Lire un extrait I. IMAGINATION ET SENSIBILITÉ
A) Une poésie de l'âme
De la lecture de Severin, on sort comme d'un long silence au cours duquel on s'est replié sur soi-même, détaché des contingences, pour écouter en soi murmurer une âme. uvre entière, du
Lys renié à la
Source au fond des bois, laisse une impression de nostalgie; on la quitte à la fois purifié d'égoïsme terre à terre et isolé dans un monde de raffinements et de contemplations. On se sent haussé, mais centré. Autour de soi, l'univers s'est rapetissé, vu de loin, c'est-à-dire du dedans de l'être. La nature semble s'être réduite, quintessenciée. Des hommes, nul souvenir. L'Amour, jusqu'à la
Solitude heureuse, s'est assis à nos côtés noblement, insaisissable et proche. Mais d'un bout à l'autre, le coeur s'est ouvert, l'âme a parlé
La poésie de Severin, c'est bien un chant intérieur, un murmure, une plainte ou une extase, les yeux fermés. Les poèmes du
Lys, c'était déjà cela, moins abstraitement, plus charnellement. L'uvre autorisée s'est elle-même comme purifiée; mais le champ visuel ne s'en est pas agrandi, bien qu'il y paraisse dans la
Source au fond des bois. Car, pour le lecteur, et du point de vue de l'émotion, le champ poétique est rétréci : celui que Severin invite à contempler simplement la nature et les cieux, s'il le suit, continue avant tout de l'écouter, lui, le Poète, et de se chercher, de se découvrir en lui. Il termine ainsi, aux confins du réel, les étapes d'un rêve dont il fut le centre.
Qu'est-ce à dire sinon que le créateur de cette uvre a proposé à son lyrisme le cur plutôt que le monde et que les autres hommes, l'esprit plutôt que la matière, l'«ineffable» de préférence au saisissable ou à l'imaginable, aux harmonies de l'univers, aux chimères du Passé ou de l'Avenir? Ce poète-là exalte le cur et le replie sur lui-même. Noble égotisme où se reflète le souvenir des choses, où viennent mourir les passions humaines, mais où persiste leur essence : la poésie de Severin est vraiment essentielle
Nous l'entendons bien : elle ne projette pas vers des visions, ni ne requiert par les images. Cependant nulle n'a plus d'attaches avec la vie, avec la nature, n'est plus fondue en elles, ne les suggère davantage, sinon celle de Lamartine, du Lamartine des
Méditations et non du Lamartine des
Harmonies. Le cri de l'auteur du
Lac :
Objets inanimés, avez-vous donc une âme
,
c'est celui de Severin :
Quels occultes liens nous unissent au monde!
Mais avec une différence : c'est que Severin, lorsque lui aussi voudra ajouter des cordes à sa lyre, ne dépassera guère le stade de la sensibilité. Sa poésie ne s'élargira pas. Au contraire, elle s'anémiera au fur et à mesure que les sensations se déchargeront de leur potentiel lyrique. Elle s'épurera, se clarifiera; mais elle restera identique dans sa source : le cur, l'être entier réagissant, selon un mode unique de l'imagination, au branle du désir ou de la pensée, ou bien encore aux excitations extérieures.
Table des matières LA VIE ET L'ŒUVRE
ENFANCE ET ADOLESCENCE
LA CARRIÈRE POÉTIQUE
LE SILENCE
LIVRE I : LE POÈTE ET SON IDÉAL ARTISTIQUE
I. IMAGINATION ET SENSIBILITÉ
A) Une poésie de l'âme
B) L'organisation sensorielle
C) L'aide à l'imagination
II. LES LUTTES D'UN POÈTE.
A) L'étrange science
B) Un idéal d'expression
C) L'abandon d'un thème
D) Le poète naturiste et ses faiblesses
III. L'IDÉAL POÉTIQUE
A) L'inspiration
B) Les «arts poétiques»
LIVRE II : L'ART DE LA COMPOSITION