Auteur de Visites à l’atelier du peintre Arié Mandelbaum
Le regard d’un écrivain-poète sur le travail d’un artiste qu’il suit depuis quelques dizaines d’années. Un parcours sensible que Serge Meurant partage avec nous dans son livre Visites à l’atelier du peintre Arié Mandelbaum.Il y a réuni les textes écrits à partir des années septante : évocations des tableaux et dessins évoluant au fil du temps, fragments poétiques…C’est en 1977 que l’auteur découvre cet atelier, « vaste comme une scène de théâtre », baigné de lumière entre une grande verrière et de larges fenêtres. Il décrit les toiles exposées et formule déjà cette intuition : « Mandelbaum évoque le fou, notre double éveillé qui parle nos lapsus, nos actes manqués et révèle souvent notre…
Positions pour la lecture. Promenades lectures-écritures-ateliers
Bien rares sont les auteurs qui sortent tout armés de leur écriture première. La plupart tournent en rond interminablement. Ils effectuent des rites de passages, sacrifient aux idoles du jour, et suivent des pistes qui débouchent sur des sources taries. Soit qu’ils croient que la littérature est de la musique, soient qu’ils pensent qu’elle est un témoignage vécu, ils n’échappent pas aux apparences, c’est-à-dire à la répétition.Il est pourtant tout simple de remarquer que la littérature est une vision, soutenue par une langue intime, et happée par l’amour de la vérité. Pour en faire l’expérience personnelle, il suffit d’explorer quelques-unes de ces îles au trésor qu’on appelle les chefs d’œuvre. On ne devient pas écrivain parce qu’on a connu l’Asie et l’Afrique, ou vécu des amours déchirantes, ou pratiqué l’art de la guerre et du thé, ou subi l’ignominie d’une enfance terrifiée. Toute cette matière précieuse, toutes ces émotions de vie, demeurent inopérantes, faute d’un déclic préalable, le seul déclic décisif à un autre niveau de conscience : la lecture.C’est un secret de Polichinelle, mais un secret quand même, que la biographie est un faux ami pour un écrivain, et qu’il faut avoir vécu la vie des autres, à travers les livres, à travers la langue, avant que le processus se mette en branle pour l’opération véritable.Cette relation étroite, complexe, entre lire et écrire, est un peu occultée par le fantasme du présent à tout prix qui règne, tant en politique qu’en matière d’enseignement, et qui exclut la durée créatrice, mais nous ne sommes pas obligés d’y adhérer : il est juste utile de le prendre en compte, comme un obstacle de plus à franchir.La formule de Valery Larbaud, « la lecture, ce vice impuni » ne se situe plus tout à fait à ce niveau d’innocence où Larbaud l’entendait. L’espace de la lecture est si peu prévu et si peu valorisé par la société e-commerciale où nous vivons, que la pratiquer régulièrement suppose un peu de de décision stoïcienne, c’est-à-dire de force d’âme. On peut s’en convaincre en prenant le train ou l’avion : sur les écrans entre toutes les mains, il passe peu de textes, au sens continu et organisé du terme. Chacun, bien sûr, peut préférer le jeu League of legends à la pratique de cette légende plus ancienne qu’on appelle la littérature. Le bonheur volontaire est une option comme une autre. Nous sommes aujourd’hui au cœur de la séparation entre l’écriture et la lecture Position pour la lecture , de Daniel Simon, est un livre à étages multiples, comme certaines fusées qu’on envoie dans le ciel. Sans didactisme, sans abstraction, mais en suivant du doigt la ligne la plus sensible de l’esprit, il établit le rapport nécessaire entre lire et écrire, et entre écrire et vivre une vie en alerte. Je passe la nuit à lire, à m’assoupir et à lire encore Daniel Simon s’est fait connaître comme dramaturge, comme formateur et comme poète. Ces différentes incarnations contribuent à donner du prix et de l’autorité à cet essai flamboyant. Une grande énergie, une longue vue du monde, un sens critique de la réalité se manifestent dans ces pages nées d’une expérience profonde qui remonte à l’enfance. Je regardais le monde et il ne ressemblait jamais aux livres que je lisais Loin des mensonges, loin des illusions, ce livre établit, par petites touches, le rapport dialectique nécessaire entre lire et créer. Il évoque, il appelle, d’autres lectures à venir, celles où la vie de la littérature se confond avec notre propre vie, essentiellement « romanesque » puisqu’elle nous fait considérer comme plus précieux que l’or la littérature, la vraie vie, celle dont le modèle existe, mais n’est plus en usage et qu’il s’agit de retrouver. Aimer la lecture et les livres, s’en faire le berceau d’une vie jusqu’à son lit de mort, est une façon de tenir Fort Alamo… La dernière partie de ce livre-programme (un programme pour l’esprit) est consacré aux Ateliers d’écriture : ce n’est pas un hasard. La question de la lecture, qu’elle débouche sur l’écriture ou sur un autre changement de vitesse de la vie, est indissociable de la transmission. Chaque lecteur, chaque génération de lecteurs véritables, témoigne, par l’usage des livres, par sa façon d’en faire scintiller quelques paillettes d’or, que la lecture est à la base de presque toutes les jouissances qu’on peut tirer de son rapport au monde, même quand il s’exerce dans les domaines sans dimension livresque : l’amour, le voyage, la sociabilité. Car lire ne se résume pas à parcourir les mots alignés sur la page au sur l’écran. C’est un état d’esprit qui consiste à unifier les mots et les sens, à relier le passé au présent, à reconnaître la trouvaille sous le fatras apparent de la répétition, et à placer la création, dans l’ordre des labeurs humains, à sa seule place efficace : au centre. C’est là une joie, un des enjeux des ateliers d’écriture, chasser les fantômes pour faire apparaître la chair et la matière d’un tout qui se nomme la vie. L’auteur illustre par son parcours même l’urgence de la lecture comme source et autant dire comme forme de création. Son savoir, son regard, naissent d’un long compagnonnage avec les livres et avec les lecteurs. Il en tire un bilan joyeux, léger, grave pourtant, qui constitue, par courts chapitres, à la fois un traité de vie et un aboutissement.Il est lui-même cet écrivain qu’on n’avait pas vu venir, qui avançait caché, dans la jungle des livres, et qui soudain est là, obstinément, pour dire sa part de mystère et de dévoilement. Il avait depuis longtemps choisi la position couchée lors de ses activités de lecture, de même pour l’écriture, c’était dans ce mol repli que tout s’ouvrait. Positions pour la lecture : un livre profond, sinueux, obstiné, qui occupe une place nécessaire dans le débat qui n’a pas lieu, mais dont nous ressentons tous l’urgence : l’avenir de l’écriture littéraire. Luc…
Eve Bonfanti et Yves Hunstad, accueillir l'inattendu : dialogue avec Frédérique Dolphijn
On connaît déjà les différentes collections littéraires et imagées des éditions belges Esperluète , cette maison qui soigne particulièrement les écritures singulières alliées à un art visuel de choix. La rentrée littéraire est pour Esperluète l’occasion de présenter une toute nouvelle collection, « Orbe », qui offre à lire, sous la forme des dialogues, des réflexions d’auteurs à propos de leur pratique d’écriture et de lecture. « Qui suis je ? C’est la question que les autres posent – et elle est sans réponse. Moi ? Je suis ma langue » écrivait si justement le poète palestinien Mahmoud Darwish dans Une rime pour les Mu’allaqât en 1995. C’est par cette question complexe posée à l’auteur que s’entame chacun des dialogues d’« Orbe » . On habite sa langue moins qu’elle nous habite, moins qu’elle nous façonne et qu’elle nous hante. Disons-le : la langue évolue moins avec nous que nous auprès d’elle. Avec « Orbe », il est question de définir ce qui, pour chaque auteur a provoqué un désir lié à l’écrit. Ce désir, individuel et propre à chacun, s’inscrit dans un rapport au monde, à soi et à la lecture. L’enjeu, ici, sera de découvrir différents mécanismes et processus d’écriture et de création.La collection se veut ouverte à tous les genres littéraires, qu’il s’agisse du roman, de poésie, de nouvelles, de traduction, de théâtre, d’un scénario de film, de bande dessinée ou de littérature de jeunesse. Elle s’adresse à ceux qui s’intéressent au processus d’écriture ou aux auteurs interrogés en particulier, ainsi qu’aux enseignants et participants des ateliers d’écriture.Initiée par l’écrivain et cinéaste Frédérique Dolphijn , la collection présente trois premiers ouvrages dont elle signe le dialogue. Pour chacun d’eux, elle a choisi des mots à l’intention des auteurs. Ces derniers ont été piochés de manière aléatoire, les uns après les autres, et ont initié le début d’un nouveau chapitre et d’une ébauche de réflexion.L’emploi de la deuxième personne, tu , lors de chacun des entretiens, souligne le caractère spontané et non artificiel des dires de l’interrogeant comme de l’interrogé. Nul besoin de faire beau, ici, et c’est ce qui émeut dans le propos : d’entendre les rires et les hésitations entre les lignes nous fait nous, lecteurs, prendre part au dialogue à notre tour. Ève Bonfanti et Yves Hunstad, Accueillir l’inattendu Comment écrire pour enfin dire en public ? Dans cette conversation, il sera question de théâtre et d’une certaine écriture de la transmission.Eve Bonfanti et Yves Hunstad, tous deux acteurs et auteurs de théâtre, ont décidé de mêler leur virtuosité pour fonder la compagnie La fabrique imaginaire . Écrire en duo implique le challenge de la symbiose et de l’entente qui force à passer outre les questions d’égo. Deux écritures faites une, en perpétuel mouvement, donc, inattendue ; en allers-retours de l’une à l’autre, où le public est partie prenante de la création et interroge sans cesse l’auteur. Imprévu Yves : On parle bien de l’écriture… Dans l’acte de jouer, il y a zéro imprévu. Sauf s’il y a un accident qui vient de l’extérieur. Mais de notre part, on ne crée pas d’imprévu quand on joue. On espère qu’il arrive pour orienter l’écriture, pour l’enrichir. Eve : Cet imprévu positif, là dans l’écriture et qui est reproduit après de manière illusoire dans le jeu, provoque une tension… presque une supra conscience dans le cerveau du public… Tout se tend vers ce moment : qu’est-ce qui va se passer ? Colette Nys-Mazure, Quelque chose se déploie C’est par ce dialogue avec Colette Nys-Mazure que s’est lancée la collection « Orbe ».Grande lectrice et enseignante inaltérable, l’incontournable poète, nouvelliste, romancière et essayiste dont l’œuvre a été récompensée de nombreux prix incarne plusieurs facettes de l’écriture poétique. Elle pose, dans ses pages comme dans son quotidien, un regard et une attention soutenus aux autres et à leurs écritures. L’autre C’est vraiment exigeant, l’autre… C’est à la fois l’autre en soi… d’étrange, de différent, d’inquiétant ; c’est l’autre, immédiat, avec qui on vit avec qui on tente de composer (…) Dans les livres que je fréquente, il y a une part des auteurs que j’ai appris à connaître. Mais il y a aussi tous ceux que j’ai envie de découvrir, que je ne connais absolument pas, et qui sont à des milliers de kilomètres de mes préoccupations ou de mes façons d’écrire (…) Il y a une rencontre avec un livre… mais une rencontre qui présuppose des deux côtés une disponibilité. Jaco Van Dormael, Écrire le chaos Qui sommes-nous ? Qu’est-ce que le sens, existe-t-il un sens, que faire de ce chaos qui nous traverse ? Cinéaste de l’imaginaire et de ce qu’il peut y avoir de grand dans l’enfance, Jaco Van Dormael pose chacune de ses réponses sous le signe du questionnement. Se définissant, à la suite de Luigi Pirandello, comme « Un, personne et cent mille », il interroge avec nous le processus de création.C’est à l’écriture de scénario que Frédéric Dolphijn s’intéresse avec Jaco Van Dormael. On y découvre comment, écriture à part entière, elle induit également une création multiforme. Incarnation Celui qui incarne le plus, c’est l’acteur. C’est en ça que l’écriture que je fais est une écriture collective ! C’est à dire que je vis avec des fantômes pendant des années, dont je note les conversations par bribes, qui me sont très familiers, pour lesquels parfois j’ai de l’amour, parce que je les connais bien. Ils changent de visage régulièrement. (…) ce sont des « multi personnages. (…) En général on dit qu’il y a trois écritures : l’écriture du scénario, l’écriture sur le plateau et l’écriture au montage. On ne parle jamais de la quatrième écriture, la plus importante : celle du spectateur qui retient certaines choses, en oublie d’autres, inverse les scènes, fait dire à tel personnage des choses qu’il n’a pas dites, et qui se réapproprie le film. Victoire de Changy Dans cette conversation, il sera question de théâtre et de l’écriture de la transmission. Comment dire pour un public ? Le spectateur devient partie prenante de la création dans les interrogations de ces deux auteurs de théâtre. Eve Bonfanti et Yves Hunstad ont décidé de mêler leurs talents ; écrire en duo implique une symbiose et une entente de travail qui dépasse les questions d’ego. La finalité est directement au centre du processus. Il ne s’agit donc pas de double jeu mais de construire cette présence à l’autre, induire la lecture d’un spectacle, l’écoute d’un texte. Accueillir l’inattendu, c’est admettre cette place du jeu, de l’improvisation, de l’accident et de l’imprévu. C’est le faire sien pour mieux avancer dans le processus d’écriture. Écriture qui se place ici clairement dans l’oralité, le son et le sens des mots faisant un, le jeu de l’acteur participant à l’écriture... Partageant avec générosité et enthousiasme ces moments d’écriture, Eve Bonfanti et Yves Hunstad mêlent leurs voix à celle de Frédérique Dolphijn pour une conversation…