Ces princes de la futilité


RÉSUMÉ

Les communications et discours, rassemblés dans le présent volume, révèlent quelques-uns – pas tous – des domaines de prédilection de Georges Sion : le théâtre, la musique, la critique, la littérature.

Ces textes ont été prononcés à l’ARLLFB entre 1964 et 1995 lors des séances mensuelles ou des séances publiques.



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Lire un extrait On dit que, comme les gens, les peuples heureux n'ont pas d'histoire parce qu'ils ne paraissent pas avoir d' histoires. C'est peut-être pour cela qu'une Europe dont le destin abonde en drames et en tragédies devait au contraire secréter, ou se créer une culture où les grands cris de l'âme humaine retentiraient longuement, où les mythes des vieilles mémoires collectives parleraient de l'homme aux prises avec ce qui l'écrase, où chaque peuple célébrerait plus de martyrs que de héros heureux. Ainsi le sacrifice d'Iphigénie pour le vent dans les voiles, la protestation d'Électre devant le meurtre, ou l'horreur d'Œdipe devant lui-même ont-ils inauguré une fabuleuse série de plaintes, de prières ou de malédictions, dont la force créatrice a passé d'un âge à l'autre, d'une langue à l'autre et d'un art à l'autre. Ainsi entendons-nous toujours les Suppliantes ou les Troyennes, et depuis lors Roland ou Iseut, Faust ou Hamlet, Polyeucte ou Othello, Cléopâtre ou Bérénice, Egmont ou Marie Stuart, Thomas Becket ou Sygne de Coûfontaine, les clochards de Beckett ou le roi qui meurt chez Ionesco. Et tout autant Orphée que Gluck mène aux Champs-Élysées : les Dieux que Wagner mène au crépuscule; Boris que Moussorgski mène à la mort; Woyzeck qu'Alban Berg mène à la noyade. Ainsi disposons-nous d'innombrables poèmes, de milliers de romans, de tableaux ou de statues qui racontent tous que la vie est cruelle. Cette Europe-là devait naturellement tenter d'inventer des consolations, des rires libérateurs et des occasions d'oublier quelquefois qu'elle s'était souvent faite dans les pleurs et le sang. Parallèlement au chemin des douleurs, on peut remonter presque aussi loin sur le chemin des plaisirs : aux gaudrioles étincelantes d'Aristophane, qui inaugurent une longue série de satires, de farces et de gaieté. On y rencontre Pathelin ou Falstaff, Alceste ou Sganarelle, Arlequin ou Figaro, les bourgeois de Labiche et les cinglés de Courteline, les dandys d'Oscar Wilde ou les valseurs de Johann Strauss, Buster Keaton ou Jacques Tati. Tous les moyens que l'homme se donne, en dehors de la drogue, pour oublier ses problèmes ou ses drames, nous les retrouvons au fil du temps. Il leur arrive d'être subtils ou de devenir faciles, mais ils sont là, contrepoint ou contrechant libérateur de la dure voix de la souffrance. Pourtant, derrière cette Europe double, évidente et souvent géniale, il est fascinant d'en distinguer peu à peu une autre. Elle dit aussi des choses essentielles, mais elle est la voix mesurée, la langue secrète et le sourire esquissé. Dans l'histoire des œuvres, on dégagerait aisément une lignée, ou plutôt une famille d'œuvres qui se signalent par la tendresse, la furtive inquiétude ou la discrète angoisse de créatures surprises dans le drame du jeu. Les personnages qui sont les membres de cette famille se séparent dans l'espace et le temps. Ils ne sont pas nécessairement influences, et pour certains, on est même assuré qu'ils s'ignorent. Simplement ils sont là, et l'on s'aperçoit alors que s'ils ne sont pas du même rang, ils sont marqués du même signe : le mystérieux attrait de ceux qui mettent un masque léger à leur âme lourde. Voici les amoureux de Shakespeare qui savent que, malgré le titre d'une comédie, beaucoup de bruit n'est jamais fait pour rien, et ceux de Marivaux qui vivent toujours un grave et difficile amour. Voici la Fontaine parlant de Mme de La Sablière et Watteau qui embarque pour Cythère comme vers un bonheur tôt menacé. Voici Musset qui vit dans le plaisir en sachant qu'il vit dans l'irrémédiable, et Giraudoux qui restaure, avec des rires, la tragédie perdue. Voici Mozart de Schubert à chaque instant de leur génie, avec eux l'Autriche et Vienne où la joie est à la fois si vive et si trompeuse. Voici Tchékhov, avec ses créatures légères qui vont mourir ou vivre une longue mort. Et tant, tant d'autres. Futiles? Apparemment oui, mais si beaux et souvent si déchirants qu'on a envie de les prendre sur son cœur. Leurs créateurs sont les Princes de la Futilité.
Table des matières Préface, par Georges-Henri Dumont Ces princes de la futilité Les Princes de la futilité «Good night, sweet prince» Le Prince de Ligne 1735-1985. L'Europe qui l'entourait Byron, l'homme qui a fait rêver l'Europe Une pensée pour Giraudoux Théâtre Shakespeare, ou l'homme qui n'a pas d'âge Tennessee Williams un tramway nommé Départ 200 ans. Un bel âge pour Figaro marié Théâtre et poésie ou Le dialogue des parallèles Le théâtre et la critique La création de La Matrone d'Ephèse : une aventure difficile Robert Garnier ou les oubliés de la Renaissance Maeterlinck : le chant de la source et la source du chant Le théâtre de Paul Claudel Varia Pour le centenaire de Colette L'avenir du passé

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Outre l'exemple de Marchands , on pourrait encore évoquer la nouvelle Simul qui apparaît comme une certaine occurrence de cette vérité générale et abstraite dont le poème de Vie Poésie qui porte le même titre recèle tous les possibles. Citons aussi le roman Voie-Lactée dont le dénouement rappelle un événement réel qui a aussi inspiré à M. Thiry la Prose des cellules He La. Je n'ai donc eu que l'embarras du choix pour placer en épigraphe à chaque chapitre quelques vers qui exprimaient ou confirmaient ce que l'analyse des oeuvres tentait de dégager. Bien sûr, la forme n'est pas indifférente, et même s'il y a concordance entre les thèmes et identité entre les motifs d'inspiration, il n'y a jamais équivalence : le recours à l'écriture en prose est une nécessité que la chose à dire, à la recherche d'un langage propre, impose pour son accession à l'existence. 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