs fidèles savent que Jan Baetens ne s’empare…