Cosmopolitiques | Objectif plumes

Cosmopolitiques

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Le Carnet et les Instants

Isabelle STENGERS, Cosmopolitiques, La découverte/ Les empêcheurs de penser en rond, 2022, 628 p., 26 €, ISBN : 978-2-35925-222-4Accompagnée d’une préface, « Vingt-cinq ans après », la nouvelle édition de Cosmopolitiques réunit en un seul volume les sept ouvrages publiés en 1997. Dans ces sept ouvrages devenus sept parties (La guerre des sciences ; L’invention de la mécanique : Pouvoir et raison ; Thermodynamique : la réalité physique en crise ; Mécanique quantique : la fin du rêve ; Au nom de la flèche du temps : le défi de Prigogine ; La vie et l’artifice : visages de l’émergence ;  Pour en finir avec la tolérance), Isabelle Stengers déplie les « chemins d’une pensée spéculative ».…


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La fabrique de l’émancipation. Repenser la critique du capitalisme à partir des expériences démocratiques, écologiques et solidaires

Voici un livre à la fois ardu, son écriture porte les traces des cours et des travaux universitaires dont il est issu, et surtout précieux, son ampleur nous donne un bilan argumenté des théories et des pratiques économico-sociales contemporaines.Le titre, La fabrique de l’émancipation , conjoint de façon qui peut sembler étrange deux mots divergents : la matérialité du premier ne s’oppose-t-elle pas à l’idéalité du second ? Et l’action, au sens politique arendtien de la capacité d’initiative, de commencement, de «  faire naître  » une réforme, une institution, une libération, n’est-elle pas plus ajustée : si l’émancipation est possible n’est-ce pas dans l’action, plurielle et responsable ? Cette apparente opposition négligerait ce que Arendt comme Bruno Frère et Jean-Louis Laville  cherchent à éclairer : l’ouverture de l’espace et du temps de la politique dans le langage qui ouvre l’action. Laquelle est façonnée entre autres dans la « fabrication » des théories politiques, mais de façon insuffisante parce que coupée des inventions effectives. Tel apparaît le double but des auteurs, Bruno Frère et Jean-Louis Laville : d’abord, donner la synthèse des « fabrications » fictionnelles (façonnées en langages des sciences et des philosophies sociales, non fictives pour autant), toutes négatives, proposées depuis deux siècles par les théories de l’émancipation ; mais, ensuite, les mettre face aux pratiques auxquelles elles devraient faire droit, à leurs « fabriques » actives d’émancipation, largement positives, dans les mouvements de révoltes et d’organisations sociales, porteuses de ré-institutions démocratiques. Du paradigme négatif au paradigme associatif Les premiers chapitres mènent à bien la critique (saisie des limites) de la critique (dénonciation) des obstacles à l’émancipation sociale. Sont tour à tour convoqués les grands noms de la critique sociale : Adorno, Horkheimer, Habermas, Honneth, Bourdieu, Latour, Boltanski, principalement. Et dans la foulée, avec justesse et précision, non sans nuances, est décelé l’enfermement de cette tradition dans la critique négative du capitalisme. Le paradoxe de cette position vient de ce que, du fait de sa négativité sans issue, elle ne cesse de dénoncer ce qu’elle constitue en indépassable, le marché capitaliste. Et cela, faut-il le préciser, d’autant plus que les tentatives de révolution de type communiste ou même de réformes de type social-démocratique (liées à l’État-Providence) ont montré leur échec total ou leur réussite trop partielle pour résister aux crises économiques et écologiques.Or ce que cette position néglige, c’est une alternative à la domination qui prend racine dans l’associationisme du 19e siècle, celle des coopératives, des mutuelles ou des crèches, car cette tradition est aujourd’hui ravivée dans de multiples innovations sociales porteuses de nouvelles institutions. Sans remettre en cause la pertinence des critiques négatives, la possibilité d’une critique constructive est mise en valeur dans l’autre moitié du livre. Les «  épistémologies du Sud  » (Boaventura de Sousa Santos, Anibal Quijano…) montrent ainsi que les révoltes populaires sous la bannière du «  bien vivre  » ou du «  care  » expérimentent des «  expériences de sociabilité non capitaliste  ». De l’association à l’Économie Sociale Solidaire Ce qui se fait jour dans ces expériences, des conseils communaux zapatistes du Chiapas à la ZAD de Notre-Dame-des Landes parmi tant d’autres, ce sont autant d’émergences de nouvelles institutions démocratiques, hybrides et diverses parce qu’impures. Exemple privilégié, l’expérience de l’ONG féministe brésilienne, Sempreviva Organizaçao Feminista, «  a implanté la politique d’assistance technique à l’agro-écologie du gouvernement fédéral de 2015 à 2017 ainsi que des programmes de coopération internationale  » en s’appuyant sur l’auto-organisation des femmes se dégageant du patriarcat.En définitive, via Karl Polanyi qui préconise le «  désencastrement  » de l’économique et du social et Cornelius Castoriadis qui marque la nécessité de la «  praxis  » instituante (non sans divergence avec la pensée démocratique de Claude Lefort), Frère et Laville en appellent à un «  universel concret  » où la macropolitique se nourrit de la micropolitique. En dépit d’une distance notée avec légèreté par rapport à Hannah Arendt et d’un privilège affiché à la «  description  », c’est bien l’action politique qui se voit remise à l’avant-plan, mais débarrassée des incantations, morales et autres, contre le «  système  ». Il est d’autant plus étonnant que, au-delà de l’enquête et de l’analyse, rien n’est indiqué au plan politique sur «  l’approfondissement de la démocratie  » par la «  transition  » qu’impose la crise sociale-écologique à l’émancipation.Donner droit aux multiples initiatives des luttes, des assemblées et des associations, à l’économie solidaire que pratiquent ces dernières, n’ouvre-t-il pas la voie d’une ré-institution de la démocratie électorale représentative où la démocratie horizontale, bien plus que par une participation consultative, recevra un pouvoir législatif effectif en alternance avec la démocratie verticale en crise [1]  ? Il n’empêche : ce livre foisonnant est bel et bien indispensable à la compréhension des transformations de notre monde. Éric Clémens [1] En dialogue avec les auteurs, je me permets de renvoyer à mon essai, Pour un pacte démocratique.…

Ellen Ripley : Survivre à l’alien. Survivre à l’avenir

Christophe MEUREE , Ellen Ripley. Survivre à l’alien. Survivre à l’avenir , Impressions nouvelles, coll. « La fabrique des héros », 2025, 128 p., 13 € / ePub : 8,99 € , ISBN : 978-2-39070-212-2Eût-il fallu attendre, patiemment, la naissance d’un écrivain tel que Christophe Meurée , alien au sein des lettres (cette personne étant – au même titre que Sigourney Weaver, actrice qui a incarné Ellen Ripley – au croisement de la recherche, de l’enseignement et de l’art) pour comprendre davantage qui est ce personnage d’Ellen Ripley ? Ce personnage un peu bizarre de la saga Alien qui accouche de trucs tout aussi monstrueux, peu importe la forme ? Nous en sommes certains : Christophe Meurée, en digne descendant de cette dernière, au travers de son ouvrage Ellen Ripley. Survivre à l’alien. Survivre à l’avenir , édité dans la collection « La fabrique des héros » aux Impressions nouvelles, a lui aussi engendré un monstre. Et non des moindres. Cet opus, à la fois d’une érudition étourdissante qui ravira les plus fanas de la saga Alien et d’une limpidité quant aux problématiques que soulèvent cette fameuse femme plus ou moins fictive qu’est Ellen Ripley, possède tout pour nous emporter à bord d’un vaisseau spatial, où tout ce qui se contient en nous se libère, se délivre. Le livre : une espèce d’ ovni où la lecture se pose comme un labyrinthe avec force renvois, références au sein de lui-même (comment formuler ? nous sommes aussi monstres dans notre parole), sans trop en dire ni trop en rajouter. Il invite le lecteur à la plus grande concentration qui soit. En plein cœur de la vie, donc. Quoique… Pour comprendre Ripley, il faut la voir à la fois comme un tout cohérent et comme un mythe éclaté, dont les sources ne sont pas entièrement fiables, dont on cherche inlassablement à saisir la valeur archétypale. […] Il faut la voir comme celle qui survit à la réécriture perpétuelle de son propre destin tragique, à son cauchemar sans fin.  Ellen Ripley, personnage insaisissable par excellence puisqu’aucun réalisateur de la saga Alien n’aura su, selon Meurée, la «  posséder  », «  ne propose aucune utopie : juste une fuite, une échappée belle vers la vie même, cette vie nue, parfois monstrueuse  ». Christophe Meurée a pris le personnage à rebours, en y décelant des grandes lignes de force : « Témérité », « Féminité », « Médiumnité », « Immortalité » pour n’en citer que quelques-unes, où l’écrivain a apposé/opposé un contrepoint qui vient faire force d’équilibre. Là est la grande force du livre : à l’instar des aventures d’Ellen Ripley, rien n’est figé. Rien. Tout donne à penser, à tel point que le lecteur, potentiellement, ne sait plus ce qui pèse davantage, tout est matière à accoucher, sans s’efforcer, d’une pensée monstre. Il faut revoir tous les films.Ce qui frappe peut-être à la lecture de ce livre est l’accent mis sur la survivance , quelle que soit sa forme : convoquant des auteurs, références ou techniques cinématographiques, Christophe Meurée envisage aussi, discrètement, le personnage d’Ellen Ripley sous l’angle de la temporalité. À travers elle, il interroge aussi le lien à la technologie, aux problématiques qui engagent ou gangrènent notre époque. À ce titre, après avoir fini la lecture de cet opus magistral, nous ne serons peut-être pas totalement sûrs d’avoir cerné qui est Ellen Ripley. Et heureusement car c’est là une caractéristique aussi éblouissante que fondamentale de ce livre : «  juste une fuite  » – juste une fuite. Jusqu’au prochain alien . Charline Lambert Plus d’information « Dans l’espace, personne ne vous entend crier », annonçait la phrase d’accroche de l’affiche française d’ Alien  en 1979. Pourtant, la voix de Ripley, «  last survivor of the Nostromo  », continue de résonner à travers l’espace et le temps, de films en  comics , de jeux vidéo en évocations romanesques, théâtrales ou philosophiques. Si le xénomorphe est souvent considéré comme le personnage principal du film, c’est Ellen Ripley qui en est l’héroïne : ce duo indissociable de l’alien et de la femme qui le met en échec à chaque nouvelle rencontre a profondément marqué la science-fiction de son empreinte. Né dans l’imagination de Dan O’Bannon et Ronald Shusett, le personnage de Ripley n’était pas destiné à être de sexe féminin. Pourtant, c’est bien à Sigourney Weaver, jeune comédienne issue du théâtre, que Ridley Scott confie le rôle principal du film qui lancera leurs carrières respectives. Ripley apparaît dans quatre longs-métrages signés par des réalisateurs de talent :  Alien  (Ridley Scott),  Aliens  (James Cameron),  Alien 3  (David Fincher) et  Alien Resurrection  (Jean-Pierre Jeunet). Si réalisateurs et scénaristes sont tous de sexe masculin, il n’empêche qu’ils ont tous participé à la création de l’un des modèles d’héroïne parmi les plus puissants de la fiction contemporaine : une femme qui se révèle forte dans l’épreuve, capable de surclasser n’importe quel homme, tout en assumant pleinement sa vulnérabilité. Le lieutenant Ellen Ripley lutte non seulement contre une espèce extraterrestre parasitaire mais aussi contre un empire technologico-financier avide de profit et prêt à tous les sacrifices (surtout ceux d’autres êtres humains) pour s’approprier la pure puissance de l’alien. Éternelle survivante, Ripley se voit condamnée à une errance sans fin (jamais elle ne retourne sur la Terre, sinon en la survolant, à la fin du quatrième opus, alors qu’elle n’est déjà plus tout à fait humaine, produit d’un clonage qui a mêlé l’ADN humain et l’ADN du xénomorphe). Si elle est femme, mère, profondément humaine, elle tend irrémédiablement vers la monstruosité inhumaine que lui assigne ce rôle d’éternelle survivante, capable de prédire le futur immédiat (les dangers de l’action ou de l’inaction) comme le lointain (les dérives de l’humanité). Héroïne, Ripley l’est en ceci qu’elle représente ce qui, de l’avenir d’une humanité dévoyée, est…