Entre les rives


RÉSUMÉ

En matière de traduction, on peut légitimement s’inquiéter de ce que deviendraient les cultures humaines et la pensée humaine, le jour où tout échange inter-linguistique serait confié à une intelligence artificielle. Il s’ensuivrait un cloisonnement et un repli sans précédent dans l’histoire, une histoire qui, aussi loin que remonte la mémoire écrite, est faite de migrations d’idées, d’usages et d’hommes, de fécondation du même par l’autre, de transferts, de réinterprétations et de réappropriations.
[…] La traduction n’est pas seulement mon travail alimentaire. C’est mon métier, et je suis attachée à ce mot avec tout ce qu’il connote de soin, de savoir-faire, de travail minutieux sur la trame de l’écrit. La traduction est mon métier, elle a forgé ma personnalité, y compris en tant qu’autrice : j’écrirais sans doute autre chose, et autrement, si je ne passais pas une partie de mon temps à traduire depuis deux langues étrangères, si j’étais ancrée dans une seule langue, une seule culture, un seul territoire. Cesser de traduire, ce serait renoncer à ce qui m’a faite telle que je suis.
Voilà pourquoi je n’ai pas hésité à accepter la proposition de mes collègues. Dans ce volume qu’on m’offrait de rédiger, je matérialiserais mon bilan, j’explorerais les liens entre la traduction qui (je le maintiens) est une écriture, et l’écriture qui, à mes yeux, est un peu une traduction. J’y évoquerais mon sentiment d’être toujours « entre les rives » – je pense moins ici à l’image désormais classique du traducteur comme passeur, qu’au voyageur qui a quitté les eaux territoriales de son continent d’origine, n’est pas encore entré dans celles du continent d’en face et n’a peut-être même pas l’intention d’y pénétrer un jour. Préférant la pleine mer, là où les eaux appartiennent à tous et n’appartiennent à personne.


À PROPOS DE L'AUTEUR
Diane Meur
Auteur de Entre les rives
Diane Meur est une femme de lettres belge d'expression française. Pendant ses études secondaires au lycée français de Bruxelles, elle prend l’initiative d’apprendre l’allemand. Après trois années de classes préparatoires au lycée Henri IV de Paris, elle intègre l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, en section lettres modernes. Hésitant entre germanistique, lettres modernes et histoire, très vite elle se lance dans la traduction. Elle a notamment traduit "Musique et société" de Hanns Eisler (Éditions de la Maison des Sciences de l’homme, 1998), les "Écrits sur Dante" d’Erich Auerbach (Macula, 1999), "Léthé. Art et critique de l’oubli" de Harald Weinrich (Fayard, 1999) et, aux éditions du Cerf en 2001, de Heinrich Heine, "Nuits florentines, précédé de Le Rabbin de Bacharach et de Extraits des mémoires de Monsieur" de Schnabeléwopski". Elle s'attèle ensuite à plusieurs travaux, à Heine d'abord, à un livre sur les techniques mnémoniques au Moyen Âge ensuite (Mary Carruthers, The Book of Memory, Macula) et enfin à Figura d’Erich Auerbach (sur l’interprétation “figurative” de la Bible par les chrétiens médiévaux et le rapport complexe qu’elle établit avec le judaïsme, Macula). En 2002, elle publie son premier roman, "La Vie de Mardochée de Löwenfels écrite par lui-même". En 2003, paraît "Raptus". Son roman, "Les Vivants et les Ombres", paru à la rentrée littéraire 2007, a été récompensé par le prix Victor-Rossel et le prix Victor-Rossel des jeunes 2007 et le prix du roman historique-Rendez-vous de l'histoire de Blois 2008. Parallèlement à son activité de romancière, elle poursuit son travail de traductrice, notamment de Paul Nizon (son journal ainsi que "La Fourrure de la truite", Actes Sud, 2006) et de Tariq Ali ("Un sultan à Palerme" et "Le Livre de Saladin", Sabine Wespieser éditeur, 2007). En 2012, elle obtient le prix du jury de l'Algue d'or (de Saint-Briac-sur-Mer) pour "Les Villes de la plaine" (2011).  


NOS EXPERTS EN PARLENT...
Le Carnet et les Instants

Diane MEUR, Entre les rives. Traduire, écrire dans le pluriel des langues, Contre allée, 2019, 183 p., 18 €, ISBN : 978-2-376650-546Quand des collègues lui ont proposé de prendre place dans une collection de « Paroles de traducteurs », Diane Meur a accepté avec enthousiasme, tout en précisant qu’elle ne pourrait en dissocier ses « paroles de romancière ». Et c’est ce qui fait l’intérêt de ce livre qui vaut tant par la finesse des considérations sur la traduction que par la réflexion sur l’influence réciproque de ses deux passions : la migration d’une langue à l’autre et l’écriture personnelle. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un essai. Le livre est fait de textes s’étendant sur plus de quinze ans, montrant une réelle…


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