« Dans l’espace, personne ne vous entend crier », annonçait la phrase d’accroche de l’affiche française d’Alien en 1979. Pourtant, la voix de Ripley, « last survivor of the Nostromo », continue de résonner à travers l’espace et le temps, de films en comics, de jeux vidéo en évocations romanesques, théâtrales ou philosophiques. Si le xénomorphe est souvent considéré comme le personnage principal du film, c’est Ellen Ripley qui en est l’héroïne : ce duo indissociable de l’alien et de la femme qui le met en échec à chaque nouvelle rencontre a profondément marqué la science-fiction de son empreinte.
Né dans l’imagination de Dan O’Bannon et Ronald Shusett, le personnage de Ripley n’était pas destiné à être de sexe féminin. Pourtant, c’est bien à Sigourney Weaver, jeune comédienne issue du théâtre, que Ridley Scott confie le rôle principal du film qui lancera leurs carrières respectives. Ripley apparaît dans quatre longs-métrages signés par des réalisateurs de talent : Alien (Ridley Scott), Aliens (James Cameron), Alien3 (David Fincher) et Alien Resurrection (Jean-Pierre Jeunet). Si réalisateurs et scénaristes sont tous de sexe masculin, il n’empêche qu’ils ont tous participé à la création de l’un des modèles d’héroïne parmi les plus puissants de la fiction contemporaine : une femme qui se révèle forte dans l’épreuve, capable de surclasser n’importe quel homme, tout en assumant pleinement sa vulnérabilité.
Le lieutenant Ellen Ripley lutte non seulement contre une espèce extraterrestre parasitaire mais aussi contre un empire technologico-financier avide de profit et prêt à tous les sacrifices (surtout ceux d’autres êtres humains) pour s’approprier la pure puissance de l’alien. Éternelle survivante, Ripley se voit condamnée à une errance sans fin (jamais elle ne retourne sur la Terre, sinon en la survolant, à la fin du quatrième opus, alors qu’elle n’est déjà plus tout à fait humaine, produit d’un clonage qui a mêlé l’ADN humain et l’ADN du xénomorphe). Si elle est femme, mère, profondément humaine, elle tend irrémédiablement vers la monstruosité inhumaine que lui assigne ce rôle d’éternelle survivante, capable de prédire le futur immédiat (les dangers de l’action ou de l’inaction) comme le lointain (les dérives de l’humanité). Héroïne, Ripley l’est en ceci qu’elle représente ce qui, de l’avenir d’une humanité dévoyée, est voué à survivre.
Auteur de Ellen Ripley : Survivre à l’alien. Survivre à l’avenir
Christophe MEUREE, Ellen Ripley. Survivre à l’alien. Survivre à l’avenir, Impressions nouvelles, coll. « La fabrique des héros », 2025, 128 p., 13 € / ePub : 8,99 €, ISBN : 978-2-39070-212-2Eût-il fallu attendre, patiemment, la naissance d’un écrivain tel que Christophe Meurée, alien au sein des lettres (cette personne étant – au même titre que Sigourney Weaver, actrice qui a incarné Ellen Ripley – au croisement de la recherche, de l’enseignement et de l’art) pour comprendre davantage qui est ce personnage d’Ellen Ripley ? Ce personnage un peu bizarre de la saga Alien qui accouche de trucs tout aussi monstrueux, peu importe la forme ?Nous en sommes certains : Christophe Meurée, en…
Vous me coucherez nu sur la terre nue : L'accompagnement spirituel jusqu'à l'euthanasie
Les éditions Albin Michel publient un nouveau livre de Gabriel Ringlet : Vous me coucherez nu sur la terre nue. L’accompagnement spirituel jusqu’à l’euthanasie .Autant le dire d’emblée : il y a dans ces 230 pages tant de perles et de pépites que c’est un véritable trésor, un livre qui fait du bien, un livre qui aide à vivre celui qui sait qu’un jour il va mourir, sans connaître le jour ni l’heure, … ni les conditions de ce grand pas\sage. Le titre (une instruction de François d’Assise pour sa mort qu’il savait imminente) fournit la structure des différentes parties du livre au travers d’une grande métaphore qui invite le lecteur à successivement « Prendre l’habit », « Déchirer la robe », « Déposer la bure » et « Revêtir la coule ».Ce vocabulaire est bien sûr tiré du lexique monastique mais le livre n’est pas pour autant réservé ni même spécialement adressé à des lecteurs chrétiens. Il ne s’agit pas non plus d’un énième écrit « sur l’euthanasie » ni d’un traité théorique. Gabriel Ringlet, nourri autant par ses lectures poétiques que par son expérience de l’accompagnement vers la mort et de la célébration des rites spécifiquement chrétiens, nous offre dans un texte riche la possibilité d’un parcours tout empreint de délicatesse et d’empathie. De la poésie avant toute chose ! Même – et surtout ? – dans la souffrance et dans la proximité de la mort. Une très belle page (parmi tant d’autres, ici, p. 36) exprime combien la poésie est l’essence de la vie et non une option, une babiole facultative pour faire joli dans le décor. « La poésie seule, écrit Louise [Michel], sait braver le mal et la mort. Elle est semblable au vent qui use peu à peu la dureté du monde. » ( Le roman de Louise , Henri Gougaud, p. 167). Les poètes, morts ou vifs, en œuvre ou en personne, en bonne santé ou souffrants sont très présents dans ce livre : je pense à la fin de parcours de Jacques Henrard, à tel beau texte d’Yves Namur (p. 96), à tel autre de Corinne Hoex (p. 171). Au fil des pages, le lecteur rencontre (ou est invité à le faire) Henri Meschonnic et Jean Sulivan, André Schmitz et Philippe Mathy, Jean Grosjean et Kafka…Pour autant, cet ouvrage n’est pas déconnecté de la (dure) réalité du sujet, il n’élude pas les difficultés et n’ignore pas les dernières avancées législatives en la matière. Il pose une des vraies questions, dans la bouche d’une vieille sœur carmélite qui en a assez et plus qu’assez d’attendre de mourir (« C’est trop ! ») mais dont personne « ne veut entendre [la] question spirituelle, pourtant si urgente » et qui se demande d’ailleurs elle-même si elle est bien en droit d’oser souhaiter l’euthanasie.L’auteur est évidemment d’une discrétion absolue sur les personnes dont il a accompagné la fin de vie mais il en cite d’autres à qui leur notoriété a déjà valu l’exposition médiatique. Ainsi en est-il du décès aidé de Christian de Duve qui, tout en ayant affirmé sa non-croyance et en ayant choisi le moment de sa mort, n’en désirait pas moins que la cérémonie laïque chère à ses vœux soit célébrée de préférence dans une église. À l’occasion de quoi on découvre une Église moins monolithique et moins crispée que ce qu’on en dit ici et là. À la suite de quoi on découvre aussi combien de prêtres anonymes sont confrontés à ce genre de demande par des familles ordinaires.« Mettre fin à la vie de quelqu’un est un mal. Le laisser dans la souffrance absolue est un mal aussi » déclarait l’auteur dans une interview donnée le 6 juin 2013 au journal Le Soir suite au décès du Professeur de Duve deux jours auparavant. Et il est vrai que les principes, pour nécessaires qu’ils soient, ne règlent pas tout dans la vie, tant les situations peuvent être diverses, complexes, difficiles. Ce livre a le mérite d’aborder le problème tout en esquissant, au fil des pages, les solutions, les réseaux de soins, l’implication d’un personnel médical compétent qui permettent à l’humain d’avancer, de traverser les difficultés. « L’éthique, ce n’est pas une personne qui sait, mais plusieurs personnes qui cherchent. » (p. 132) a déclaré Jean Leonetti, père de la loi qui porte son nom, relative aux droits des malades et à la fin de vie et promulguée en France le 22 avril 2005. Gabriel Ringlet n’oublie pas, dans son ouvrage, d’évoquer la difficulté et souvent la souffrance aussi qui pèsent sur le personnel soignant, comme en témoigne le docteur Van Oost : « Chaque euthanasie est véritablement le lieu de Gethsémani » (p. 136) et l’auteur d’enchaîner avec le récit du combat nocturne de Jacob avec ce mystérieux personnage qui lui est envoyé.Le livre ne s’adresse ni spécifiquement aux laïques, ni spécifiquement aux croyants. Chaque « honnête homme » de bonne volonté y trouvera matière à réflexion et à ouverture du cœur.Écoute et délicatesse en sont les piliers.C’est juste, c’est beau.C’est juste beau. Marguerite ROMAN PS à l’éditeur : Quelle plaie pour le lecteur que le renvoi des notes en fin de volume ! ♦ Lire un extrait…
Eve Bonfanti et Yves Hunstad, accueillir l'inattendu : dialogue avec Frédérique Dolphijn
On connaît déjà les différentes collections littéraires et imagées des éditions belges Esperluète , cette maison qui soigne particulièrement les écritures singulières alliées à un art visuel de choix. La rentrée littéraire est pour Esperluète l’occasion de présenter une toute nouvelle collection, « Orbe », qui offre à lire, sous la forme des dialogues, des réflexions d’auteurs à propos de leur pratique d’écriture et de lecture. « Qui suis je ? C’est la question que les autres posent – et elle est sans réponse. Moi ? Je suis ma langue » écrivait si justement le poète palestinien Mahmoud Darwish dans Une rime pour les Mu’allaqât en 1995. C’est par cette question complexe posée à l’auteur que s’entame chacun des dialogues d’« Orbe » . On habite sa langue moins qu’elle nous habite, moins qu’elle nous façonne et qu’elle nous hante. Disons-le : la langue évolue moins avec nous que nous auprès d’elle. Avec « Orbe », il est question de définir ce qui, pour chaque auteur a provoqué un désir lié à l’écrit. Ce désir, individuel et propre à chacun, s’inscrit dans un rapport au monde, à soi et à la lecture. L’enjeu, ici, sera de découvrir différents mécanismes et processus d’écriture et de création.La collection se veut ouverte à tous les genres littéraires, qu’il s’agisse du roman, de poésie, de nouvelles, de traduction, de théâtre, d’un scénario de film, de bande dessinée ou de littérature de jeunesse. Elle s’adresse à ceux qui s’intéressent au processus d’écriture ou aux auteurs interrogés en particulier, ainsi qu’aux enseignants et participants des ateliers d’écriture.Initiée par l’écrivain et cinéaste Frédérique Dolphijn , la collection présente trois premiers ouvrages dont elle signe le dialogue. Pour chacun d’eux, elle a choisi des mots à l’intention des auteurs. Ces derniers ont été piochés de manière aléatoire, les uns après les autres, et ont initié le début d’un nouveau chapitre et d’une ébauche de réflexion.L’emploi de la deuxième personne, tu , lors de chacun des entretiens, souligne le caractère spontané et non artificiel des dires de l’interrogeant comme de l’interrogé. Nul besoin de faire beau, ici, et c’est ce qui émeut dans le propos : d’entendre les rires et les hésitations entre les lignes nous fait nous, lecteurs, prendre part au dialogue à notre tour. Ève Bonfanti et Yves Hunstad, Accueillir l’inattendu Comment écrire pour enfin dire en public ? Dans cette conversation, il sera question de théâtre et d’une certaine écriture de la transmission.Eve Bonfanti et Yves Hunstad, tous deux acteurs et auteurs de théâtre, ont décidé de mêler leur virtuosité pour fonder la compagnie La fabrique imaginaire . Écrire en duo implique le challenge de la symbiose et de l’entente qui force à passer outre les questions d’égo. Deux écritures faites une, en perpétuel mouvement, donc, inattendue ; en allers-retours de l’une à l’autre, où le public est partie prenante de la création et interroge sans cesse l’auteur. Imprévu Yves : On parle bien de l’écriture… Dans l’acte de jouer, il y a zéro imprévu. Sauf s’il y a un accident qui vient de l’extérieur. Mais de notre part, on ne crée pas d’imprévu quand on joue. On espère qu’il arrive pour orienter l’écriture, pour l’enrichir. Eve : Cet imprévu positif, là dans l’écriture et qui est reproduit après de manière illusoire dans le jeu, provoque une tension… presque une supra conscience dans le cerveau du public… Tout se tend vers ce moment : qu’est-ce qui va se passer ? Colette Nys-Mazure, Quelque chose se déploie C’est par ce dialogue avec Colette Nys-Mazure que s’est lancée la collection « Orbe ».Grande lectrice et enseignante inaltérable, l’incontournable poète, nouvelliste, romancière et essayiste dont l’œuvre a été récompensée de nombreux prix incarne plusieurs facettes de l’écriture poétique. Elle pose, dans ses pages comme dans son quotidien, un regard et une attention soutenus aux autres et à leurs écritures. L’autre C’est vraiment exigeant, l’autre… C’est à la fois l’autre en soi… d’étrange, de différent, d’inquiétant ; c’est l’autre, immédiat, avec qui on vit avec qui on tente de composer (…) Dans les livres que je fréquente, il y a une part des auteurs que j’ai appris à connaître. Mais il y a aussi tous ceux que j’ai envie de découvrir, que je ne connais absolument pas, et qui sont à des milliers de kilomètres de mes préoccupations ou de mes façons d’écrire (…) Il y a une rencontre avec un livre… mais une rencontre qui présuppose des deux côtés une disponibilité. Jaco Van Dormael, Écrire le chaos Qui sommes-nous ? Qu’est-ce que le sens, existe-t-il un sens, que faire de ce chaos qui nous traverse ? Cinéaste de l’imaginaire et de ce qu’il peut y avoir de grand dans l’enfance, Jaco Van Dormael pose chacune de ses réponses sous le signe du questionnement. Se définissant, à la suite de Luigi Pirandello, comme « Un, personne et cent mille », il interroge avec nous le processus de création.C’est à l’écriture de scénario que Frédéric Dolphijn s’intéresse avec Jaco Van Dormael. On y découvre comment, écriture à part entière, elle induit également une création multiforme. Incarnation Celui qui incarne le plus, c’est l’acteur. C’est en ça que l’écriture que je fais est une écriture collective ! C’est à dire que je vis avec des fantômes pendant des années, dont je note les conversations par bribes, qui me sont très familiers, pour lesquels parfois j’ai de l’amour, parce que je les connais bien. Ils changent de visage régulièrement. (…) ce sont des « multi personnages. (…) En général on dit qu’il y a trois écritures : l’écriture du scénario, l’écriture sur le plateau et l’écriture au montage. On ne parle jamais de la quatrième écriture, la plus importante : celle du spectateur qui retient certaines choses, en oublie d’autres, inverse les scènes, fait dire à tel personnage des choses qu’il n’a pas dites, et qui se réapproprie le film. Victoire de Changy Dans cette conversation, il sera question de théâtre et de l’écriture de la transmission. Comment dire pour un public ? Le spectateur devient partie prenante de la création dans les interrogations de ces deux auteurs de théâtre. Eve Bonfanti et Yves Hunstad ont décidé de mêler leurs talents ; écrire en duo implique une symbiose et une entente de travail qui dépasse les questions d’ego. La finalité est directement au centre du processus. Il ne s’agit donc pas de double jeu mais de construire cette présence à l’autre, induire la lecture d’un spectacle, l’écoute d’un texte. Accueillir l’inattendu, c’est admettre cette place du jeu, de l’improvisation, de l’accident et de l’imprévu. C’est le faire sien pour mieux avancer dans le processus d’écriture. Écriture qui se place ici clairement dans l’oralité, le son et le sens des mots faisant un, le jeu de l’acteur participant à l’écriture... Partageant avec générosité et enthousiasme ces moments d’écriture, Eve Bonfanti et Yves Hunstad mêlent leurs voix à celle de Frédérique Dolphijn pour une conversation…
Déjà en 1936, le régime nazi évacue des collections publiques les œuvres d’art « dégénéré ».…