Allegretto quieto réunit trois ouvrages de Véronique Wautier (1954-2019) parus à l’Arbre à paroles : Douce la densité du bleu (2002), Tout est jardin (2004) et Une petite fable rouge (2006). Trois titres majeurs où s’offre la justesse d’une voix à l’écoute de la puissance fragile des choses, barque naviguant douce et obstinée d’un bord à l’autre, blottie dans le feu, dans la nuance et les visages, dans l’inquiétude aussi qui rôde : allegretto quieto.
Autrice de Allegretto quieto
Si les mots ne libèrent que l’ombreOù toujours je dépose mes pasJ’aurai marché sur un leurre bavard. Douceur et douleur, floraison et fenaison, ténuité et ténacité : ainsi s’articule le jardin de Véronique Wautier. Il faudrait presque imaginer ce jardin comme un coquillage bivalve, se tenant tout entier dans la main et contenant l’espérance. Il faudrait aussi l’imaginer aussi vaste que le silence qui était, pour Véronique Wautier, tantôt un sécateur et toutes les douleurs dedans, tantôt une respiration qui déborde, non, qui borde plutôt.Nu mon amourAvec quels autres motsVais-je habillerLe poème ? Dans Allegretto quieto, entre la mer et le ciel, entre le rouge et le bleu, entre…
Tout au long des cinq parties qui composent son dernier recueil, Véronique Daine se garde bien de reprendre son souffle. Ici, aucun signe de ponctuation permettant au lecteur de lever la tête. L’écriture cursive, parfois acérée, coule et se déverse telle une fugue de Bach jouée en staccato. Un débit verbal qui irrigue, comme le flux sanguin, tous les recoins du corps. C’est que les mots de l’auteure s’infiltrent justement dans ces zones d’ombre pour traquer nos angoisses les plus profondes. Celles tapies dans les replis d’une chair flétrie ou dans la pénombre d’une (veine) cave. Ces peurs viscérales qui nous rappellent que les tripes sont bien logées au cœur du ventre, quand la boule d’angoisse fait chavirer l’âme. Allitérative, métaphorique, souvent hallucinée, la langue est percutante, dit le monde et les êtres tels qu’ils sont, c’est-à-dire souvent terrifiants. Les images dès lors s’entrechoquent, font craquer le reste de vernis lyrique auquel on pensait pouvoir se raccrocher. deux nuits de petite pluie pour emporter le merveilleux grand bel été sans fin d’une vie dans les zones du corps sans exception deux pluies de petite nuit pour que la nigredo le règne nègre le craillement aigre s’installe à cran d’arrêt dans le cloud des jardins cois deux nuits deux pluies petites petites petites pour la peur prospère paradant comme toujours depuis l’os ancien accepté jusqu’à la veine cave et retour à l’iliaque sans y croire plus que ça Consciente que le poème habite ce monde, Véronique Daine ne perd pas de vue la réalité qui s’offre nue au langage et que celui-ci se doit en quelque sorte de faire rendre gorge. Faits divers sordides par exemple que l’auteure épingle pour questionner, interpeller notre sournoise attirance vers la faille que le quotidien ne cesse de dévoiler. On le sait, l’histoire, la petite comme la grande, n’est pas avare de ces entreprises de dévastation des corps, corps brisés, anéantis par l’autre ou simplement par soi-même.Si le constat lucide semble plutôt sombre, une lueur subsiste néanmoins qui est peut-être à chercher dans l’acte créateur, dans sa capacité à renouveler sans cesse le questionnement métaphysique. Témoins les notes qu’égraine, en fin de volume, l’auteure renvoyant à ces références culturelles qui balisent le texte comme autant de moments d’échappement. Ce sont peut-être celles-là, un extrait de Bach, une image du film Tango libre de Frédéric Fonteyne, un poème de Darwich chanté par Bashung, qui remplacent en quelque sorte la ponctuation manquante – virgules d’espoir – et qui permettront à terme d’extirper du corps, cette peur ancestrale, cette arythmie séculaire. Quant aux peintures à l’encre ou à l’huile d’Alain Dulac qui épousent à merveille le texte, elles agissent comme les traits d’union entre les différentes parties du livre.Récitatif contre la peur, le recueil de Véronique Daine se lit d’une traite car pour devancer la peur aux trousses, il est préférable de ne pas s’arrêter! Rony DEMAESENEER…
Mon jardin des plantes : poèmes et photographies
Jan BAETENS et Marie-Françoise PLISSART , Mon jardin des plantes : poèmes et photographies , Impressions nouvelles, 2024, 136 p., 18 € / ePub : 7,99 € , ISBN :978-2-39070-145-3 Jan Baetens (1957) est l’auteur de vingt recueils de poésie, dont récemment Après, depuis (2021, prix Maurice Carême de poésie 2023 ) et Tant et tant (2022). Styles et thèmes de ses livres varient mais leur point de départ est toujours le même : la vie quotidienne repensée par l’art et la littérature. Auteur de nombreuses études sur les rapports entre textes et images, dont Le roman-photo (avec Clémentine Mélois) ou Adaptation et bande dessinée : éloge de la fidélité , dans son essai Illustrer Proust , il présentait et discutait les réponses successives données depuis plus d’un siècle par les artistes et leurs éditeurs au désir et à la difficulté d’illustrer Proust. Il a publié le remix d’une collection privée de ciné-romans-photos, Une fille comme toi (2020) et un essai contre l’oralisation de la poésie : À voix haute. Poésie et lecture publique (2016). Marie-Françoise Plissart (1954) est l’une des figures majeures de la photographie belge. Comme Baetens, elle s’est intéressée très tôt aux rapports entre un texte et une image, réalisant avec Benoît Peeters le livre Correspondance (Yellow Now, 1981), début d’une bibliographie abondante. Photographe free-lance depuis 1987, elle a réalisé de nombreux travaux dans de multiples domaines tels que l’architecture, le théâtre, le portrait et l’illustration. Ses photographies ont été notamment exposées à Bruxelles, Liège, Paris, Genève, Amsterdam, La Haye, Rotterdam, Berlin et Vienne. Elle est aussi une vidéaste captivée par l’exploration du tissu urbain et par ses transformations. Texte et image entretiennent une relation complexe, souvent de dépendance, sauf dans le cas où sa polysémie et celle du poème se superposent en échos infiniment répercutés et ouverts , comme dans l’effet-miroir. Mon jardin des plantes : poèmes et photographies est une composition photo-textuelle à quatre mains avec pour thèmes l’eau et l’arbre et une approche des coïncidences des contraires, qui culmine dans le magnifique effet-miroir de la photo du Parc royal de Bruxelles (M.F. Plissart, 2011). Ce concept de l’effet-miroir est présent dans toute l’anthropologie culturelle et symbolique : il nous met en présence d’une perception, d’une imagination ou d’une croyance en une surexistence par rapport au monde donné, qui n’est ni un irréel ni un délire. Une conscience d’un mode spécifique s’y fait jour, celui d’une apparition ou d’une épiphanie, sous forme de synchronicités, de dévoilements, de rencontres avec un au-delà du visible. Ce non visible ouvre sur l’expérience du sacré, en tant que celui-ci fait surgir dans notre sensibilité ou nos représentations un plan d’inaccessibilité ; on ne peut l’instrumentaliser, il est un inter-dit. Comment rendre compte de ces catégories si souvent associées, d’invisible, de secret et de sacré ? Comment permettent-elles de structurer et de comprendre une part d’ombre de notre expérience du monde et des autres ? L’art est une voie d’accès à cette sur-réalité : Johannes Vermeer, « Vue de Delft »Soustraire sans rien perdre, pour la beauté du geste, puis additionner en vue de la sainte multiplication, chaque chose à sa place, puis proliférant jusqu’à occuper une autre place dans l’eau,qui l’amène à d’autres négoces et trafics encore. Converti en brique et azur, le nombre d’or Garde ses droits, unissant pour mieux régner. Le livre est composé de sept « chapitres » : les poèmes et les photographies offrent une relation de miroir, non d’illustration. L’eau a toujours été l’un des éléments les plus efficaces pour équilibrer le corps et l’âme : elle est le signe d’un éveil spirituel, permettant de lâcher prise. L’arbre est un symbole de vie et de verticalité incarnant le caractère cyclique de l’évolution cosmique. Tous deux offrent une dialectique entre permanence et métamorphose. Ainsi au fil des poèmes, le lecteur est invité à considérer le proche et le lointain, le connu et l’inconnu, le quotidien et l’indéfinissable, le simple et le complexe, motifs qui se déclinent aussi par miroitements en ceux du voyage, de la perte des repères, des relations inattendues entre topos et tempus, nature et culture, à la recherche de l’unité originelle :[…] Lentement le sens se dépouille des mots qui l’emportent, Elle dit que le jardin se fait son havre. […] Enfin la main qui crée l’objet qu’elle touche, Qui aide à défaire sans peur l’articulation du monde, À ne plus nous lamenter que les choses parlent à notre place. L’amour du trivial est figure…