Un haïku c’est Entre culture et nature Un instantané L’expression d’une émotion Un tout petit confettiTelle est la définition, dans les règles de l’art, que livre Tito Dupret de cette expression littéraire née au Japon et dérivée du tanka : le haïku. Formellement, ces poèmes, brefs et denses, s’articulent autour de trois périodes de 17 mores (5 – 7 – 5) pour le haïku, adjoints de 14 autres réunis en un verset (5 – 7 – 5 / 7 – 7) pour le tanka. Symboliquement, tous deux captent la Nature, les saisons et l’instant présent dans des évocations fugaces. Tito Dupret en a rassemblé soixante-trois, dans son recueil Universeul – La Vie par haïkus, et les a assortis de soixante-quatre photographies…
Deux petits livres de poésie pour la jeunesse viennent de paraitre aux éditions Rue du monde. Le premier, Une seconde, papillon ! , est écrit à quatre mains par deux poètes de la même famille, Pierre Coran et son fils Carl Norac . C’est un événement, puisqu’il s’agit pour eux d’une première expérience collective d’écriture partagée. Habités par une inspiration commune, ils captent la poésie dans chaque instant de la vie véritable et essentielle. Puissamment positifs, les poèmes évoquent le temps qui passe, le hasard, la réalité, l’enfance, le rêve. Au fil des pages, s’écrit un dialogue unique et poétique entre un père et son fils, une transmission de ce qu’il faut regarder intensément et rêveusement pour appréhender le visible : Mon père m’apprit que le mot « futur » n’est pas une simple annonce. Pas à pas, il commence avant qu’on le prononce. Les secondes s’écoulent, les rêvent s’enfuient après la nuit, tout est une question de toucher au plus près ce qui a déjà disparu, de saisir la magie des moments et de les étirer, grâce aux pouvoirs de la poésie, au-delà de leur simple durée : Est-il saugrenu, incongru, impromptu, superflu de tenter, sans relâche, de retrouver pour nous, rien que pour nous, où qu’il se cache, le temps perdu ? Traversant des pays de légendes, leur poésie ralentit les gens pressés, immobilise les aiguilles des horloges. Illustré par six images très colorées et vivaces de Cécile Gambini, le recueil est habité par des hiboux, des oiseaux rouges et des papillons roulant à vélo dans un ciel de constellations et de voies lactées. Ce qui vole est suspendu dans les filets de leur langage poétique. On lit ces poèmes comme des petits talismans pour accompagner les enfants dans la nuit ou pour bien commencer la journée, « pour qu’elle chante encore ». Cette forme à quatre mains rappelle que « La poésie naît toujours d’un croisement de regards, d’un détail posé différemment dans un paysage ou d’une pensée aussi fugitive et concrète que le pas de la danseuse. On nommera comme on veut cet instant où, à son tour, l’instant vous traverse » ( Carl Norac, La poésie pour adultes et enfants : le grand écart? , Midis de la poésie éditions, 2020 ). L’alliage de ces deux paroles fait que rien ne s’achève, tout se prolonge comme les trois points de suspension que l’on trace à la fin de nos phrases pour profiter plus longuement de la vie qui « est un château de neige ».Le second livre, Poèmes cueillis dans la forêt de vos yeux est une proposition de la poétesse Françoise Lison-Leroy qui a appris à lire dans les yeux des enfants. S’en suit une quarantaine de courts poèmes avec comme titre le prénom d’un enfant. Tels des haïkus, les textes sont de brefs portraits révélant une palette large d’émotions : la colère, la peur, la perte d’un être cher, le secret, le besoin de protection, la disparition. Les yeux, miroirs de l’âme, disent ce qui est généralement silencié. Le talent de Françoise Lison-Leroy est d’écrire cet indicible, de le traduire en courts poèmes car « certains mots savent se faire pommade ». La nature est le décor de ces mondes oculaires. Y vibrent un ruisseau, des champs, deux éclairs bleus, des abeilles, des libellules, des chevaux, des hérons cendrés et des lérots. ToutEs co-habitent et invitent les Inès, Joël, Valère, Ellen à trouver leur place. Chaque écrit est une possible rencontre, un moment de joie ou de tristesse, une manière lumineuse de s’évader. Par les mots, l’espoir est de mise pour « dompter » le monde qui nous entoure et ressentir les cœurs des enfants qui battent fort.Léo Chemin…
Passeports pour ailleurs. Poésie mémorielle Wu-sun
Dans la galaxie actuelle des livres, au plus loin de la littérature conçue comme une start-up , à des années-lumière des écrivains comme fondés de pouvoir du capital, il est des ouvrages qui rendent à la lettre ses puissances chamaniques, son souffle sauvage, son pari pour un art des confins. Poète , romancier ( Silex et L’orée ), traducteur, musicien, grand voyageur des espaces géographiques et des espaces intérieurs, Daniel De Bruycker nous fait don avec Passeports pour ailleurs de la redécouverte d’une Atlantide poétique, d’un art funéraire où le poème rédigé par le mourant tient lieu de sépulture. Au fil d’une anthologie de textes s’échelonnant du VIIIème au XXIème siècle, héritier des travaux du linguiste Ilan Precjev Ilan (1927-2015) qui l’a initié à la langue tokharienne (proche du celte) et à l’écriture des Wu-sun, Daniel De Bruycker délivre les traductions de 99 poèmes écrits par des représentants de ce peuple de Haute-Asie, jadis des tribus nomades d’origine aryenne, « roux aux yeux bleus ». Alors que les Wu-sun étaient considérés comme un peuple sans écriture, Ilan Precjev Ilan a découvert des textes poétiques rédigés initialement avec des végétaux, des feuilles, des tiges, par la suite à l’aide de montages métalliques. Au soir de leur vie, les artisans, les guerriers, les éleveurs Wu-sun composaient un poème testamentaire, un mausolée de mots structuré en neuf lignes disposées sur trois tercets, couchant sur du cuir de cheval, de la peau de bouquetin, des écorces de bouleau, de peuplier, des plaques d’acier, du papier par la suite un texte condensant l’existence qu’ils ont menée. La pratique des urnes poétiques s’est poursuivie clandestinement lorsque, dominé par les Chinois, les Russes, le monde pastoral des Wu-sun fut détruit, entraînant une diaspora de la communauté. Il fallait un poète, doublé d’un musicien, d’un passionné de langues mortes, orientales, archaïques, actuelles pour rendre vie au mémorial d’un peuple oublié.La prouesse du déchiffrement d’un alphabet que peu de savants ont exploré, l’ampleur du travail de restitution de la versification ne seraient rien sans la profondeur poétique véhiculée par la traduction. En poète, en barde, en aède, Daniel De Bruycker se fait le passeur de ceux qui n’embrassaient l’écriture que pour assurer leur passage dans l’au-delà, transmettant à leurs descendants une arche de mots, de pensées soudant l’identité des Wu-sun. S’inscrivant dans un cadre rituel, chaque poème arraché à la vie qui s’en va compose une tombe, s’offre comme un bâton-témoin à transmettre aux générations futures. Des anciens « maenawidhae », poèmes du souvenir, datant des VIIIème-XIIIème siècles aux textes classiques (XIVème—XVIIIème siècles), puis modernes (du XIXème siècle à nos jours), une évolution se dessine, évolution des motifs, de la prosodie, une inflexion vers des recherches formalistes, voire vers l’abstraction lors de la période classique. Imprégnées d’animisme, rédigées en écriture cursive ou calligraphiées, les missives uniques et ultimes des futurs défunts (si un homme, une femme venait à périr de mort violente, un de ses héritiers s’attelait parfois à la rédaction d’un talisman menant dans l’outre-monde) s’élèvent comme des chants sacrés d’où l’anecdotique se voit banni. Le dernier geste qui clôt une vie tient du bilan d’un séjour, d’une adresse à ceux qui restent. Le poème végétal, le poème-abaque, le poème calligraphié ouvre la dernière porte, celle qui mène à l’ailleurs. On songe à l’épure du haïku, à l’art de la concision, de la formule qui insère une existence dans les valeurs civilisationnelles des Wu-sun (l’espace, le nomadisme, les steppes, les chevaux, la nostalgie du pays perdu ensuite…). Ce n’est pas l’âge qui fait le vieillard ! C’est ce qu’il commence à voir Non dans l’éclat du matin mais dans l’ombre du soir, (dernier tercet d’un poème mémoriel du début du 16ème siècle) Hormis le poème d’Ilan Precjev Ilan rédigé en 2015, le dernier texte Wu-sun collecté dans ce recueil date de 1997. L’art poétique Wu-sun survivra-t-il au XXIème siècle ? Fabuleux trésor pour qui vit à hauteur de poésie, pour qui taille les phrases comme le vent sculpte les montagnes, Passeports pour ailleurs rappelle la puissance sacrée du verbe dans une époque où triomphent les logorrhées de discours pixellisés, l’inflation vaine et dérisoire du verbiage, de propos de table érigés en bréviaire philosophique. Véronique Bergen…
Recueil de poèmes Écrire, pour moi, c’est chercher l’écart et la trace , confie Daniel Charneux…