Auteur de Visites à l’atelier du peintre Arié Mandelbaum
Le regard d’un écrivain-poète sur le travail d’un artiste qu’il suit depuis quelques dizaines d’années. Un parcours sensible que Serge Meurant partage avec nous dans son livre Visites à l’atelier du peintre Arié Mandelbaum.Il y a réuni les textes écrits à partir des années septante : évocations des tableaux et dessins évoluant au fil du temps, fragments poétiques…C’est en 1977 que l’auteur découvre cet atelier, « vaste comme une scène de théâtre », baigné de lumière entre une grande verrière et de larges fenêtres. Il décrit les toiles exposées et formule déjà cette intuition : « Mandelbaum évoque le fou, notre double éveillé qui parle nos lapsus, nos actes manqués et révèle souvent notre…
Le poète André Doms nous livre, en trois denses volumes – Italiques , Ibériques…
L’Instant précis où Monet entre dans l’atelier
Jean-Philippe TOUSSAINT , L’instant précis où Monet entre dans l’atelier , Minuit, 2022, 32 p., 6,50 € / ePub : 4,99 € , ISBN : 9782707347831Il faut remercier Ange Leccia. En effet, l’artiste, qui présente son œuvre ( D)’Après Monet au musée de l’Orangerie du 2 mars au 5 septembre de cette année, a donné envie à Jean-Philippe Toussaint d’écrire sur Monet. Et c’est un délice de livre minute, dans un format que l’auteur pratique régulièrement depuis La mélancolie de Zidane , une fulgurance. L’instant précis où Monet entre dans l’atelier s’ouvre sur la phrase du peintre : « Je suis si pris par mon satané travail qu’aussitôt levé, je file dans mon grand atelier ». Une phrase simple en apparence, et qui a déclenché la rêverie puis le travail de Toussaint. L’auteur de La télévision , dont le narrateur ne parvenait pas à avancer dans son essai sur Titien, nous invite à tourner autour de cette image, de pénétrer dans l’atelier du Maître, plus précisément à « saisir Monet là, à cet instant précis où il pousse la porte de l’atelier ». Nous sommes en 1916. Monet travaille aux grands panneaux des Nymphéas . Non loin de Giverny, la guerre fait rage, et Monet se réfugie dans son atelier. Le texte se compose de neuf longs paragraphes qui s’entament de la même manière, l’ouverture de la porte. Chaque période explore une des frontières que l’artiste est en train de traverser à cette heure matinale. Monet oscille. Il est « entre la vie, qu’il laisse derrière lui, et l’art, qu’il va rejoindre ». Entre l’ombre de la nuit et la lumière du jour. Entre deux âges. Entre la vie et la mort. Il travaille « dans l’incertitude », n’ayant aucune idée du destin des Nymphéas , dont il ne sait pas bien quoi faire, ni comment les agencer, qu’il travaille à ne pas finir. Car finir, c’est mourir. « Jamais, de son vivant, il ne laissera les grands panneaux quitter l’atelier pour rejoindre l’Orangerie ».C’est cette oscillation, cette incertitude, que Toussaint place au cœur de son texte, et dont on sait qu’elle participe à une thématique qui le fascine depuis ses premiers romans et essais. Il faut relire L’urgence et la patience , où il tente de révéler le passage entre la lente maturation intérieur et le déclic, le geste de la création. Il faut relire La mélancolie de Zidane , qui s’attache à saisir l’instant précis où tout bascule, et qui creuse déjà l’importance de ne pas finir . Bien entendu, il faut lire et relire l’œuvre romanesque de Jean-Philippe Toussaint, une des plus raffinées et puissantes tout à la fois de la littérature française contemporaine, et qui foisonne de ces situations, personnages, lieux entre deux .Tout est affaire de précision en matière d’équilibre. Une goutte de pluie peut faire chuter le funambule le plus adroit. Dans le cas de Toussaint, l’ entre deux vibre et atteint l’harmonie. La mécanique de ses phrases est d’une telle finesse, la composition de ses tableaux d’une telle subtilité, que le lecteur croit voler alors qu’il marche sur un fil.Dans L’instant précis où Monet entre dans l’atelier , dès le début, le « je » de Toussaint est là, qui s’insère dans les lieux et se murmure en aparté. « C’est le moment du jour que je préfère, c’est l’heure bénie où l’œuvre nous attend ». Toussaint a rêvé Monet, et il partage ce rêve avec nous. Il parle de création, donc il parle aussi de lui. L’équilibre est parfait. Nous pénétrons avec lui dans l’atelier. Nous voyons le soleil se lever. Nous trouvons dans la beauté un refuge à la violence du monde. Et nous nous efforçons de ne pas finir. De rester entre deux . Nicolas…
Cultures des lisières. Éloge des passeurs, contrebandiers et autres explorateurs
Cultures des lisières. Un beau titre, plein de promesses, au sous-titre excitant Éloge des passeurs, contrebandiers et autres explorateurs , pour le livre dans lequel Jean Hurstel, acteur passionné, engagé de la vie culturelle, particulièrement dans le domaine théâtral, retraverse son parcours avec autant de rigueur que de franchise et de sensibilité.De Strasbourg où il s’inscrit à seize ans à l’École supérieure d’Art dramatique, qui vise à former des acteurs pour aller au-devant des publics populaires, puis, étudiant en philosophie à l’Université, y créait le Théâtre universitaire, à Bruxelles où il préside depuis dix ans les Halles de Schaerbeek, c’est un itinéraire aux multiples étapes qu’il revit avec nous. Porté par l’ardente conviction que toute politique culturelle doit se fonder sur l’histoire de l’art, la création artistique, mais aussi sur la rencontre avec les populations trop souvent oubliées de la culture officielle, celles des zones industrielles désaffectées, des périphéries urbaines, des campagnes abandonnées. Tout juste sorti du Centre dramatique, il participe avec d’autres jeunes comédiens aux Tréteaux de l’Est qui partaient, à bord d’un autocar brinquebalant mais « dans la grande ferveur des commencements », convertir les populations villageoises de la plaine d’Alsace aux beautés de la culture par la grâce du théâtre. Mais ces militants enfiévrés du théâtre populaire ne trouvaient, au bout de leurs périples, qu’une maigre assistance de notables (sous-préfet, maître d’école, pharmacien…) et jamais le public populaire espéré.Impossible d’en rester là, de renoncer à ce rêve de porter la culture à ceux qui en sont éloignés.Jean Hurstel fait ses premières armes d’animateur culturel à Belfort (1969-1970), invité par le comité d’entreprise de l’usine Alsthom. Il propose aux ouvriers de mettre sur pied un atelier théâtral pour monter deux œuvres originales qui seront pleinement d’eux et à eux. La réponse sera magnifique. Nous suivons la construction collective d’une fiction à partir des récits-témoignages de chacun. Œuvre commune, transposée à la scène et jouée dans des cantines d’usines, sous une tente de cirque, dans les combles d’un collège… L’animateur novice n’oubliera jamais « l’énorme potentiel de créativité et d’énergie de ceux d’Alsthom ».Après Belfort-Alsthom, Montbéliard-Peugeot. Engagé au Centre d’Action culturelle de la ville dont Peugeot est « le moteur, l’aimant, le centre », il décrit « un intense voyage de sept ans » qui commença par les visites aux ouvriers de l’usine Peugeot, dans leurs blocs bétonnés, qui accueillent amicalement « cet hurluberlu venu d’une planète inconnue appelée la culture ». Entretiens, échanges, reconnaissance mutuelle. « Petits brandons allumés soir après soir dans les salons des tours HLM », qui produiront, ici un feuilleton théâtral ; là un atelier créatif pour les jeunes, prompts à la bagarre, où la sœur de Simone de Beauvoir, Hélène, plasticienne, invitée à s’y investir, fera merveille, désamorçant les querelles par ses façons délicates et respectueuses envers eux. Les idées germent, des liens se nouent. Culminant dans une grande fête envahissant le centre-ville, le quartier « des gens bien », pris d’assaut dans l’allégresse de cortèges hauts en couleur.À cette époque, Jean Hurstel prend part à des sessions du Conseil Européen et se lie d’amitié avec des représentants de notre ministère de la Culture, tel Henry Ingberg, et collabore à diverses initiatives en Belgique, notamment l’action du Théâtre de la Communauté de Seraing et le lancement de la Formation des comédiens-animateurs.L’aventure se poursuit, contée avec verve, émaillée d’anecdotes, de portraits croqués sur le vif, d’expériences variées, de hauts et de bas, mais gardant le cap : « Allumer de minuscules feux en espérant grande flambée ».Objectif : varier les démarches, chercher toujours de nouveaux chemins vers l’autre, inventer des approches d’un échange vrai, découvrir et promouvoir un imaginaire populaire, ouvert et fraternel. « Il faut toujours rêver ses révolutions avant de les accomplir. »En 1978, il est nommé directeur de l’Action culturelle du Bassin houiller lorrain, sa terre natale, « le pays des mines et des frontières », appelé aujourd’hui Moselle Est, comme s’il fallait effacer toute trace de son passé, « faire table rase de tout repère ».Jean Hurstel n’a cessé de combattre pour la diversité des cultures, contre la hiérarchie établie entre la Culture unique, universelle, l’Art, et les cultures populaires, regardées avec une sympathie condescendante. Or elles ne sont pas antagonistes mais complémentaires.Autre enjeu : dépasser les clôtures non seulement sociales mais aussi nationales. Avec quelques amis, il fonde en 1990 le réseau Banlieues d’Europe, sous l’invocation « l’art dans la lutte contre l’exclusion », qui se voue à repérer, éclairer des projets artistiques, au plus près des quartiers populaires, le plus souvent ignorés des autorités et des médias. À forger entre eux une chaîne de solidarité, de Belfast à Bruxelles, de Lyon à Bucarest. C’est ainsi qu’il salue Bernard Foccroule, à la base de l’association Culture et Démocratie, très active en faveur de la diversité culturelle et sociale de notre pays. Banlieues d’Europe, que Jean Hurstel préside pendant plus de dix ans, tient des réunions annuelles, notamment à Bruxelles, Anvers, Liège…Sur la proposition de la municipalité, il revient à Strasbourg pour diriger un futur centre consacré à la diversité des cultures. À ce Centre Européen de la jeune Création succède le Théâtre des Lisières, qui déploiera une activité effervescente, passionnante (entre toutes, il se souvient de la lisière avec les cultures turques), mais sera bientôt menacé, puis condamné.Et pourtant, « le monde des cultures reste à explorer, à faire vivre, à mettre en lumière ». Face au « royaume sublime des institutions culturelles officielles, légitimes, seules habilitées à nous offrir les biens et services culturels de ce temps », il importe de célébrer les passeurs, contrebandiers et autres explorateurs, qui franchissent hardiment la frontière et s’aventurent dans l’autre monde, complexe…