Auteur de Visites à l’atelier du peintre Arié Mandelbaum
Le regard d’un écrivain-poète sur le travail d’un artiste qu’il suit depuis quelques dizaines d’années. Un parcours sensible que Serge Meurant partage avec nous dans son livre Visites à l’atelier du peintre Arié Mandelbaum.Il y a réuni les textes écrits à partir des années septante : évocations des tableaux et dessins évoluant au fil du temps, fragments poétiques…C’est en 1977 que l’auteur découvre cet atelier, « vaste comme une scène de théâtre », baigné de lumière entre une grande verrière et de larges fenêtres. Il décrit les toiles exposées et formule déjà cette intuition : « Mandelbaum évoque le fou, notre double éveillé qui parle nos lapsus, nos actes manqués et révèle souvent notre…
Dépassons l’anti-art. Écrits sur l’art, le cinéma et la littérature
Nous sommes en 1960. Une revue danoise sollicite Christian Dotremont pour retracer l’apport spécifique des artistes danois à l’art expérimental et au mouvement CoBrA. Mais CoBrA s’est dissout en 1951, peu après sa 2e et dernière exposition internationale qui s’est tenue à Liège. Les artistes du groupe, qu’ils soient hollandais, danois, belges, français, et autres, ont continué à tracer leur chemin, n’ignorent plus Paris dont ils s’étaient écartés en 1948, et la capitale française les accueille plutôt mieux. Alors Dotremont, un peu ennuyé, revient aux sources, vingt ans plus tôt : la création en 1941 d’un périodique danois, Helhesten , et d’un groupe réunissant des créateurs, architectes, peintres, dessinateurs, sculpteurs, poètes… dans une spontanéité expressionniste, un intérêt pour le primitivisme et une effervescence interdisciplinaire qui sera l’une des clés à venir de CoBrA. Du pays nordique, un peu plus « provincial », et moins influencé par les grands courants en « isme » de l’avant-garde artistique internationale, Dotremont retient encore sa capacité à résister à une civilisation de la mécanisation, de l’esprit technique (on dirait aujourd’hui : technologique), « tactique et scientifique qui gangrène l’esprit humain » . À la peinture constructiviste ou « abstraite-froide » , aux « constructions pures et parfaites (…) tracées à la règle et au compas » des bâtiments de l’Expo universelle de 1958 à Bruxelles, Dotremont oppose la capacité de l’art nordique à s’ancrer étroitement dans les éléments naturels (la terre, la mer) et à devenir de plus en plus « un refuge pour la sensibilité immédiate, pour la joie éternelle des ponts, et pour la poésie cosmique de la nature ». Cette prédominance de la nature et du vivant, si justement réaffirmée avec force de nos jours, demeure une présence constante chez l’artiste des « logoneiges » : un poème de peu de mots, tracé avec un bâton dans la neige de Laponie, donc par essence éphémère, et qu’on peut apparenter à une forme de Land Art. Art et expérimentations Et ce texte, aussi éclairant sur le corpus de pensée et d’écriture du poète-voyageur en 1960 que sur sa relecture, après-coup, de l’histoire de CoBrA et de ses composants, est l’une des découvertes que l’on peut faire dans Dépassons l’anti-art (titre emprunté à un logogramme), un imposant ensemble de textes en prose de Dotremont, réunis et édités par Stéphane Massonet . Les quatrièmes de couverture vendent parfois du vent. Mais ce n’est assurément pas le cas ici, face à cet ouvrage de près de mille pages, dévoilant effectivement « une encyclopédie des artistes expérimentaux de la seconde moitié du XXe siècle » et présentant « comment les échanges avec les peintres nourrissent profondément la réflexion de Dotremont autour de l’écriture et de sa graphie » . Ce travail colossal, mené durant plusieurs années par Stéphane Massonet, rassemble plus de deux cents articles, textes, notes de lectures, préfaces… disséminés dans différents livres, catalogues ou revues, et rédigés par Dotremont, depuis son entrée au sein du groupe surréaliste belge jusqu’aux derniers écrits du créateur des logogrammes, malade et reclus dans sa chambre-atelier de la pension « Pluie de roses » à Tervuren.Le volume s’ouvre tout d’abord sur un texte rédigé en 1958, où Dotremont documente longuement la naissance de CoBrA, après le passage par le surréalisme (Magritte, Nougé, Breton) et l’expérience déçue (et décevante) du Surréalisme-Révolutionnaire. Une première section présente ensuite les textes tournant plus explicitement autour du surréalisme. On peut y lire un Dotremont polémiste, attaquant à bon droit Jacques Van Melkebeke, peintre et journaliste ami de Jacobs et Hergé, qui dans les journaux autorisés par les nazis sous l’Occupation s’en était pris à Picasso – Melkebeke fut à la Libération condamné pour collaboration. Ou un éloge de Cocteau, qui froissa durablement ses amis surréalistes. Et encore un autre de Paul Eluard, laudateur de Staline dans ses Poèmes politiques qui venaient de paraître. S’il raille dans un tract «Les Grands Transparents » de Breton, Dotremont en garde des figures essentielles, Poe, Lautréamont, Baudelaire, Roussel, Picasso, et met en exergue, dans la « Nouvelle NRF », la singularité du langage et du surréalisme de Paul Nougé – dont Mariën en 1956 sortait de l’ombre les œuvres restées jusque-là clandestines. Vers la « cobraïde » La deuxième section, de loin la plus abondante, est placée sous l’égide de CoBrA. Elle est effectivement l’occasion pour Dotremont de rallier à lui, parfois stratégiquement, toute une série d’artistes qui sont passés par le Surréalisme-Révolutionnaire puis CoBrA, ou qui, par une exposition, une publication, ont rejoint à un moment donné ce qu’il nommait « La cobraïde ». Certains y sont évidemment au premier plan en tant que membres à part entière, Jorn, Alechinsky, Appel, Atlan, Jacobsen, Corneille, Constant, Heerup, Ubac, Reinhoud … D’autres sont là au titre de « compagnons de route » et d’affinités électives, tels Armand Permantier, Louis Van Lint, Oscar Dominguez, Maurice Wijckaert ou Marcel Havrenne. On retrouve également tout l’esprit (et l’humour distancié ou potache) de Dotremont, qui par transitions osées et parfois contradictions vivantes, élabore peu à peu sa propre définition d’un « art expérimental ». Sa principale caractéristique pourrait être de ne jamais succomber à un néo-académisme, en ce compris celui de « l’anti-art ». On l’aura saisi, cet ouvrage témoigne de l’impératif désir de vie et d’expériences nouvelles qui anima Dotremont, et constitue une lecture passionnante d’un bout à l’autre. Abordant par bien des angles des situations qui nous restent contemporaines, elle ne devrait pas combler que les seuls spécialistes…
L’Instant précis où Monet entre dans l’atelier
Jean-Philippe TOUSSAINT , L’instant précis où Monet entre dans l’atelier , Minuit, 2022, 32 p., 6,50 € / ePub : 4,99 € , ISBN : 9782707347831Il faut remercier Ange Leccia. En effet, l’artiste, qui présente son œuvre ( D)’Après Monet au musée de l’Orangerie du 2 mars au 5 septembre de cette année, a donné envie à Jean-Philippe Toussaint d’écrire sur Monet. Et c’est un délice de livre minute, dans un format que l’auteur pratique régulièrement depuis La mélancolie de Zidane , une fulgurance. L’instant précis où Monet entre dans l’atelier s’ouvre sur la phrase du peintre : « Je suis si pris par mon satané travail qu’aussitôt levé, je file dans mon grand atelier ». Une phrase simple en apparence, et qui a déclenché la rêverie puis le travail de Toussaint. L’auteur de La télévision , dont le narrateur ne parvenait pas à avancer dans son essai sur Titien, nous invite à tourner autour de cette image, de pénétrer dans l’atelier du Maître, plus précisément à « saisir Monet là, à cet instant précis où il pousse la porte de l’atelier ». Nous sommes en 1916. Monet travaille aux grands panneaux des Nymphéas . Non loin de Giverny, la guerre fait rage, et Monet se réfugie dans son atelier. Le texte se compose de neuf longs paragraphes qui s’entament de la même manière, l’ouverture de la porte. Chaque période explore une des frontières que l’artiste est en train de traverser à cette heure matinale. Monet oscille. Il est « entre la vie, qu’il laisse derrière lui, et l’art, qu’il va rejoindre ». Entre l’ombre de la nuit et la lumière du jour. Entre deux âges. Entre la vie et la mort. Il travaille « dans l’incertitude », n’ayant aucune idée du destin des Nymphéas , dont il ne sait pas bien quoi faire, ni comment les agencer, qu’il travaille à ne pas finir. Car finir, c’est mourir. « Jamais, de son vivant, il ne laissera les grands panneaux quitter l’atelier pour rejoindre l’Orangerie ».C’est cette oscillation, cette incertitude, que Toussaint place au cœur de son texte, et dont on sait qu’elle participe à une thématique qui le fascine depuis ses premiers romans et essais. Il faut relire L’urgence et la patience , où il tente de révéler le passage entre la lente maturation intérieur et le déclic, le geste de la création. Il faut relire La mélancolie de Zidane , qui s’attache à saisir l’instant précis où tout bascule, et qui creuse déjà l’importance de ne pas finir . Bien entendu, il faut lire et relire l’œuvre romanesque de Jean-Philippe Toussaint, une des plus raffinées et puissantes tout à la fois de la littérature française contemporaine, et qui foisonne de ces situations, personnages, lieux entre deux .Tout est affaire de précision en matière d’équilibre. Une goutte de pluie peut faire chuter le funambule le plus adroit. Dans le cas de Toussaint, l’ entre deux vibre et atteint l’harmonie. La mécanique de ses phrases est d’une telle finesse, la composition de ses tableaux d’une telle subtilité, que le lecteur croit voler alors qu’il marche sur un fil.Dans L’instant précis où Monet entre dans l’atelier , dès le début, le « je » de Toussaint est là, qui s’insère dans les lieux et se murmure en aparté. « C’est le moment du jour que je préfère, c’est l’heure bénie où l’œuvre nous attend ». Toussaint a rêvé Monet, et il partage ce rêve avec nous. Il parle de création, donc il parle aussi de lui. L’équilibre est parfait. Nous pénétrons avec lui dans l’atelier. Nous voyons le soleil se lever. Nous trouvons dans la beauté un refuge à la violence du monde. Et nous nous efforçons de ne pas finir. De rester entre deux . Nicolas…
Eve Bonfanti et Yves Hunstad, accueillir l'inattendu : dialogue avec Frédérique Dolphijn
On connaît déjà les différentes collections littéraires et imagées des éditions belges Esperluète , cette maison qui soigne particulièrement les écritures singulières alliées à un art visuel de choix. La rentrée littéraire est pour Esperluète l’occasion de présenter une toute nouvelle collection, « Orbe », qui offre à lire, sous la forme des dialogues, des réflexions d’auteurs à propos de leur pratique d’écriture et de lecture. « Qui suis je ? C’est la question que les autres posent – et elle est sans réponse. Moi ? Je suis ma langue » écrivait si justement le poète palestinien Mahmoud Darwish dans Une rime pour les Mu’allaqât en 1995. C’est par cette question complexe posée à l’auteur que s’entame chacun des dialogues d’« Orbe » . On habite sa langue moins qu’elle nous habite, moins qu’elle nous façonne et qu’elle nous hante. Disons-le : la langue évolue moins avec nous que nous auprès d’elle. Avec « Orbe », il est question de définir ce qui, pour chaque auteur a provoqué un désir lié à l’écrit. Ce désir, individuel et propre à chacun, s’inscrit dans un rapport au monde, à soi et à la lecture. L’enjeu, ici, sera de découvrir différents mécanismes et processus d’écriture et de création.La collection se veut ouverte à tous les genres littéraires, qu’il s’agisse du roman, de poésie, de nouvelles, de traduction, de théâtre, d’un scénario de film, de bande dessinée ou de littérature de jeunesse. Elle s’adresse à ceux qui s’intéressent au processus d’écriture ou aux auteurs interrogés en particulier, ainsi qu’aux enseignants et participants des ateliers d’écriture.Initiée par l’écrivain et cinéaste Frédérique Dolphijn , la collection présente trois premiers ouvrages dont elle signe le dialogue. Pour chacun d’eux, elle a choisi des mots à l’intention des auteurs. Ces derniers ont été piochés de manière aléatoire, les uns après les autres, et ont initié le début d’un nouveau chapitre et d’une ébauche de réflexion.L’emploi de la deuxième personne, tu , lors de chacun des entretiens, souligne le caractère spontané et non artificiel des dires de l’interrogeant comme de l’interrogé. Nul besoin de faire beau, ici, et c’est ce qui émeut dans le propos : d’entendre les rires et les hésitations entre les lignes nous fait nous, lecteurs, prendre part au dialogue à notre tour. Ève Bonfanti et Yves Hunstad, Accueillir l’inattendu Comment écrire pour enfin dire en public ? Dans cette conversation, il sera question de théâtre et d’une certaine écriture de la transmission.Eve Bonfanti et Yves Hunstad, tous deux acteurs et auteurs de théâtre, ont décidé de mêler leur virtuosité pour fonder la compagnie La fabrique imaginaire . Écrire en duo implique le challenge de la symbiose et de l’entente qui force à passer outre les questions d’égo. Deux écritures faites une, en perpétuel mouvement, donc, inattendue ; en allers-retours de l’une à l’autre, où le public est partie prenante de la création et interroge sans cesse l’auteur. Imprévu Yves : On parle bien de l’écriture… Dans l’acte de jouer, il y a zéro imprévu. Sauf s’il y a un accident qui vient de l’extérieur. Mais de notre part, on ne crée pas d’imprévu quand on joue. On espère qu’il arrive pour orienter l’écriture, pour l’enrichir. Eve : Cet imprévu positif, là dans l’écriture et qui est reproduit après de manière illusoire dans le jeu, provoque une tension… presque une supra conscience dans le cerveau du public… Tout se tend vers ce moment : qu’est-ce qui va se passer ? Colette Nys-Mazure, Quelque chose se déploie C’est par ce dialogue avec Colette Nys-Mazure que s’est lancée la collection « Orbe ».Grande lectrice et enseignante inaltérable, l’incontournable poète, nouvelliste, romancière et essayiste dont l’œuvre a été récompensée de nombreux prix incarne plusieurs facettes de l’écriture poétique. Elle pose, dans ses pages comme dans son quotidien, un regard et une attention soutenus aux autres et à leurs écritures. L’autre C’est vraiment exigeant, l’autre… C’est à la fois l’autre en soi… d’étrange, de différent, d’inquiétant ; c’est l’autre, immédiat, avec qui on vit avec qui on tente de composer (…) Dans les livres que je fréquente, il y a une part des auteurs que j’ai appris à connaître. Mais il y a aussi tous ceux que j’ai envie de découvrir, que je ne connais absolument pas, et qui sont à des milliers de kilomètres de mes préoccupations ou de mes façons d’écrire (…) Il y a une rencontre avec un livre… mais une rencontre qui présuppose des deux côtés une disponibilité. Jaco Van Dormael, Écrire le chaos Qui sommes-nous ? Qu’est-ce que le sens, existe-t-il un sens, que faire de ce chaos qui nous traverse ? Cinéaste de l’imaginaire et de ce qu’il peut y avoir de grand dans l’enfance, Jaco Van Dormael pose chacune de ses réponses sous le signe du questionnement. Se définissant, à la suite de Luigi Pirandello, comme « Un, personne et cent mille », il interroge avec nous le processus de création.C’est à l’écriture de scénario que Frédéric Dolphijn s’intéresse avec Jaco Van Dormael. On y découvre comment, écriture à part entière, elle induit également une création multiforme. Incarnation Celui qui incarne le plus, c’est l’acteur. C’est en ça que l’écriture que je fais est une écriture collective ! C’est à dire que je vis avec des fantômes pendant des années, dont je note les conversations par bribes, qui me sont très familiers, pour lesquels parfois j’ai de l’amour, parce que je les connais bien. Ils changent de visage régulièrement. (…) ce sont des « multi personnages. (…) En général on dit qu’il y a trois écritures : l’écriture du scénario, l’écriture sur le plateau et l’écriture au montage. On ne parle jamais de la quatrième écriture, la plus importante : celle du spectateur qui retient certaines choses, en oublie d’autres, inverse les scènes, fait dire à tel personnage des choses qu’il n’a pas dites, et qui se réapproprie le film. Victoire de Changy Dans cette conversation, il sera question de théâtre et de l’écriture de la transmission. Comment dire pour un public ? Le spectateur devient partie prenante de la création dans les interrogations de ces deux auteurs de théâtre. Eve Bonfanti et Yves Hunstad ont décidé de mêler leurs talents ; écrire en duo implique une symbiose et une entente de travail qui dépasse les questions d’ego. La finalité est directement au centre du processus. Il ne s’agit donc pas de double jeu mais de construire cette présence à l’autre, induire la lecture d’un spectacle, l’écoute d’un texte. Accueillir l’inattendu, c’est admettre cette place du jeu, de l’improvisation, de l’accident et de l’imprévu. C’est le faire sien pour mieux avancer dans le processus d’écriture. Écriture qui se place ici clairement dans l’oralité, le son et le sens des mots faisant un, le jeu de l’acteur participant à l’écriture... Partageant avec générosité et enthousiasme ces moments d’écriture, Eve Bonfanti et Yves Hunstad mêlent leurs voix à celle de Frédérique Dolphijn pour une conversation…