Quelle étrange activité que celle du critique littéraire ! Ajouter des mots aux mots, des phrases aux phrases, ses propres phrases sur celles d’un autre.
Certains énervés du compte rendu font déjà connaître leur avis alors que les ouvrages ne sont pas encore empilés sur les présentoirs des libraires. Ils occupent en quelque sorte la position du fantassin de première ligne qui reçoit, tels des projectiles, les livres de plein fouet et qui couche, la main tremblante, ses impressions dans un carnet, les yeux aveuglés par les gerbes de fusées et les oreilles bourdonnant du fracas des shrapnells.
D’autres, de peur de miser sur un mauvais cheval, attendent la fin de la campagne et, tel le brancardier, ramènent à l’arrière des lignes, juste avant l’arrivée des vautours, ceux qui n’ont pas été déchiquetés par le souffle des batailles.
Ecrire dans le Mensuel littéraire et poétique n’a que très peu à voir avec ces activités. Christophe Van Rossom, qui y collabore régulièrement depuis bientôt dix années et dont on trouvera dans ce volume la quasi totalité des articles qu’il y a publiés, fait partie de ces lecteurs qui obéissent à l’injonction d’André Breton affirmant qu’il faut que l’«on se taise, quand on cesse de ressentir» – ce qui n’implique pas d’ailleurs qu’il faille parler chaque fois que l’on ressent. Au-delà du mouvement d’humeur tout autant que de la louange mille fois lue, Christophe Van Rossom avance une véritable analyse de fond. N’ayant que des liens lâches avec l’«actualité» littéraire, cette critique critique moins qu’elle ne crée.
Extrait de la préface de Laurent Six
Auteur de A voix haute : Notes critiques au Mensuel littéraire et politique, 1992-2001
Edmond Vandercammen ou l'architecture du caché (essai d'analyse sémantique)
À propos du livre (texte de l'Avant-propos) Edmond Vandercammen a publié 22 recueils poétiques entre 1924 et 1977, et une quinzaine d'études critiques; il traduisait depuis les années trente les poètes de langue espagnole; il entretenait des contacts personnels et épistolaires avec de nombreuses personnalités du monde culturel et littéraire, était membre de l'Académie royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique. Plusieurs revues lui ont rendu hommage par un numéro spécial et la célèbre collection «Poètes d'aujourd'hui», aux éditions Pierre Seghers, lui a consacré le tome 124. D'autre part, ses uvres, reçues lors de leur parution avec un enthousiasme sincère, comme la presse et sa correspondance en témoignent, n'ont guère trouvé de lecteurs hors du milieu proche de la vie littéraire et n'ont plus été réédités. Les enquêtes réalisées auprès des libraires de Bruxelles nous ont prouvé que ses livres, dans la mesure où ils se trouvent en librairie, n'ont plus d'acheteurs. S'agit-il simplement d'un phénomène général lié à la situation sociale de la poésie d'aujourd'hui, ou bien la poésie d'Edmond Vandercammen fait-elle objet d'un paradoxe, d'une contradiction qui demande une explication? Son uvre, est-elle liée trop étroitement à son temps, et donc périssable, ou bien le dépasse-t-elle au point que seuls quelques initiés et ceux qui étaient proches de lui ont pu mesurer son importance? Jouissait-elle d'une conjoncture littéraire exceptionnelle des années trente ou des années cinquante, conjoncture dont a largement profité la génération née autour de 1900? Toutes ces questions nous ramènent à une constatation et à une réponse d'ordre général : surestimé ou sous-estimé en même temps, Edmond Vandercammen, s'il n'est pas méconnu, est certainement mal connu. Entouré d'amis, de poètes et d'admirateurs, vivant dans un monde paisible et apparemment hors des conflits et des difficultés que connaît notre société, il a pu s'affirmer, s'assurer une estime et une reconnaissance par-fois trop généreuses pour qu'elles puissent comporter aussi un jugement critique. Excepté quelques analyses approfondies. les articles qui lui sont consacrés témoignent avant tout d'une admiration sincère certes, mais qui n'aboutit pas toujours à une appréciation juste de l'uvre. Si notre but est donc de rendre justice à ce poète mal connu. nous devons tenter un jugement objectif. Et ce n'est pas lui faire une faveur spéciale que de souligner avec lui que juge-ment objectif ne veut pas dire jugement froid, «raisonné», contre lequel, pris à la lettre. il s'est clairement prononcé. Cependant, il nous paraît essentiel de tenter ce jugement objectif à travers ses textes poétiques et de montrer ainsi les correspondances entre l'homme et son univers, entre le poète et son oeuvre, entre la poésie et…