Le Voyage en Oïlie XX .
Une initiative très originale , à la base de laquelle on trouve Annie Rak et Roland Thibeau. Une écriture collective itinérante: qu’est-ce donc à dire? Au cours de l’année 2013, des auteurs issues des différentes régions où se parlent des langues d’oïl – l’Oïlie, un joli néologisme, se sont en quelque sorte passé le relais pour écrire un récit dans chacune de ces langues.
Plus petit commun dénominateur: un canevas, deux jeunes étudiants, Pauline et Jonathan, préparent un travail sur le combat du Lumeçon – Mons oblige – et partent à la recherche d’un mot perdu, un mot en langue d’oïl; ils s’évanouissent au cours du combat, et se réveillent doués de la compréhension de toutes les langues de la famille. Dès lors, les voilà en train de parcourir toutes les régions où elles sont parlées.
Pour chacune d’entre elles, un excellent auteur a été choisi, qui va les accompagner dans leurs péripéties – que je…
Hélène Cixous, d'Osnabrück à Jérusalem, à contre-oubli
Après son voyage à Osnabrück, sur les traces de ses racines maternelles, (Gare d'Osnabrück à Jérusalem, voir Points critiques n°369, janvier - février 2017), Hélène Cixous poursuit son périple généalogique. Elle se rend à Jérusalem pour rencontrer Marga, la cousine de sa mère, désormais plus que centenaire. Et toutes les questions se bousculent: qui est mort ? Qui a survécu, et où ? Qui a raconté et qui s'est tu ? Et comment découvrir cette famille innombrable, forcément nomade, qui a essaimé du Nord au Sud, d'Est en Ouest, au gré des persécutions ? Toute une histoire à reconstituer, par bribes. Conversations avec Marga, où les langues se télescopent, allemand, anglais, parfois français, et Jérusalem devient Yerushalaïm. Les temps se mélangent, le passé devient présent, sur les photos, les identités se brouillent… Photos d'avant, dans une Allemagne où ils se pensaient Allemands… Itinéraires vertigineux: « … venus d'Osnabrück en fuyant – par Strasbourg Paris Oran Gurs Auschwitz Londres Belfast Manchester Johannesburg Santiago Melbourne Montevideo New York Osnabrück – jusqu'à Jérusalem, … » « Je cherche Andreas, Hans Günther, Irmgard, Else, Paula, Hete, Gerta… comme si je voulais les rencontrer après leur mort, vivant après leur mort, je reconnais avec surprise que je les aime, je passe des mois dans un monde étrangement familier, qui ne diffère du monde ordinaire que parce qu'il n'y a pas de temps, au reste il est comme une grande ville cosmopolite, c'est la capitale de la Mémoire, les métros et les rues passent d'une langue à l'autre, sinon c'est pareil, les magasins s'imitent d'un continent à l'autre, du Nord au Sud des oncles ouvrent des usines, d'autres seulement des livres … » Dans Jérusalem aux pierres dorées, Hélène Cixous se rend au Mur des Lamentations, perplexe mais fascinée par le rituel des messages glissés dans les fentes. Elle aussi essayera. Elle semble vivre un temps parallèle où des voix familières la visitent. Eve, sa mère, disparue depuis peu, semble surgir du quotidien, comme une consolation. Des rêves étranges apparaissent, lourds de menaces. Parfois la réalité s'impose : Israël avec ses autres murs, bien concrets et les murs dans les têtes. De son écriture étonnante dont la musicalité si particulière touche au plus sensible, où les mots se scindent ou s'assemblent pour en former de nouveaux aux résonances décuplées, Hélène Cixous se questionne et nous questionne, qu'est-ce qu'être juif par exemple ? Toujours dans le doute et l'incertitude, sans jamais rien affirmer. Les dessins fragiles, à la pierre noire, d'Adel Abdessemed, accompagnent, comme un contre-chant, ces pages récentes qui complètent une œuvre considérable, multiforme, fictions, essais, théâtre, d'une personnalité rayonnante. © Tessa Parzenczewski, revue Points critiques, 2018 Helène Cixous, Correspondance avec le Mur. Accompagné de cinq dessins à la pierre noire d'Adel Abdessemed. éditions…
Tim Robinson et le bord des falaises
Ceci est tout à fait clair : l'endroit recommandé pour cultiver la rose des vents est le bord même de la falaise…
La création en langue(s), entre liberté d’expression et discriminations glottophobes
Il faut commencer par un constat : tous les textes juridiques internationaux de protection des droits humains et de protection contre les discriminations, dont plusieurs ratifiés et donc applicables par la France, considèrent les droits linguistiques comme des droits fondamentaux et l’empêchement d’utiliser sa langue / l’obligation d’en utiliser une autre pour accéder à ses droits comme une discrimination interdite et condamnée. Discriminer, c’est traiter des personnes de façon différente en s’appuyant sur un critère arbitraire, injuste, illégitime. Depuis 2001, certaines discriminations sont illégales en France : une loi, modifiée trois fois (la dernière fois en novembre 2016), a établi 23 critères illégaux de traitement différencié. Il aura fallu attendre le XXIe siècle pour que le pays qui se dit des Droits de l’Homme et la République si fière de ses valeurs (parmi lesquelles le refus annoncé des discriminations), condamne des discriminations. Mais pas toutes : les discriminations linguistiques n’y sont illégales que depuis novembre 2016 (de façon qui reste ambigüe). Et pour cause, puisque la glottophobie est en France un principe politique instituéet central, revendiqué et réaffirmé sans vergogne à la moindre mise en œuvre ou revendication de Droits linguistiques en faveur de personnes s’exprimant dans une autre langue que le français ou dans un français non standardisé. On a alors affaire à des propos d’une violence, d’une ignorance et d’une arrogance rares qui tomberaient sous le coup de la loi et d’une certaine opprobre publique s’ils portaient sur les mêmes personnes en fonction de la couleur de leur peau, de leur sexe ou de leur précarité financière au lieu de leurs pratiques linguistiques. J’en rapporte de nombreux exemples dans mon livre et l’actualité en fournit presque quotidiennement XX . Évidemment, si on appliquait en France les textes juridiques internationaux cités au début de cet article, les auteur-e-s de ces propos seraient poursuivi-e-s et condamné-e-s devant les tribunaux. C’est pour insister sur le fait que la glottophobie, comme la xénophobie, l’homophobie ou l’islamophobie, en autres, stigmatise, discrimine, exclut des personnes et non des langues (qui sont des abstractions et ne sont pas sujets du Droit), de façon arbitraire, injuste, illégitime (et illégale selon le droit international) que j’ai forgé et diffusé ce terme. Il est en effet totalement arbitraire de considérer que telle langue serait supérieure à telle autre ou telle forme linguistique meilleure que telle autre. Nos langues et nos façons de parlers sont constitutives de notre humanité, de notre singularité, de notre être au monde et de nos existences collectives : les rejeter, c’est rejeter les personnes elles-mêmes en tant que sujets sociaux et humains. * Une idéologie linguistique un certain français comme religion d’État en France Il est frappant que l’immense majorité des décideurs politiques et juridiques ignorent totalement les textes internationaux ratifiés par la France et ne voient même pas qu’il s’agit de manquements graves au respect des Droits humains: c’est que l’idéologie aveugle, elle est même faite pour ça. Une idéologie est un système totalitaire d’explication du monde qui exclut toute alternative et toute discussion. Il relève de la croyance et non de la réflexion. Le français a été érigé en véritable religion d’État en France, totem central de l’unité nationale (pensée comme une uniformisation autour d’une langue commune unique et unifiée), depuis la Révolution de 1789 et surtout depuis le régime totalitaire de la Terreur à partir de 1793. De nombreux chercheurs analysent en ces termes de religiosité, à peine métaphoriques, le rapport au français entretenu en France depuis deux siècles, de B. Cerquiglini à H. Walter, d’E. Charmeux à J.-M. Klinkenberg, de P. Bourdieu à L. - J. Calvet. Le français fait dès lors l’objet d’une adoration sans bornes (que j’appelle glottomanie), d’une croyance qui échappe à toute rationalité critique, d’une sacralité dont découlent de nombreux tabous (exprimés sous l’idée globale de « dialectes » ou de « patois » inférieurs à propos d’autres langues et sous le nom global de « faute » à propos de la diversité des pratiques « impures » du français –qui sont parfois rejetées hors de la langue par un « ce n’est pas français »). Dans un twit récent, une députée disait, de façon très illustrative de cet amalgame, « respecter la France, c’est d’abord respecter sa langue ». Car l’idéologie nationale française, construite à leur profit par les détenteurs du pouvoir étatique, a fait du français LA langue emblématique d’une certaine conception d’une identité française (comme communauté homogène) dans une certaine conception (ethnicisante XX ) de cette société, et en plus elle n’a retenu qu’un certain français et rejeté les autres (régionaux, banlieusards, populaires, jeunes, métissés, hors de France, etc.). Elle a posé comme modèle, comme filtre d’accès à la promotion sociale, au pouvoir politique et culturel, voire économique, le français surnormé élaboré par l’Académie française pour distinguer les dominants (aristocrates et grands bourgeois) et les dominé-e-s (le peuple, les « provinciaux », les paysans, les ouvriers...). Elle a ainsi instauré un deuxième niveau de discrimination : non seulement c’est la langue de certains Français qui a été imposée à d’autres Français (et à celles et ceux qui souhaitent le devenir, voir plus bas), mais c’est aussi le français artificiellement standardisé des dominants qui est exigé pour avoir accès au capital symbolique (linguistique, culturel, éducatif, politique et donc souvent aussi économique). Le français de la cour de France et de la bourgeoise parisienne, normalisé et volontairement complexifié par les satellites de la cour (écrivains, grammairiens, organisme de censure royale nommé « Académie française ») est ainsi devenu le français tout court et la seule langue « légitime » en France. Les locuteurs d’autres variétés linguistiques en sont exclus, sauf à renoncer et à se soumettre. L’École a été et reste le levier le plus puissant par lequel les dominants qui tiennent le pouvoir étatique ont imposé leur langue et leur idéologie linguistique, au point d’en convaincre les victimes elles-mêmes, par un processus d’hégémonie, de mise en insécurité linguistique et d’instillation d’une haine de soi. * Langues régionales ou immigrées, parlers populaires ou plurilingues, même combat! Toute forme de glottophobie est indigne et inadmissible. J’ai été frappé de voir à quel point la réception médiatique de grande ampleur de mon livre, tout en contribuant à faire admettre nationalement qu’il y a bien un problème, en a « spontanément » réduit la portée. La plupart des médias en ont retenu le caractère discriminatoire du rejet des « accents » régionaux, voire sociaux (mais beaucoup moins), en français. Très peu ont mentionné la question des autres langues que le français, probablement parce que ça va alors trop loin dans la contestation blasphématoire de la sacralité du français national, qui n’est pas discutable même et surtout du point de vue scientifique, rationnel et éthique, qui est le mien. Affirmer que c’est une politique totalitaire, attentatoires aux Droits humains, discriminatoire et condamnable, que d’interdire aux bretonnant-e-s de s’exprimer en breton en Bretagne pour avoir accès à leurs Droits et exercer leur citoyenneté, et de leur imposer de le faire en français (et pas en français de Bretagne) ou de les exclure, ça reste…