Naguère professeur de langues et d’économie, Éric Dejaeger fait partie de cette armée des ombres qui, sans toit ni loi, sont les indispensables SDF de la littérature. Ces poètes qui à force de souffler dans les trous de nez des muses, risquent peu d’être hébergés dans leurs cénacles. On ne s’étonnera pas que ce vagabond des lettres compte parmi ses amis de cœur et de plume des personnalités aussi joyeusement bactériennes que Mariën, Scutenaire, Chavée ou Bukowski.Auteur d’une flopée d’écrits marqués par l’inventivité verbale et par les astuces somptueuses et malignes de l’art pauvre, Éric Dejaeger parcourt cette fois une drôle de ville au gré de rues dont les noms illustrent son univers mental. Ce qui donne une centaine de couplets, ou plus exactement nonante-neuf…
À l’abbaye d’Orval, quelques 26664 bouteilles (soit 1111 casiers) de bière, à peine chargées sur le camion prêt à partir à destination de la France, sont dérobées lors d’un braquage expéditif. Deux moines restent sur le carreau. Un groupe terroriste revendique l’attaque, au nom de la soif des Belges : les fréquentes pénuries de la précieuse trappiste, dues à l’indécrottable refus des moines d’augmenter leur production, leur semblent un motif suffisant pour empêcher que la moindre goutte de leur breuvage favori quitte le territoire.Ezéchiel Lesoudeur, dit « le Morgazh », dans son café-restaurant habituel parisien, découvre la nouvelle et s’en émeut au point de se lancer dans l’enquête. Il ne sera pas dit qu’on le privera d’Orval. Julio, son vieux…
En tête des Sornets, l’opus commun d’André Stas et Éric Dejaeger, le portrait de ces deux farfadets crapoteux, réalisé par Jean-Paul Verstraeten, troisième larron de la fête, donne bien le ton de la pyrotechnie langagière et (dé)culottée de cet opus. Savante et acrobatique aussi puisqu’il s’agit pour ces fins lettrés, dévoyés pour la bonne cause – celle du rire –, de produire selon les canons les plus orthodoxes de la métrique, cent sonnets alexandrins qui valent leur pesant de roupie et de jouissive insolence.
Le modus operandi de cette gageure : à tour de rôle, chacun propose à son complice le matériau de base : quatorze lettres qui donnent le titre du sornet et fondent l’acrostiche à venir où les deux compères s’ébattent comme des canards…
S’il ne s’agissait pas d’opuscules pratiquant un humour (très) gras, on pourrait dire que les aventures de l’inspecteur Désiré Maigros (on n’insistera pas sur la qualité de la référence) ne sont pas faites pour relever l’image de la police. En 2011, Éric Dejaeger, prolixe et anticonformiste auteur de textes courts, avait rassemblé les cent premières aventures de son flic préféré dans La saga Maigros (Cactus inébranlable), après les avoir distillées en feuilleton sur internet. Il a remis le couvert en 2018, à la demande pressante de ses lecteurs (selon lui) avec les cinquante épisodes supplémentaires de Maigros se marie.L’adipeux Désiré (117 kg) est un Carolo pur jus. Né à Dampremy, légèrement attardé sur les plans moteur et cérébral, l’individu a bénéficié…
Après Courts, toujours ! paru en 2015 également chez Cactus Inébranlable éditions, Dejaeger s’étend davantage dans ce recueil de nouvelles aussi drôle que dérangeant. Pas de quoi craindre les longueurs lassantes pour autant. Si vous cherchez une brique pour vous occuper sur le transat durant vos deux semaines au bord de la piscine, passez votre chemin ! On est dans le récit bref, les nouvelles courtes. C’est rapide, et intense.Car c’est bien là la force de Dejaeger : en quelques lignes, il va au but, sans détours inutiles, et touche juste. L’efficacité sans ronds de jambe. S’il s’était montré vif dans Courts, toujours !, il n’en est pas moins piquant dans Le petit Jésus et la vie sexuelle des poètes (titre du recueil et de l’une des nouvelles qui le compose).…
Le ton est donné… que dis-je ?… uppercutté… dès la couverture ! Le titre Contre tous chacaux (écho au texte de la chanson L’aventurier, du groupe Indochine) est un programme en soi, en sus accompagné d’un « * » qui renvoie à une note de bas de page : « Que les puristes ne montent pas sur leurs grands chevals ! ». Rebelotte avec le sous-titre et les auteurs : « ** » et « *** » pour « Interdit aux moins de 60 ans sauf autorisation parentale » et « Et/ou inversement ».Un hommage à Bob Morane, donc, mais irrévérencieux. Bref, une parodie de l’œuvre-phare d’Henri Vernes. Et comment s’en étonner au vu des pedigrees des auteurs ? Experts du court et du facétieux, le Français Roger Lahu et le Belge Éric Dejaeger ont œuvré avec humilité…