Adieu à Andrée Sodenkamp (2004)

Elle était l’auteur de Femmes des longs matins (1965), de C’est au feu que je pardonne (1984) et de nombreux autres recueils. La doyenne de nos Lettres était née le 18 juin 1906. Andrée Sodenkamp avait fait des études d’institutrice puis obtenu son diplôme de régente littéraire.
Après diverses affectations, elle fut nommée à Gembloux, qui devint sa ville d’adoption: elle en était citoyenne d’honneur et la bibliothèque porte son nom. Ses cendres y reposent désormais avec celles de son mari dans le cimetière communal.
Cimetière où Liliane Wouters lui a rendu un dernier hommage.

*
Presque cent ans de vie intense, dont la moitié passée à célébrer l’amour, à épier les traces du sacré, à exorciser le destin, à exprimer tout cela dans ses poèmes. Doit-on mourir souvent pendant que l’on existe? Je ne sais combien de morts a connues Andrée Sodenkamp, mais voici la dernière, celle qu’elle s’attendait à voir venir par habitude, et qu’elle avait…

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À PROPOS DE L'AUTRICE
Liliane Wouters

Autrice de Adieu à Andrée Sodenkamp (2004)

Liliane Wouters naît à Ixelles, le 5 février 1930. Furnes est le berceau de sa famille maternelle, la seule qu'elle connaisse. Après l'école primaire et un quatrième degré à Ixelles, à partir de l'automne 1944, elle est interne dans une section francophone à l'école normale de Gijzegem, près d'Alost. Toute jeune, elle s'essaie déjà à l'écriture. Elle sera institutrice dans sa commune natale, de 1949 à 1980. Elle voyage beaucoup à travers l'Europe, l'Afrique, le Canada et le Proche-Orient. Elle vit actuellement à Ixelles. Elle envoie ses premiers vers à Roger Bodart qui la conseille et la guide. Il préface d'ailleurs son premier recueil La Marche forcée (1954) qui connaît le succès et est abondamment couronné : prix des Scriptores Catholici (1955), prix Émile Polak, décerné par l'Académie (1956), prix Renée Vivien (1955), prix Nuit de la poésie à Paris en 1956 (ce dernier par un jury comprenant Aragon et Cocteau). C'est un livre foisonnant, aux strophes ardentes, nourries à la fois d'échos du Moyen Âge et d'une certaine modernité. Ses cadences soutenues par la rime disent à la fois un réalisme magique et une mystique éclairée qui doivent beaucoup à la puissance et au baroque nordiques. Des accents d'épopée y sous-tendent une certaine angoisse devant la vie, l'amour et la mort. De six en six ans paraissent alors Le Bois sec (1960) et Le Gel (1966). Le premier remporte le Prix triennal de littérature, le second, le prix Louise Labé. La respiration s'y fait plus rapide, la langue plus incisive et maîtrisée, le débit plus heurté. La précarité de l'existence s'y mêle à un certain mépris du monde. L'émotion est partout contenue, souvent camouflée sous un humour grinçant. Parfois, une crispation de la langue souligne le sentiment de solitude, la crainte de la mort, l'inanité de l'existence, malgré la présence de «longs textes qui aussi sont des hymnes à la vie». Cette poésie de la voracité et du combat, on la retrouve encore dans L'Aloès (1983) qui reprend l'essentiel des recueils précédents et beaucoup d'inédits. De la sorte, on peut suivre l'évolution de la thématique de Liliane Wouters et ce que l'on a appelé sa «rudesse guerroyeuse» empreinte de lyrisme. Attestation aussi d'une constante recherche de soi à travers les labyrinthes de l'existence, l'inlassable plongée vers le bonheur et la vérité, l'inexorable déchirement (notamment à l'instant de la mort). Tout cela cependant nimbé d'une insatiable soif d'espérance évoquée par l'aloès («Une fois tous les cent ans/ l'aloès fleurit. Mon temps/ connaît la même fortune»). En 1990, paraît Journal du scribe. Ce scribe est un peu le symbole de l'écrivain, l'archétype de l'être qui dérange par le message qu'il délivre. L'écrivain s'interroge. À quoi sert l'écriture? Donne-t-elle pouvoir de démiurge? N'est-elle que le «principe» qui crée les êtres, venus d'ailleurs, allant ailleurs? De plus, le scribe synthétise toutes les croyances et est essentiellement préoccupé par les mystères (qui sommes-nous? d'où venons-nous? où allons-nous?). Cette poésie (le plaisir de la langue, le lyrisme) et ses interrogations (métaphysiques, voire sociales), on les retrouve omniprésentes – avec souvent une pointe de fantaisie – au cœur de tout le théâtre de Liliane Wouters. D'abord dans Oscarine ou les Tournesols (1964), une pièce empreinte d'une originalité douce-amère, puis dans La Porte (1967), une tragi-comédie du trépas, dans Vies et morts de Mademoiselle Shakespeare (1971) où Williame, une femme, se prend, par mythomanie ou quête d'identité, pour le grand écrivain anglais, fait le tour de l'amour et d'elle-même dans un univers où s'animent des statues, où sévit le pouvoir, où la passion et la féerie déploient leurs fastes. Après une adaptation de La Célestine (1981) de Fernando de Rojas et deux pièces en un acte, voici La Salle des profs (1983, prix André Praga, décerné par l'Académie en 1984), œuvre souvent jouée et qualifiée de «théâtre-vérité». C'est une radiographie de l'enseignement comportant douze moments et qui évoque avec ironie et tendresse les problèmes des instituteurs, passionnés au début de leur carrière, mais se retrouvant confrontés à la médiocrité, à la banalité de chaque jour. D'autres pièces encore : L'Équateur (1984) – un bateau franchit la ligne qui symbolise la mort et ses cinq occupants se révoltent ou se confessent dans un huis clos assez cruel; Charlotte ou la Nuit mexicaine (1993) – évocation de la démence de la fille de Léopold Ier, veuve de Maximilien de Habsbourg, empereur du Mexique fusillé par les révolutionnaires en 1867; Le jour du narval (1991), une œuvre baroque qui se passe dans une cité nordique, fait allusion à la Bible (David et Bethsabée) et met en scène des gens écrasés par les puissants et le destin. À côté de la poésie et du théâtre – mais ces deux disciplines, chez Liliane Wouters, ne forment qu'un tout – se développent deux autres activités, celles de traductrice et d'anthologiste. Ainsi a-t-elle beaucoup traduit (poèmes et pièces de théâtre) du néerlandais en français, réussissant la gageure de conserver aux textes leurs cris, leurs cadences, leurs musiques. Son choix s'est souvent porté sur des textes du Moyen Âge : Les belles heures de Flandre (1961), qui a remporté le prix Auguste Michot décerné par l'Académie, Guido Gezelle (1965), Bréviaire des Pays-Bas (1973), Reynart le Goupil (1974). Ces travaux lui ont valu le prix Sabam 1965 et le Prix triennal de traduction de la Communauté flamande de Belgique. Parmi ses anthologies : Panorama de la poésie française de Belgique (1976), Ça rime et ça rame (1985), spécialement destinée aux jeunes et, réalisée avec Alain Bosquet, La poésie francophone de Belgique, quatre tomes reprenant des textes de poètes nés entre 1804 et 1962. Tous les chemins conduisent à la mer, un ensemble des poèmes de Liliane Wouters, avec une préface de Jean Tordeur, a été publié aux Éditions des Éperonniers. Intitulé Changer d'écorce, un second ensemble, thématique, est paru en 2001 aux Éditions La Renaissance du Livre, avec une préface de Françoise Mallet-Joris et une postface d'Yves Namur cependant qu'en 2000 était publié chez PHI Le Billet de Pascal, un recueil inédit. 2000 est d'ailleurs à noter d'une pierre blanche, c'est l'année où Liliane Wouters reçut trois distinctions importantes : en Yougoslavie, le Prix international de poésie de La clé d'or, à Paris, la Bourse Goncourt de poésie et à Bruxelles le Prix quinquennal de littérature. Liliane Wouters a été élue membre de l'Académie, le 9 mars 1985, au fauteuil de Robert Goffin. Le Prix Montaigne de la Fondation F.V.S. de Hambourg lui a été attribué en 1995. Depuis 1996 Liliane Wouters est membre de l'Académie européenne de poésie. Elle est aussi membre honoraire de l'Académie royale et langue et de littérature néerlandaises. Liliane Wouters est décédée le 28 février 2016.


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Georges Simenon et Jean Cocteau, une amitié jouant à cache-cache

Personne n’ignore que Georges Simenon , presque toute son existence durant, est resté en marge des milieux littéraires et même, d’une manière plus générale, des milieux qualifiés d’intellectuels, bien que quelques-uns de ses amis s’appellent Marcel Achard, Marcel Pagnol, Jean Renoir, Francis Carco, Maurice Garçon, Henry Miller ou encore, après le XIIIe festival de Cannes dont il a été le président du jury en 1960, Federico Fellini. Personne n’ignore non plus qu’en raison de cette attitude, sans doute prise à contrecœur mais de plein gré, l’institution littéraire a mis de longues années avant de se pencher sérieusement sur l’œuvre immense de l’écrivain liégeois. 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