Auteur de De l’air !
Il existe entre un livre et son auteur un espace d’exploration littéraire que Michel Joiret appelle en collaboration avec Noëlle Lans, « Voyage en pays d’écriture ». Le principe en est cristallin : partir sur les traces des écrivains, là où ils ont commis leur œuvre et y découvrir ce que les sens de la présence sur place peuvent offrir. C’est-à-dire les non-dits des auteurs et l’esprit des lieux d’écriture. Depuis 1995, la revue Le Non-Dit , entreprise compagnonique , guide ses lecteurs-voyageurs dans l’environnement des écrivains et fait « parler les pierres qui leur ont servi de refuge ». Il en est ainsi du premier colloque à Epineuil-Le-Fleuriel où est située l’école d’Alain-Fournier, auteur du Grand-Meaulnes. Plusieurs convives s’y sont réunis pour mesurer le livre aux lieux mais aussi aux grammairiens belges.De même en 1999 au Grand-Hôtel de Cabourg, « en front de mer, avec piano-bar et musique d’époque ! » pour diverses lectures de l’œuvre-cathédrale de Marcel Proust. À lire toutes les interventions d’alors, le verbe se lève et souffle tant que la plume se montre absolue : on se demande si l’écriture de Proust émane de lui ou bien si c’est Proust qui émane de l’écriture ?En 2000 aux refuges de Pierre de Ronsard et de Pierre Loti, il est question d’un fil rouge reliant les roses sur les lieux des cimes amoureuses du premier à « la lourde et odorante végétation de Nagasaki » du second. Soit à l’instar de tout l’ouvrage, un fil de textes courts et autonomes ; érudits sans assommer.Quelle somme justement ! de témoignages, de recherches, de lectures, d’extraits, de citations et d’anecdotes pour fonder ce livre de voyages qui se fondent en une déclaration de passion pour la littérature. Nous glissons la tête derrière des rideaux vers les coulisses de temps perdus, dont seuls l’air et la lettre peuvent encore témoigner.Voyager en pays d’écriture donne faim et soif de tout lire des auteurs visités, tant les frontières entre les livres deviennent aussi précaires voire absurdes qu’entre les pays, une fois que l’on est sur place. Un genre cependant ressort de l’ouvrage, celui du romantisme, destination en 2002 via Chateaubriand et George Sand.Michel Joiret y fait l’aveu de son propre romantisme : « Drôle de question pour une curieuse époque, la nôtre, où beaucoup se sait, où peu se sent, où tant d’émotions sont en jachères et où le non-dit des échanges gagne le terrain perdu des années… Déçus par les philosophes (anciens et nouveaux), beaucoup se tournent vers des cultures et des religions « éprouvées » et sûres. »« En 2003, Le Non-Dit propose une rencontre avec quelques écrivains belges établis dans la capitale française, un projet qui séduit une quarantaine de personnes, principalement des enseignants. » En effet, le projet en association avec l’Enseignement du Hainaut ne veut pas seulement interroger des frontières géographiques, mais aussi celles des élèves avec la lecture, à l’aide de leurs professeurs. Historique, culturel, romantique, pédagogique, tel est-ce de voyager en pays d’écriture.Et ainsi de suite jusqu’en 2017 avec Aragon et Cocteau entre Milly-la-Forêt et Saint-Arnoult-en-Yvelines. L’index du livre compte 228 auteurs interpellés par une écriture soignée. Michel Joiret est manifestement un grand amoureux, compulsif et pas jaloux, qui aime comme un fou et invite avec ses collaborateurs et intervenants à admirer, adorer la littérature. Tito Dupret Les écrivains du passé n’ont jamais cessé de nous parler. Il nous appartient de les écouter, même si l’écoulement du temps a pu érailler leurs voix, même si les relais de lecture intergénérationnels sont aujourd’hui moins assidus, même si la primauté de l’image a pu dérouter les chemins d’écriture. L’œuvre des Illustres est l’ADN de chacun de nous. Quand l’oreille intérieure et l’œil se font moins vifs et sortent du champ de lecture, il nous reste le trésor des pierres, des lieux signifiants – comme les aubépines de Marcel au Pré Catelan –, l’intimité d’une table, d’une plume et d’un encrier – comme l’écritoire de Jean-Jacques à Montmorency. Comme l’écrit Pierre Mertens dans son avant-dire : « Allons ! Comment se lasserait-on de ces retours aux sources sur les lieux du crime – ce crime fameusement “impuni” : la lecture ? » Ou la relecture ?… Au fil de ses voyages, ses rencontres et ses chemins d’écriture, la revue « Le Non-Dit » nous emmène sur les traces d’Alain-Fournier, Marcel Proust, Pierre de Ronsard, Pierre Loti, François-René de Chateaubriand, George Sand, Maurice Leblanc, Madame de Sévigné, Alexandre Dumas, François Rabelais, Michel de Montaigne, Erasme, Colette, Blaise Cendrars, Pierre Mac Orlan, Francis Carco, Georges Brassens, Jean-Jacques Rousseau, Maurice Maeterlinck, Marguerite Duras, Jean Cocteau,…
Les Chroniques de Mapuetos (volume 4) : Next (F9) - 111 portraits oniriques
Plaçant l’écriture à hauteur du rêve, élisant le royaume onirique en voie royale des mondes alternatifs, Patrick Lowie use du verbe comme d’un chaman. Dans la lignée du surréalisme, sa pratique hallucinée et méthodique des rêves produit cent onze portraits oniriques tracés à partir d’un songe que lui confient les personnes connues ou non qu’il sollicite. Patrick Lowie bâtit une œuvre aux confins des univers qui bifurquent de Borges et d’une expérience des vertiges, des dédoublements. Les polarités du réel et de la fiction, des états conscients et des brumes d’Hypnos perdent leur contour, sont sujettes à des renversements au terme desquels le fictif s’avère porteur d’un sur-réel tandis que la réalité se dissipe en brumes. Au travers des évocations de David Giannoni, Dolorès Oscari, Christo Datso, Isabelle Wéry et de cent sept autres, l’auteur nous délivre des clés d’intelligibilité, découvre des portes secrètes qui, par l’aiguillon d’un imaginaire en roue libre, approchent des zones insoupçonnées que recèle chaque être. Grand sorcier en quête de correspondances, voyageant dans le passé et les réalités parallèles, Patrick Lowie convoque morts et vivants sur une même scène où les lois communes n’ont plus cours. Les récits oniriques qu’il a recueillis de cent onze personnalités sont autant d’indices, de dépôts qu’il convertit en passages initiatiques. Par le détour de l’imagination et des synesthésies, par des épreuves de désaxage spatio-temporel, il capte des scènes nucléaires, des miroirs qui réverbèrent des facettes inattendues des cent onze personnalités. Un poète traverse les murs de la langue comme il circule dans le ventre des siècles. Virtuose de la mise en abyme, Patrick Lowie inscrit ces portraits dans sa chronique du territoire de Mapuetos. « Une ville qui n’existe pas dans un pays qui n’existe pas » : la définition de Mapuetos, ce lieu mystérieux découvert par un poète dénommé Marceau Ivréa, doté d’un volcan « cracheur de mots », se translate à l’aède Lowie, scribe ramenant de l’ailleurs des éclats de voix qui creusent une ligne ésotérique sous le niveau exotérique des faits. L’auteur tire un portrait comme on tire les cartes au tarot ; il déboîte l’agencement du réel en lisant entre les plis de l’invisible, en déchiffrant à l’arrière des êtres le théâtre de leurs pulsions, de leurs tribus d’esprits. Lire aussi : Patrick Lowie, Marceau Ivréa et la montagne fictive de sagesse Pas d’analyse psychologique mais une écriture qui est cérémonie et transe, pas de descente dans le petit tas de secrets de chaque moi, pas de littérature œdipienne mais une errance dans la langue des grands rêveurs, des buveurs d’absolu. Lire l’autre, c’est aussi se lire soi au travers de l’altérité. L’autre logique, la fécondation de la raison par l’ésotérisme et le nonsense donnent à percevoir des dimensions occultées par l’empire du bon sens. Dans le portrait de Brigitte Nsie, l’auteur cite René Char : « Les mots qui vont surgir savent de nous des choses que nous ignorons d’eux ». En lui confiant des bribes de rêve et même en refusant de les lui livrer (le geste de soustraction libère ce qu’il tait, divulgue un symptôme, une langue), nous ne sommes plus sans savoir désormais que Patrick Lowie sait de nous des choses que nous ignorons de nous-mêmes. Si le chaman est l’ « anomal » (Deleuze) qui, descendant en l’autre, fait l’expérience d’un devenir qui le métamorphose, nul doute que Patrick Lowie soit une créature…