Textes de Georges Sion, Françoise Mallet-Joris, Pierre Falize, Lucienne Desnoues et Carlo BronneÀ propos du livre (Texte de l’Introduction)
Il était normal que l’Académie veuille…
Nos regards se sont croisés : La scène de la rencontre avec un animal
Parmi les prix qu’elle a décernés en 2021, notre Académie royale de langue et de littératures françaises avait distingué un ouvrage de Pierre Schoentjes, Littérature et écologie. Le mur des abeilles (Corti 2020) . Saluant le lauréat, professeur de littérature française à l’Université de Gand, Yves Namur présentait cet essai comme entendant répondre à la question suivante : « Comment la littérature s’empare-t-elle des questions environnementales pour penser notre avenir et notre futur ? ». Il soulignait que l’auteur fondait sa démarche sur une relecture de notre patrimoine littéraire à la lumière de cette question. Pierre Schoentjes nous revient aujourd’hui avec un nouvel essai, Nos regards se sont croisés. La scène de la rencontre avec un animal , se fondant sur la même approche, centrée cette fois sur une thématique plus précise. Pour ce faire, l’auteur revisite des œuvres connues, d’autres plus discrètes, convoquant pas moins d’une septantaine d’auteurs auxquels il mêle d’autres artistes. Parcourant plus de deux siècles, il s’intéresse à la façon dont les écrivains mettent en scène la rencontre entre humains et animaux et plus particulièrement à la description des échanges du regard intervenant entre eux. Elle s’affirme comme particulièrement révélatrice. Un échange les yeux dans les yeux avec un animal est toujours l’occasion d’une interrogation. La scène constitue un moment privilégié qui amène le protagoniste à interpréter avec une attention particulière ce qui se joue entre l’animal et lui. Une communication est-elle possible ? Dans les nombreux extraits présentés et commentés dans la tradition de l’analyse textuelle, le croisement de regards est toujours intense et il agit sur la vision de la relation avec le règne animal. Ceci vaut pour l’animal domestique, mais aussi pour ceux que l’on élève et abat ou chasse pour se nourrir, pour des espèces proches des humains comme pour d’autres a priori moins attendues comme les insectes ou poissons. Les deux siècles littéraires parcourus et richement illustrés d’extraits commentés permettent aussi de mesurer l’évolution du regard, marquée par celle, continue, des mentalités. Longtemps dominé par la vision de Descartes qui déclarait dans le discours de la méthode (1637) qu’il faut se « rendre maître et possesseur de la nature », le sens commun actuel est désormais habité par des notions telles que le bien-être animal ou la défense de l’environnement. Et comme le souligne Pierre Schoentjes, notre rapport aux animaux passe aussi par les livres dans une forme de va-et-vient à propos duquel il nous éclaire.Déclinant la réflexion déjà riche de l’auteur, dont les ouvrages antérieurs s’inscrivent dans le courant plus large de l’écopoétique, voici donc un ouvrage qui en décrit les contours tout à la fois dans l’analyse littéraire et dans les lettres elles-mêmes. Il lui fait une place de choix aux côtés des approches historiques, sociales, psychanalytiques ou anthropologiques. Décidément, la belle aventure de l’écriture littéraire est bien loin d’être terminée. Thierry Detienne Si on excepte les animaux de compagnie, les bêtes sont absentes de la vie quotidienne dans les sociétés occidentales prospères. Or, c’est aussi par le contact direct avec les animaux que nous nous définissons comme humains, par la compréhension de ce qui nous lie à eux et ce qui nous différencie. Cet essai interroge ce lien intime à partir d’une scène présente dans nombre de textes littéraires: la rencontre entre animaux humains et non humains. Basé sur une vaste enquête qui explore le champ littéraire du dernier siècle, ce livre s’efforce de dégager la manière dont l’écriture fait écho à l’empathie qui s’exprime envers les animaux et notamment à l’importance des rencontres comme déclencheurs d’un engagement fort en faveur des droits des…
Présence au monde. Essai sur la poétique de Georges Thinès
« Il importe de voir toujours plus haut, toujours plus loin, pour atteindre une vérité sans doute quasi inaccessible. »La première phrase donne le ton de l’essai que Valérie Catelain consacre à Georges Thinès, et qui paraît quelques semaines après la mort de celui-ci, le 25 octobre 2016 , sous le beau titre Présence au monde .Une présence intense, portée par une curiosité et une exigence indéfectibles. Homme de sciences et écrivain, Georges Thinès nous laisse une œuvre multiple, foisonnante, qui allie l’art d’écrire et la passion de la connaissance.Quelques repères sur le chemin d’une vie : né à Liège en 1923, il a connu une enfance heureuse en Campine dont le paysage s’est fixé en lui. Marquée par l’empreinte du père ingénieur, merveilleux pédagogue, qui l’initie aux sciences naturelles lors de leurs promenades dans la campagne, lui apprend les langues pour lesquelles l’adolescent manifeste un don certain, qu’épingle Valérie Catelain : « Georges Thinès peut enseigner ou écrire avec la même faconde en français, en néerlandais, en anglais ou en allemand, mais encore, improviser un discours en latin ou en grec ! Il a écrit une série de poèmes latins – de superbes hexamètres dactyliques – sous le pseudonyme de Vulturnius, qui ont mystifié plus d’un philologue chevronné. »Son père l’ouvre aussi à la musique : dès ses dix ans, il commence l’étude du violon, qui ne le quittera plus. La musique le pénètre, l’exalte, comme la littérature.Georges Thinès enchaîne humanités gréco-latines, qu’il achève à Bruxelles où la famille s’est installée ; candidature en philosophie et lettres à la faculté Saint-Louis ; licence en psychologie à l’université de Louvain.« Le choix de la psychologie , observe l’auteur, représente un tournant décisif parce qu’il y voit le moyen de concilier intérêts philosophiques et intérêts scientifiques. »Il fonde en 1965 le Centre de psychologie expérimentale et comparée de l’université et, deux ans plus tard, la faculté de psychologie.Parallèlement, il s’est lancé dans des recherches en éthologie dont il deviendra un spécialiste reconnu, premiers jalons d’une œuvre scientifique largement centrée sur le comportement animal, dans la ligne de Konrad Lorenz. Œuvre couronnée par le prix Francqui en 1973. Professeur visiteur à de nombreuses universités (Copenhague, Southampton, Cracovie…) et au Collège de France, Georges Thinès est élu en 1979 à l’Académie royale des sciences de Belgique. Un an après son élection à l’Académie de langue et de littérature, au fauteuil de Marcel Thiry.Ainsi était saluée l’œuvre littéraire, qui débutait par un recueil de poèmes aux éditions des Artistes, en 1959, Poésies , mais embrasse tous les genres.Le roman, dont il disait se méfier, ce qui ne l’empêchera point d’en écrire plusieurs, qui le révèlent « romancier de l’enfance et de l’ambiguïté du réel » : Les effigies , Le tramway des officiers , prix Rossel 1974, L’œil de fer , La face cachée …Le récit : La statue du lecteur , Le désert d’Alun …La nouvelle : L’homme troué , Le quatuor silencieux …La poésie : L’aporie suivi de Stèle pour Valéry , le poète dont l’influence fut déterminante, Théorèmes pour un Faust , Connaissance de l’Erèbe , L’exil inprononcé , Mer intérieure …Le théâtre, souvent insolite : Orphée invisible , La succursale , L’horloge parlant. L’essai : Le mythe de Faust et la dialectique du temps , un mythe qui a hanté Georges Thinès et dont il propose une vision résolument originale, Victor Hugo et la vision du futur , Rimbaud, maître du feu …Ce parcours brillant, fêté, honoré, Georges Thinès le considérait d’un œil serein : « Je n’ai pas cherché le succès, mais toutes les récompenses m’ont été offertes : le prix Francqui pour mon œuvre scientifique, le prix Rossel pour un roman, l’élection aux Académies… J’ai toujours voulu être gagnant, je le reconnais, mais pour la bonne cause, celle de la création intellectuelle. »L’auteur sonde les différentes formes qu’a prises l’écriture de Georges Thinès, « vécue comme une aventure au cours de laquelle la vie se recrée ».Dégage des thèmes majeurs : entre tous, le temps (« La fatalité du temps détermine l’irrésistible impulsion à écrire. Écrire revient à refuser l’oubli, à contrer la mort, c’est recomposer d’instant en instant le monde qui se désagrège sans fin autour de soi »).La musique, dont la présence est constante (Mozart, Beethoven, Schubert, Mahler…). Mais aussi « la précarité des civilisations, la fascination que leurs traces laissent à notre méditation, la recherche du père ».S’il n’a jamais été attiré par la poésie surréaliste, l’écrivain a été sensible aux enjeux de ce mouvement ; à ces « perpétuels chevauchements entre le monde réel et le monde du rêve ». À la peinture surréaliste aussi, singulièrement celle de Magritte.Sur les pas de Valérie Catelain, nous retraversons une œuvre qui s’apparente à une réflexion vivante, inépuisable, appuyée sur la quête essentielle de la connaissance, et au cœur de laquelle se conjuguent création artistique et métaphysique. Le mystère poétique et l’idée philosophique.« Vivre est aussi sans doute rêver ce que l’on vit. La vision intérieure a bien plus de consistance que la réalité. »…
Paul EMOND , Une fabrique de personnages , Académie royale de langue et de littérature françaises…