Jacques Crickillon ou la littérature en instance d’oubli. Suivi de La poésie est une guerre indienne par Jacques Crickillon

RÉSUMÉ

Jacques Crickillon, né à Bruxelles en 1940, nous a donné, depuis La Défendue, son premier livre publié en 1968 par André De Rache, jusqu’à Litanies, publié par Le Taillis Pré en 2016, un matériau poétique singulier et brûlant. Et pour tout dire fascinant. Il faut mettre en perspective cette musique lancinante, tour à tour tendre ou violente, qui court tout au long des pages de cette œuvre et la perspective d’écriture qui tend à son propre effacement. Basé sur une respiration interne, qui lui permet, sous la dictée des puissances obscures du lyrisme, d’épouser toutes les formes stylistiques imaginables et de puiser à un vaste répertoire à la fois prosodique et métaphorique, le texte poétique explore, avec une constance remarquable, de vastes territoires imaginaires, fantasmés ou réels, des contrées étranges, une flore et un bestiaire singuliers, souvent, mais pas toujours, exotiques. Le style sensuel, fait de rythmes variés, d’un  double registre verbal, poétique et prosaïque, le recours au procédé de la science-fiction, souvent américaine, à celui des sagesses orientales, du polar, des grands romans d’aventure et de la création d’une mythologie personnelle, définissent la couleur tout à fait novatrice de cette œuvre au caractère rhizomatique indéniable.

À PROPOS DE L'AUTEUR
Éric Brogniet

Auteur de Jacques Crickillon ou la littérature en instance d’oubli. Suivi de La poésie est une guerre indienne par Jacques Crickillon

Éric Brogniet est né le 16 août 1956 à Ciney. Après avoir longtemps séjourné dans le Namurois, il s’est désormais installé dans la région de Charleroi d’où provenait son père. Non loin aussi du Bois du Cazier, lieu de mémoire qu’il a abordé dans Tutti Cadaveri (L’Arbre à paroles, 2017), un livre dans lequel le redoutable analyste qu’il est, traite, sans concessions, de la dure réalité de cette catastrophe et de ses laissés-pour-compte. Documentaliste à Liège, puis au Gouvernement provincial de Namur, il travaille ensuite comme conseiller littéraire à la Maison de la Poésie de Namur où il fonde Sources, revue contemporaine majeure (comprenant, entre autres, une collection d’anthologies des poésies européennes). Il sera aussi conseiller d’un ministre des Arts, des Lettres et de l’Audiovisuel et enfin, de 2004 à 2014, directeur de la Maison de la Poésie de Namur. Il est, depuis 1982, l’auteur d’une bonne vingtaine de livres de poésie, d’essais et de très nombreux textes critiques. Femme obscure (Le Pont de l’Epée, 1982) et Terres signalées (Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1984) l’installent d’emblée parmi les jeunes poètes de talent. Il reçoit d’ailleurs les prix Hubert Krains et Robert Goffin. Deux années plus tard, Le Feu gouverne (L’Âge d’Homme, 1986) est récompensé par le prix Max-Pol Fouchet, ce qui fait de lui, dès ses trente ans, l’un des meilleurs poètes d’une génération que Liliane Wouters a appelée «la génération expo 58». Jean Orizet, dans sa préface au Feu gouverne, disait, à propos de son écriture qu’elle «consiste bien à transgresser sans cesse le réel pour en faire, non pas un surréel, encore moins un irréel, mais un réel supérieur, cette synthèse entre mythe et réalité, impossible pour la pensée scientifique, mais que l’imaginaire poétique parvient à concevoir». C’est un recueil où, dans un monde éclaté, la place de l’humain est abordée sans détour. Cette attitude critique — face au monde et à ses égarements — sera désormais sienne de livre en livre, ce qui fera dire au chroniqueur Christophe Van Rossom que «devant le progressif désenchantement qui frappe le monde depuis environ un siècle et demi, Brogniet refuse catégoriquement toute forme d’angélisme». En 1987, Usage du rêve (Cahiers Froissart, 1987) se voit décerner le prix Pierre Basuyau et le prix Malpertuis de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique en 1990. Des tableaux de Magritte, De Chirico, Ernst et bien d’autres y sont revisités par le rêve ou le désir. Brogniet, il faut le souligner, a souvent jeté des ponts entre poésie et peinture. On lui doit, dans ce registre, des ouvrages tels que Les Jardins de Monet (L’Arbre à paroles, 1989), Visage de Jeanne Modigliani (Nemapress Éditions, 1990), Nicolas de Staël, le vertige et la lumière (Galiena, 1991), etc. C’est encore sous les auspices de la peinture qu’il fait paraître L’Atelier transfiguré (Le Cherche-Midi, 1993), constitué de quatre parties où apparaissent la figure et le travail des créateurs, Modigliani ou Chagall. Un titre récompensé par le prix Louise Labé en 1994. L’Ombre troue la bouche (L’Arbre à Paroles, 1996) aborde une autre thématique, elle aussi récurrente dans cette oeuvre résolument engagée, à savoir la Shoah et l’univers concentrationnaire, lieu de l’enfer personnel ou collectif. La Nuit foudroyée (Le Geai Bleu, 1997) tient aussi de ce registre-là, où génocide et condition humaine s’entremêlent. Autoportrait au suaire (L’Âge d’Homme, 2001), livre essentiel s’il en est, s’intéresse à l’errance et témoigne de l’engagement du poète, tout comme dans Nos Lèvres sont politiques (Tétras Lyre, 2000). On ne peut oublier ces œuvres remarquables que sont Dans la chambre d’écriture (L’Âge d’Homme, 1997), prix Maurice Carême en 1997, et Ce fragile aujourd’hui (Le Taillis Pré, 2007) où l’homme apparaît confronté à la beauté et à l’expérience du gouffre. Ulysse, errant dans l’ébloui (Le Taillis Pré, 2009) évoque, pour sa part, la figure du «survivant d’un naufrage intérieur» et notre fragilité. Ces dernières années, Éric Brogniet a fait paraître deux livres essentiels : Radical Machines (Le Taillis Pré, 2017) et Bloody Mary (Le Taillis Pré, 2019). Le premier est une sorte de livre «post-apocalyptique» où le poète nous plonge au coeur d’un monde où la machine règne en maître. Quant au second, il s’agit d’un voyage à travers l’Amérique des années soixante et de l’évocation d’une icône, Marilyn Monroe, et de son destin tel «une tragédie grecque». Une approche, non négligeable dans cette œuvre abondante, est celle de l’écriture érotique que Brogniet pratique volontiers, allant jusqu’à dire que «c’est la chair qui fait le verbe» et non l’inverse. Citons, à ce propos, La Tentation de Saint Antoine (Sources, 1996), éloge du désir et de la chair, Rhétorique de Sade (L’Arbre à paroles, 2000), Mémoire aux mains nues (Le Cormier, 2001), Géométrie de la fièvre (Hayez, 2008), À la table de Sade (Le Taillis Pré, 2012) ou ses contributions à Masques, corps, langues (Classiques Garnier, 2017). S’il est par essence poète, Éric Brogniet est aussi essayiste. On lui doit ainsi des publications sur La Poésie arabe moderne : vers un nouvel humanisme? (La Renaissance du livre, 2001), Christian Hubin : le lieu et la formule (Luce Wilquin, 2003), Jean-louis Lippert : approche du narrateur en aède athlète, anachorète (Luce Wilquin, 2003) ou Jacques Crickillon : la littérature en instance d’oubli (Samsa/ARLLFB, 2017). S’appuyant sur un «lyrisme critique» dont parle Jean-Michel Maulpoix dans son essai La Voix d’Orphée, toute l’œuvre d’Éric Brogniet témoigne d’un engagement profond où le poème reste «une tension permanente entre la plénitude et le gouffre» et se pose en questionnement incessant sur notre condition humaine.
NOS EXPERTS EN PARLENT...
Le Carnet et les Instants

Il fallait un poète pour rencontrer l’œuvre de Jacques Crickillon, pour donner lieu à une danse de planètes mue par la question du geste poétique.   Après la très belle étude de Christophe Van Rossom, Éric Brogniet livre en poète une traversée des créations de l’Apache Crickillon, des cycles d’écriture qui, de La Défendue à L’Indien de la Gare du Nord, de Colonie de la mémoire à Ténébrées, du Tueur birman à Sphère, À Kénalon I et II, portent le verbe au bord du gouffre, sur les cimes de la sécession, loin des bonnes mœurs littéraires. Taillés dans le vif-argent d’une langue réinventant ses pouvoirs comme ses impuissances, la poésie, les nouvelles, les romans de Crickillon se tiennent sur…


AVIS D'UTILISATEURS

FIRST:oeuvre poète poésie - "Jacques Crickillon ou la littérature en instance d’oubli. Suivi de La poésie est une guerre indienne par Jacques Crickillon"
stdClass Object ( [audiences] => [domains] => Array ( [0] => 9174 ) )

Ceci pourrait également vous intéresser...

Vous me coucherez nu sur la terre nue : L'accompagnement spirituel jusqu'à l'euthanasie

Les éditions Albin Michel publient un nouveau livre de Gabriel Ringlet : Vous me coucherez nu sur la terre nue. L’accompagnement spirituel jusqu’à l’euthanasie .Autant le dire d’emblée : il y a dans ces 230 pages tant de perles et de pépites que c’est un véritable trésor, un livre qui fait du bien, un livre qui aide à vivre celui qui sait qu’un jour il va mourir, sans connaître le jour ni l’heure, … ni les conditions de ce grand pas\sage.  Le titre (une instruction de François d’Assise pour sa mort qu’il savait imminente) fournit la structure des différentes parties du livre au travers d’une grande métaphore qui invite le lecteur à successivement « Prendre l’habit », « Déchirer la robe », « Déposer la bure » et « Revêtir la coule ».Ce vocabulaire est bien sûr tiré du lexique monastique mais le livre n’est pas pour autant réservé ni même spécialement adressé à des lecteurs chrétiens.  Il ne s’agit pas non plus d’un énième écrit « sur l’euthanasie » ni d’un traité théorique. Gabriel Ringlet, nourri autant par ses lectures poétiques que par son expérience de l’accompagnement vers la mort et de la célébration des rites spécifiquement chrétiens, nous offre dans un texte riche la possibilité d’un parcours tout empreint de délicatesse et d’empathie. De la poésie avant toute chose ! Même – et surtout ? – dans la souffrance et dans la proximité de la mort.  Une très belle  page (parmi tant d’autres, ici, p. 36) exprime combien la poésie est l’essence de la vie et non une option, une babiole facultative pour faire joli dans le décor.  « La poésie seule, écrit Louise [Michel], sait braver le mal et la mort.  Elle est semblable au vent qui use peu à peu la dureté du monde. » ( Le roman de Louise , Henri Gougaud, p. 167).  Les poètes, morts ou vifs, en œuvre ou en personne, en bonne santé ou souffrants sont très présents dans ce livre : je pense à la fin de parcours de Jacques Henrard, à tel beau texte d’Yves Namur (p. 96), à tel autre de Corinne Hoex (p. 171).  Au fil des pages, le lecteur rencontre (ou est invité à le faire) Henri Meschonnic et Jean Sulivan, André Schmitz et Philippe Mathy, Jean Grosjean et Kafka…Pour autant, cet ouvrage n’est pas déconnecté de la (dure) réalité du sujet, il n’élude pas les difficultés et n’ignore pas les dernières avancées législatives en la matière.  Il pose une des vraies questions, dans la bouche d’une vieille sœur carmélite qui en a assez et plus qu’assez d’attendre de mourir (« C’est trop ! ») mais dont personne « ne veut entendre [la] question spirituelle, pourtant si urgente » et qui se demande d’ailleurs elle-même si elle est bien en droit d’oser souhaiter l’euthanasie.L’auteur est évidemment d’une discrétion absolue sur les personnes dont il a accompagné la fin de vie mais il en cite d’autres à qui leur notoriété a déjà  valu l’exposition médiatique.  Ainsi en est-il du décès aidé de Christian de Duve qui, tout en ayant affirmé sa non-croyance et en ayant choisi  le moment de sa mort, n’en désirait pas moins que la cérémonie laïque chère à ses vœux soit célébrée de préférence dans une église.  À l’occasion de quoi on découvre une Église moins monolithique et moins crispée que ce qu’on en dit ici et là. À la suite de quoi on découvre aussi combien de prêtres anonymes sont confrontés à ce genre de demande par des familles ordinaires.« Mettre fin à la vie de quelqu’un est un mal. Le laisser dans la souffrance absolue est un mal aussi » déclarait l’auteur dans une interview donnée le 6 juin 2013 au journal Le Soir suite au décès du Professeur de Duve deux jours auparavant.  Et il est vrai que les principes, pour nécessaires qu’ils soient, ne règlent pas tout dans la vie, tant les situations peuvent être diverses, complexes, difficiles.  Ce livre a le mérite d’aborder le problème tout en esquissant, au fil des pages, les solutions, les réseaux de soins, l’implication d’un personnel médical compétent qui permettent à l’humain d’avancer, de traverser les difficultés. « L’éthique, ce n’est pas une personne qui sait, mais plusieurs personnes qui cherchent. » (p. 132) a déclaré Jean Leonetti, père de la loi qui porte son nom, relative aux droits des malades et à la fin de vie et promulguée en France le 22 avril 2005. Gabriel Ringlet n’oublie pas, dans son ouvrage, d’évoquer la difficulté et souvent la souffrance aussi qui pèsent sur le personnel soignant, comme en témoigne le docteur Van Oost : « Chaque euthanasie est véritablement le lieu de Gethsémani » (p. 136) et l’auteur d’enchaîner avec le récit du combat nocturne de Jacob avec ce mystérieux personnage qui  lui est envoyé.Le livre ne s’adresse ni spécifiquement aux laïques, ni spécifiquement aux croyants.  Chaque « honnête homme » de bonne volonté y trouvera matière à réflexion et à ouverture du cœur.Écoute et délicatesse en sont les piliers.C’est  juste, c’est beau.C’est juste beau. Marguerite ROMAN PS à l’éditeur : Quelle plaie pour le lecteur que le renvoi des notes en fin de volume ! ♦ Lire un extrait…

Le mouvement romantique en Belgique (1815-1850). II Vers un romantisme national

À propos du livre Nonum prematur in annum… L'exigeant précepte d'Horace a trouvé, cette fois, sa rigueur dépassée, puisque c'est de 1948 qu'est daté le premier tome du présent ouvrage. Bien malgré nous, il est vrai : des occupations professorales absorbantes, la maladie ensuite, puis de cruelles épreuves familiales ont, trop longtemps sans doute, retardé la rédaction, la mise au point et l'achèvement de ce tome II et dernier. On s'en excuse. Après un tel délai, peut-être n'est-il pas inutile de rappeler à cette place le dessein qui n'a pas cessé d'être le nôtre. C'est de poursuivre, dans le milieu belge, entre 1815 et 1850, une enquête attentive sur l'évolution des idées, des tendances et des réputations littéraires. La suivant à la trace, nous avons cherché à en préciser la marche dans les esprits et dans les écrits de ce temps. Revues et journaux, préfaces et critiques nous ont fourni l'essentiel de notre documentation. Nous avons tenu le plus grand compte des influences étrangères, et singulièrement de celle du romantisme français, dont la contrefaçon multiplie alors les oeuvres parmi nous. Et nous n'avons pas négligé de mesurer, quand il y avait lieu, les répercussions des événements politiques ou sociaux sur le devenir, en nos provinces, de la «chose littéraire». Notre propos a donc été, dans l'essentiel, l'étude d'un mouvement d'idées. On aurait tort de chercher ici un relevé complet des auteurs belges de l'époque romantique et un catalogue de leurs ouvrages. Nous avons, pour notre modeste part, essayé de tracer un tableau abrégé de cette époque de notre passé littéraire dans quelques chapitres de la grande Histoire illustrée des lettres françaises de Belgique, dont nous avons naguère dirigé la publication avec notre savant confrère et collègue, M. Joseph Hanse. On nous permettra d'y renvoyer. Ici, la production nationale nous intéresse avant tout dans la mesure où elle rend témoignage de la marche des idées littéraires ou en illustre le cheminement. Volontairement réduites au minimum, nos indications bibliographiques sont, strictement, celles des textes qui ont fourni nos citations ou autorisé nos conclusions. En d'autres termes, notre dessein a été ici, avant tout d'apporter une contribution valable à l'histoire des idées, er souhaitant qu'elle puisse servir à illustrer un jour ce que notre regretté maître Fernand Baldensperger appelait «une sorte de philosophie de la vie et du mouvement en littérature». Nous ne nous flattons pas d'y avoir réussi. Du moins espérons nous qu'on pourra trouver aux pages du présent tome, comme à celles du précédent, des citations nouvelles ou peu connue: et des témoignages inédits,…

Pirotte, le pays du hasard

S’engouffrer dans les méandres du fleuve Pirotte n’est pas…