Politique, drôle, créative, talentueuse, parfois difficile à traduire en dehors de son contexte politico-culturel, mais diverse et en constante évolution, la bande dessinée turque mérite qu’on s’y attarde.
Politique, drôle, créative, talentueuse, parfois difficile à traduire en dehors de son contexte politico-culturel, mais diverse et en constante évolution, la bande dessinée turque mérite qu’on s’y attarde.
Tout au long de son histoire, elle a construit un lectorat important, que ce soit à travers la traduction des nombreuses bandes dessinées de renommée internationale ou au sein de ses propres auteurs et artistes. La création autour de la BD aujourd’hui va au-delà des revues satiriques, même si le contexte politique ne…
Mon corps, ce lieu de poésie témoin d’expérimentation criminelle
« Le 1 er avril 2020, une journaliste avait réagi à la lettre indignée que j’avais adressée à la Première Ministre belge du gouvernement de transition, Sophie Wilmès, face au scandale Proximus : alors que le peuple belge est confiné depuis le 13 mars en raison de la pandémie de Coronavirus, les médias révèlent que la compagnie de téléphonie belge s’apprête à déployer parcimonieusement la 5G sur l’ensemble du territoire. Vingt-sept communes en Flandre, vingt-six en Wallonie feraient l’objet de zones tests. Les responsables communaux et les citoyens avaient-ils été consultés ? Bien sûr que non ! » Ancrant son témoignage dans les bavures d’un geste politique indécent, l’auteure interroge la fuite en avant technologique et ultralibérale des sociétés numériques fondées sur des impératifs matérialistes et économiques au détriment de l’intégrité de la biosphère et de l’humanité. Illustration de couverture : Théo Bouvier Chanquia « Le 1 er avril 2020, une journaliste avait réagi à la lettre indignée que j’avais adressée à la Première ministre belge du gouvernement de transition, Sophie Wilmès, face au scandale Proximus : alors que le peuple belge est confiné depuis le 13 mars en raison de la pandémie de Coronavirus, les médias révèlent que la compagnie de téléphonie belge s’apprête à déployer parcimonieusement la 5G sur l’ensemble du territoire. Vingt-sept communes en Flandre, vingt-six en Wallonie feraient l’objet de zones tests. Les responsables communaux et les citoyens avaient-ils été consultés ? Bien sûr que non ! » Ancrant son témoignage dans les bavures d’un geste politique indécent, l’auteure, électrosensible, interroge la fuite en avant technologique et ultralibérale des sociétés numériques fondées sur des impératifs matérialistes et économiques au détriment de l’intégrité de la biosphère et de l’humanité. ÉCOUTER UN EXTRAIT : SonaLitté · Caroline Bouchoms - Mon corps, ce lieu de poésie…
L’endroit défriché par le fou : Carnets d’une Côte d’Or
L’endroit défriché par le fou : quel titre étrange ! C’est ainsi que le Romains auraient appelé Sclessin, Scloeticinus , où le narrateur a grandi. Quant aux Carnets d’une Côte d’Or , ils font référence à la rue où vécut sa famille. La Belgique est terre de comédiens et de comédiennes. Parmi ces nombreux artistes, Christian Crahay n’est pas le moindre. Il a travaillé aux côtés de Lucas Belvaux, Jean-Pierre et Luc Dardenne, Peter Brook, Isabelle Pousseur, Benno Besson, Kore-Eda Hirokazu, Chantal Akerman, Adrian Brine pour n’en citer que quelques-unꞏeꞏs. Ce que le public ignorait, c’est qu’il avait également un talent de plumes, comme le révèle L’endroit défriché par le fou . Ce livre est l’évocation sensible de la vie du comédien, à peine déguisée, à travers des notes et des esquisses où il revisite notamment Liège et en particulier Sclessin. Comme l’auteur, son narrateur, Victor, est comédien et passe par les lieux qui l’ont formé. Mais il met surtout en scène une incroyable galerie de personnages dont on devine qu’ils ont dû être proches de Christian Crahay. On pense à l’oncle José, fossoyeur surnommé Tati Cimetière, qui s’est constitué une belle cave à vins dans les sépultures. Il y a aussi le père, Fernand, architecte, qui fut nommé citoyen courageux pour s’être jeté dans la Meuse depuis le Pont d’Ougrée afin de sauver un désespéré. Dans l’orbe familial, il y a aussi la grand-mère Fernande, une féministe avant l’heure, qui officia bénévolement comme écrivaine publique, donna des cours de français aux travailleurs étrangers, fonda le magazine L’action parallèle en 1936, imagina dans un manifeste la Journée internationale des devoirs des hommes, entendez à l’égard des femmes. Elle trouva notamment son inspiration auprès de Lucie Dejardin, hiercheuse de fond durant son enfance qui deviendra la première femme députée socialiste à la Chambre en 1929.À travers des évocations intimistes, écrites avec tendresse, c’est donc aussi un regard décalé sur la Belgique que proposent ces textes. C’est ainsi quel’auteur/narrateur se souvient qu’il a été comédien dans le film de Raoul Peck consacré à l’assassinat de Patrice Lumumba. Tout en citant le discours d’Indépendance prononcé le 30 juin 1960 par le tout jeune premier ministre qui mérite d’être lu et relu, Christian Crahay dénonce clairement le rôle joué par les autorités belges dans l’élimination de cet homme élu par la population congolaise.L’ensemble du livre est empreint d’émotions et de nostalgie, à travers des évocations de la cité ardente et notamment de sa gastronomie avec quelques recettes typiques reprises à la fin de l’ouvrage, sans oublier « les lacquemants, pas lacquements ni laquemants, mais lackmants, ou peut-être lakements, enfin comme vous voudrez . » Michel Torrekens Au commencement, il y a Sclessin, Scloeticinus, ou l’endroit défriché par le fou, comme l’appelaient les Romains. Et il y a le père, dont la prospérité et le déclin incarnent le sort de cette banlieue liégeoise, aujourd’hui sinistrée, au passé industriel prestigieux. Revenu sur le tard habiter le quartier de son enfance, Victor, le fils, comédien, remonte le temps, poussé par le besoin de comprendre un homme attachant…
Avec Lettres du Goulag , Jean-Louis Rouhart a fait paraître un ouvrage essentiel sur le monde du Goulag en Union soviétique. Il y a quelques années, ce germaniste professeur émérite à la Haute École de la Ville de Liège avait réalisé une étude consacrée à la correspondance clandestine – déjà – dans les camps nazis, essai qui avait reçu le Prix de la Fondations Auschwitz – Jacques Rozenberg en 2011. Il s’attaque maintenant à la même problématique dans le monde soviétique. Il s’agit d’un ouvrage scientifique, fort d’une rigueur absolue dans l’approche et le traitement systématique du sujet et pourvu d’un important appareil de notes et d’un grand nombre d’annexes (glossaires, schéma, dates-clés,…) de nature à introduire et à guider le lecteur dans la mécanique du complexe concentrationnaire soviétique vu sous l’angle révélateur de la correspondance entre les détenus et leurs familles. Ô combien révélateur en effet, puisque « Dix ans sans droit à la correspondance » était la dénomination officielle de la sentence telle qu’elle était transmise aux familles des déportés, alors qu’en réalité il s’agissait d’une condamnation à mort le plus souvent déjà exécutée au moment de la notification officielle. Il faudra attendre la Perestroïka et un arrêté du KGB, le 30 septembre 1989, pour que l’indication exacte des dates et des raisons de la mort soit officiellement reconnue. À ce seul instant, on réalisa enfin pourquoi aucun des condamnés à ‘Dix ans de camp de redressement par le travail avec privation du droit à la correspondance et aux colis’ n’avait jamais donné signe de vie Les lettres des détenus constituent donc le cœur de l’ouvrage mais l’accent est mis sur le contexte historique, sur les différentes catégories de détenus et de centre de rétention (camps, prisons, …). Cet ouvrage ne mise pas sur l’émotion, même si leur lecture et le décodage historique et contextuel qui en est donné sont poignants quant au sort des prisonniers et terrifiants quant au cynisme et à la cruauté du système concentrationnaire.Il ne manque pas d’exemples où la littérature de fiction fait entrer le lecteur dans une vérité historique. Il n’est que de lire, pour prendre un exemple récent, Mahmoud ou la montée des eaux , d’Antoine Wauters. Par contre, il est des contextes – politiques, généralement – qui exigent une recherche précise qui identifie les rouages d’une situation de manière à prouver la réalité de l’entreprise décrite. Ce contexte – de négationnisme, de reconstruction de l’histoire, de reformatage politique, nous y sommes. Dans son introduction, l’auteur déclare, à propos de son essai, que « le mérite revient à l’ONG russe de défense des droits de l’homme, la société du Mémorial de Moscou, d’avoir contacté les anciennes victimes du Goulag et leurs descendants afin qu’ils déposent aux archives de la société leurs témoignages oraux et écrits sur les internements et remettent la correspondance qui avait été échangée à ce moment entre les membres de la famille. » L’un des glossaires nous apprend que cette société du Mémorial a été fondée en 1988 par Andreï Sakharov à Moscou dans le but de rassembler les témoignages oraux et écrits des anciens prisonniers et dissidents. Mais depuis 2008, l’association est victime de persécutions policières – confiscation de l’ensemble des archives numériques sur le Goulag –, de procès politiques qui donnent lieu à d’importantes amendes, …La parution de cette étude à un moment où l’histoire soviétique est revisitée par le pouvoir russe [1] nous ramène à une époque où un roman comme Vie et Destin de Vassili Grossman, achevé en 1962 et aussitôt confisqué par le KGB, ne fut finalement édité qu’en 1980 par les éditions L’Âge d’Homme en Suisse. Il est urgent de s’informer et de connaître la vérité historique. Au livre, citoyen-ne !! Marguerite Roman [1] Voir notamment « En Russie, l’historien du goulag Iouri Dmitriev condamné à treize ans de camp à régime sévère » , Le monde , 30 septembre 2020 ; « En Russie, l’État s’octroie un monopole sur l’histoire » , La libre Belgique , 10 juin 2021 ; « La persécution de Iouri Dmitriev, ‘un symbole de la politique de l’État russe à l’encontre des historiens indépendants' »…