Alternatives théâtrales - 133 - novembre 2017 - Quelle diversité culturelle sur les scènes européennes?

Sommaire

numéro conçu et coordonné par Martial Poirson et Sylvie Martin-Lahmani

  • Éditorial
    Sylvie Martin-Lahmani
  • Introduction : Corps étrangers
    Martial Poirson
  • Quand la « diversité » fait diversion face aux discriminations raciales… et esthétiques
    Les points de vue de Mohamed El Khatib et Marine Bachelot-Nguyen
    Bérénice Hamidi-Kim
  • Ne pas confondre diversité et lutte contre les inégalités
    Entretien avec Marco Martiniello (ULG, Belgique) réalisé par Laurence Van Goethem
  • Du « théâtre postmigratoire » à la société théâtrale ouverte : l’exemple du Maxim-Gorki-Theater (Berlin)
    Romain Jobez et Christina Schmidt
  • Peau et incarnation, des impensés politiques de la scène contemporaine
    Sylvie Chalaye
  • La scène est blanche et la ville polychrome
    Peter Brook et Ariane Mnouchkine
    Georges Banu
  • Moi et les Autres : de quelques spectacles de Reims scènes d’Europe 2017
    Marjorie Bertin
  • Les directeurs de structures culturelles face au défi de la diversité
    Extraits d’entretiens conduits en France
    sélection proposée par Sylvie Martin-Lahmani
  • Des deux côtés de la frontière linguistique
    Les défis de la diversité culturelle vus par les responsables des théâtres de Belgique
    Christian Jade et Antoine Laubin
  • Les cheminements identitaires
    Réflexion à propos de la mixité des publics
    Serge Saada

    Cahier critique

  • Dramaturgies de la diversité
    Rencontre animée par Sylvie Martin-Lahmani au Festival d’Avignon 2017 avec
    Kettly Noël, Salia Sanou, Seydou Boro et Caroline Guiela NGuyen
  • Paroles d’artistes
    Entretiens avec Sam Touzani, Jasmina Douieb, Roda Fawaz, Consolate Sipérius, Serge Aimé Coulibaly, Soufian El Boubsi, Cathy Min Jung
    Laurence Van Goethem et Christian Jade
  • Ne pas jouer la question de la diversité contre celle de l’égalité. Entretien avec Maxime Tshibangu
    Lisa Guez
  • Mani Soleymanlou, le miroir identitaire de la France
    Alisonne Sinard
  • Les récits intimes des corps invisibles
    À propos de Saïgon, mise en scène de Caroline Guiela Nguyen
    Fabienne Darge
  • Fureur transfigurée
    À propos d’Unwanted, conçu et chorégraphié par Dorothée Munyaneza
    Sabine Dacalor
  • Des héroïnes noires?! Un rêve et un combat.. Entretien avec Bwanga Pilipili
    Christian Jade
  • Diversité culturelle, entre le mythe de l’harmonie sociale et le spectre de l’uniformisation. Entretien avec Martine de Michele réalisé
    Nancy Delhalle



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La collection d’essais tirés des conférences prononcées lors de ces rencontres privilégiées que sont les Midis de la poésie comptait déjà, parmi les grands noms qui l’émaillent, Pasolini, Brecht, Bauchau, Duras, Aragon… Grâce à l’étude que livre Gérald Purnelle, professeur à l’Université de Liège, deux Liégeois viennent rejoindre cette cohorte d’éminences : Jacques Izoard et François Jacqmin. Comparer deux poètes, ou plutôt deux voix poétiques, est un exercice plus complexe qu’il n’y paraît. Il ne s’agit pas de superposer des citations ni de computer des corrélations lexicales ; encore faut-il sonder au cœur et aux reins leur œuvre respective, via les récurrences thématiques, les fantasmes, le ton, la vision dont elle est porteuse. Une naissance et une mort en région liégeoise augmentées d’une contemporanéité d’écriture ne suffisent en effet pas à fonder une connivence entre poètes, même si elles permettent d’entrevoir quelques traits de parenté.Gérald Purnelle a très bien mis en exergue les différences de tempérament des deux hommes, et ce sans entrer dans le détail de leur intimité vécue, mais en se plaçant d’emblée sur le terrain de leur ethos social comme littéraire.Quelles silhouettes, et quelles carrures que celles de ces frères séparés. D’un côté, Jacques Delmotte au pseudonyme de col alpin, « militant » de la cause poétique, qui s’y dépense sans compter, s’y brûlera ;  homme de réseaux (il n’a jamais cessé de publier concomitamment aux plus grandes enseignes et dans des revues éphémères, confidentielles) et de rencontres (pas un seul « écrivant » à Liège pour ignorer le passeur magnifique qu’il fut) ; professeur, qui savait susciter l’éveil à la fécondité de la langue française parmi ses classes de techniques / professionnelles, par exemple en leur livrant en pâture un « poème du jour » à discuter, dépecer, noter sur dix ; diseur enfin à la sensualité directe, poète tactile, rebelle jusqu’au bout au(x) cloisonnement(s). De l’autre, François Jacqmin, homme d’un seul nom de famille, avouant volontiers que la découverte de la poésie marqua une « fracture » dans son existence, manifestée par un « manque d’adhésion généralisé », ce qui n’est pas sans évoquer un certain Henri Michaux ; compagnon de route – y avait-il une autre manière d’en être ? – du surréalisme d’après-guerre, s’auto-désignant comme « le membre le plus tranquille de la Belgique sauvage » ; homme du retrait, du confinement de sa parole, de la divulgation au compte-goutte, qui publie son premier recueil d’importance, Les Saisons , à l’orée de la cinquantaine en se tenant loin des coteries, des logiques de conquête du champ. Jacqmin, silentiaire d’un empire intérieur à dimension de jardin.Gérald Purnelle a parfaitement saisi à quel point « l’écriture poétique d’Izoard et de Jacqmin se fonde également sur une permanente perception du monde comme origine et, comme enjeu, sur l’inscription du sujet dans ce monde et dans le langage ». Ce postulat explique la réticence – le refus ? – manifestée par Izoard à intellectualiser le réel, et à l’inverse les ressorts émotionnels, frisant l’extase, qui sont présents dans l’expression de Jacqmin ? Et là où Izoard entre en contact avec des matières, des étoffes, usant sans vergogne de l’œil, du doigt, de la langue, du sexe, Jacqmin approche par cercles concentriques, franchissant par paliers les couches invisibles qui ceignent l’essence des choses. Une essence qui, évidemment, se révèle évanescence.Le verbe est alors ressenti tout différemment de part et d’autre. Pour Jacqmin, il y a une inaptitude à exprimer les profondeurs du sensible : ainsi explique-t-il dans un entretien accordé à Revue et corrigée au mitan des années 80 : Je considère que c’est une injure vis-à-vis du monde que de le désigner, que de lui coller un verbe sur le dos et de dire à cet objet « voilà ce que tu es ». Et je ne fais pas plus confiance à ma pensée qu’au langage, ce qui veut dire que la situation est tout à fait bloquée. On retrouve la contradiction dans le fait que je continue d’écrire. Pour Izoard, par contre, qui exerce son écriture comme un décloisonnement, le langage est vecteur de projection vers l’autre. Ne pas se retrancher derrière les vocables, mais faire en sorte qu’ils soient le salutaire fil conducteur allant de l’un à l’autre. Briser ainsi le halo de vide autour des êtres, les aimer. ( extrait de Ce manteau de pauvreté , 1962 )Le mérite d’une telle étude, au-delà de l’outil d’analyse qu’elle fournit, est de constituer un irrésistible incitant à se ressourcer, d’un mouvement parallèle, chez Jacqmin et Izoard, recto et verso d’une même lecture réenchanteresse du monde, avers et revers d’une même obole versée à la poésie."Izoard et Jacqmin : deux poètes belges, qui comptent désormais parmi les plus importants et les plus marquants de la deuxième moitié du XXe siècle, et que tout paraît opposer, à commencer par leur personnalité, leur parcours, et surtout leur écriture poétique. On propose ici un parcours parallèle, afin de  dégager les points de vue qui les distinguent, pour ensuite examiner ceux sur lesquels, sans doute moins attendus, mais peut-être plus profonds, ils se rapprocheraient davantage. 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