Les Midis de la poésie, c'est exactement ce que Karoo a envie de partager avec vous : soit une rencontre bien concrète entre des lecteurs, des poètes, des traducteurs et tous ceux qui vivent et font vivre la poésie. Un rendez-vous auquel nous convie Victoire de Changy.
Lire Midis de la poésie : le chambardement littéraire d’Huckleberry Finn.
Un mardi comme bien des autres de la belle 68e saison de l’organisation, on a rendez-vous au musée des Beaux-Arts pour les Midis de la poésie. Au lendemain ou à la veille de, ça nous fait beaucoup de bien, ça, sur la pause midi, de mettre le reste – les réseaux, la terreur, la résistance (sous quelque forme qu’elle soit), en mode silencieux, de n’écouter, ne se nourrir,…
Entrouvrir le recueil Agir en Antigone des Midis de la Poésie, c’est se frotter à un matériau inattendu, celui d’une inspirante poésie brute, collective, plurielle, de thèmes comme de plumes, et révélatrice de limites à déplacer. Agir en Antigone entremêle divers ateliers d’écriture poétique organisés par la prolifique asbl bruxelloise Les Midis de la Poésie – chapeautée par Mélanie Godin – qui n’a de cesse de visibiliser ce qui a été écrit et ce qui s’écrit, ricochant d’interrogation en déclenchement poétique, de finitude (conférences, conversations, lectures-spectacles) à premier éclat poétique (#Poesielab prolonge les thématiques abordées lors des diverses rencontres via de lumineux ateliers d’écriture qui se déroulent également en ligne 1 ). Ce recueil de poèmes éclectique, publié en octobre 2020 propose une « poésie collective » rassembleuse de « forces individuelles » aux antipodes d’« (…) une époque où l’appel à être solidaire ne concerne que des proches à garder à distance, pas des distants qui voudraient se rapprocher » (Aliette Griz, coordinatrice du #Poesielab). L’agencement des poèmes se fait d’ailleurs le miroir du cheminement de l’individuel au collectif : si les ateliers d’écriture sont d’abord adroitement mélangés – exhortant les lecteur.rices.s à se figurer une constellation thématique –, ils finissent par parfois se juxtaposer : les plumes, qui ont été secouées et déposées à divers endroits, se redisposent et révèlent les liens qu’elles ont tissés entre elles. L’écriture est sur le bout de la plume de celui ou celle qui tend l’oreille et c’est ce que ce recueil imprime dans l’esprit, révélant une « poésie possible » pour toutes et tous, dans les joyeuses fluctuations de l’instantané. Comment ne pas songer alors au célèbre message du tract publicitaire surréaliste indiquant que « le surréalisme est à la portée de tous les inconscients » ? D’ailleurs, deux poèmes d’ Agir en Antigone sont poreux et appellent à être complétés, tels des textes à trous, comme chez Nougé (dans L’Expérience continue ) ou Breton ( Manifeste du surréalisme ). Il y sera, entre autres, question (et ça ne peut qu’être réjouissant) de lune (quand on l’oublie et quand on la retrouve), de métiers (dont celui, souvent mis de côté, de nourrisseur de moustiques), de naissances (celles, respectivement, d’un escargot, de Dieu, d’un fleuve ou encore de la Terre), d’équité (même lorsque des frites sont en jeu), d’insertion d’étoiles rebelles (baliseuses de chemins de traverse) « dans le texte écrit depuis toujours par et pour les hommes », de l’importance pour Serge l’écureuil à apprendre à dire non, de choses « à moitié », de connivence entre le soleil et le regard, de « ce qu’il faut pour être artiste » (à savoir posséder, par exemple, un traité de l’absurde, quelques croyances ésotériques et un esprit de synthèse). Alors pourquoi Agir en Antigone ? L’étymologie d’ Antigone – « qui s’oppose à l’origine » – signe et ordonne la constellation mentale dessinée au fil des pages : si la sœur d’Étéocle et de Polynice agit au nom des lois non écrites, les ouvreur.euse.s de poésie de ce recueil parlent « des limites qu’iels aimeraient déplacer ». Et ce déplacement a parfois lieu d’un poème à l’autre : alors que l’un inscrit le poète dans la nuit (celui qui « jardine ses soirs et puis ses nuits » est « protégé de l’ennui en vertu du contemplé », gravit des montagnes, résiste, « oublie pourquoi il se demande et se demande encore »), l’autre le dépose au seuil du jour : Poète ? C’est d’abord s’émerveiller Non, d’abord émerger Et déjà s’émerveiller. S’émergéveiller Simplement, Agir en Antigone donne corps aux sensibilités de tout âge, naissantes ou déliées, et invite les lecteur.rice.s…
Il y a plus que ce que l'on dit
Fruit d’une collaboration aux ramifications multiples et entremêlées, Il y a plus que ce que l’on dit est un livre de poésie photographique où voisinent le proche et le lointain, le mot et l’image, la voix et le regard. Fruit d’une collaboration aux ramifications multiples et entremêlées, Il y a plus que ce que l’on dit est un livre de poésie photographique où voisinent le proche et le lointain, le mot et l’image, la voix et le regard. Au-delà d’un titre légèrement inconfortable à prononcer, Il y a plus que ce que l’on dit est une proposition (joli et judicieux sous-titre de l’ouvrage) complexe et harmonieuse issue de l’association des Midis de la Poésie et de l’atelier de photographie de l’ESA Le 75, école offrant un bachelier artistique porté sur les arts plastiques et visuels. Ce qui est ici proposé au lecteur est comparable à un film immobile (l’oxymore fait sens si l’on se dit que le mouvement, inhérent au film, est repris par la phrase qui, toujours, accompagne l’image, et suppose l’acte mouvant qu’est la lecture). Composé de photographies illustrant des vers partagés durant les saisons des Midis de la Poésie liant 2016 à 2019, l’ouvrage laisse s’entremêler le mot et l’image au sein d’une même page, si bien que, malgré la fixité des paysages et figures photographiés, un dialogue s’établit. Ce dialogue est ponctué d’ellipses qui prennent la forme de pages blanches, et de monologues qui prennent celle de textes originaux écrits par les artistes associés aux séances des Midis. À CLOCHE DE DÉTRESSE - SYLVIA PLATH : avec Valérie Bauchau et Vinora Epp, comédiennes et Valérie Rouzeau, poétesse et traductrice, Théâtre National. ©Philippe Jeuniaux ; citation : « Rivalité » de Sylvia Plath On peut regretter le choix de la couleur rouge, parfois peu lisible, dans laquelle s’écrivent la majorité de ces vers d’époques variées ; mais ce rouge sang ne participe-t-il pas à souligner la vie qui coule dans ces images argentiques en noir et blanc ? Peut-être. Cette couleur enjoint en tout cas à se plonger plus profondément dans l’image, à la scruter et, ce faisant, à y découvrir des détails ou des ombres inaperçues au premier regard. La confrontation du mot à l’image baigne la phrase d’une multitude de significations possibles, elle s’avère propice à creuser la page, à la scruter méticuleusement avant de poursuivre la danse des feuilles. Car c’est bien d’une danse dont il s’agit : le regard est scindé, partagé, décuplé entre le texte et la photographie, la phrase et la page, il s’égare dans et hors de l’image pour retrouver le mot, voire son auteur et son contexte à l’extrême fin du livre – qui ne figure pas pour autant son aboutissement, puisque les allers-retours sont constants et constitutifs de cette expérience de lecture-observation. Au fil des pages, l’observateur voyage entre différentes couches de temps, mises en relation par l’association de l’image (contemporaine) aux vers (d’aujourd’hui et d’hier), mais aussi par le biais du dispositif même de l’ouvrage, qui provoque le croisement d’un grand nombre de temps différents. Il y a, tout d’abord, celui des séances des Midis, lieu de la rencontre première entre les auteurs et les photographes, là où étudiants et professeurs ont extrait méticuleusement des bribes des poèmes qui leur furent exposés pour les présenter ensuite à leur propre travail. Mais, au-delà de la lecture, le poème a, lui aussi, un temps qui lui est propre et premier : celui de l’écriture qui, comme celui de la photographie, fait référence à un instant T, à un punctum unique et singulier. SOMNAMBULE DU JOUR : par Anise Koltz, entretien avec Pascal Verdeau et Joséphine de Renesse, Mrbab © Émilia Stéfani-Law ; citation : « Dans mes poèmes » d’Anise Koltz Ce croisement de temps s’accompagne inévitablement d’un croisement de gens : aux Midis, un·e auteur·ice présente un·e poète·esse ou un sujet qui lui est cher, accompagné d’un·e acteur·ice pour dire les textes choisis. « C’est là le fil rouge d’une saison : ne pas parler directement de soi, de son œuvre, mais plutôt de ce qui, dans le travail d’autrui, a nourri le sien ». Ceci nous amène à une autre hypothèse : le rouge des mots serait alors celui du fil qui lie entre elles les images et les lettres, les pages et les textes, les voix et les regards, de manière à composer une vision singulière à partager avec autrui. Le lien est le maître mot de cet ouvrage. Bien sûr, ces associations d’images et de mots sont forcément très personnelles. Toutes ne résonneront pas de la même façon dans l’imaginaire du lecteur ; en fonction de la sensibilité de chacun, certaines phrases, certaines images, trouveront plus d’échos que d’autres. En cela, l’ouvrage illustre au mieux l’essentielle subjectivité de la création, qu’elle soit photographique ou poétique : fruit d’une sensation, d’une expérience personnelle et subjective, partagée ensuite à l’aide des mots et des images qui résonnent au mieux…