Un monde flamboyant de Siri Hustvedt se lit comme une succession de témoignages, d’extraits d’articles de presse et de reportages, mêlés aux carnets d'une artiste pas si imaginaire que ça...
Un monde flamboyant de Siri Hustvedt se lit comme une succession de témoignages, d’extraits d’articles de presse et de reportages, mêlés aux carnets d'une artiste pas si imaginaire que ça...
Moins de 3% des œuvres exposées au Metropolitain Museum of Art de New York sont produites par des femmes, bien que 83% des nus soient féminins. Les femmes doivent-elles être nues pour pouvoir entrer dans les musées américains ?1
Ces faits, posés par le collectif d’artistes féministes « Guerrilla…
Petite histoire des anthologies de littérature belge. Une histoire de choix
Anthologie… Sous ses dehors sérieux , le terme se rafraîchit dès que l’on repense à la traduction de son étymon grec: «Action de cueillir des fleurs». Du scolaire recueil d’extraits au gracieux florilège, il n’y a dès lors plus qu’un pas. Dans le domaine français, le terme est davantage associé à la poésie, avec les classiques que sont devenus les volumes d’André Gide dans la Bibliothèque de la Pléiade ou celui que l’on doit à l’éphémère président de la République Georges Pompidou. Mais la Belgique est-elle aussi terre de «morceaux choisis»? Assurément! * Il y a mille et une façon d’utiliser une anthologie: la lire de bout en bout comme un récit fragmenté et polyphonique, y puiser des informations purement documentaires pour la réalisation d’un travail, la parcourir aléatoirement dans l’espoir d’y faire quelques belles découvertes, en prendre connaissance pour se faire une idée d’un champ, d’un genre, d’un paysage littéraire… En revanche, il n’y a qu’une seule façon de composer une anthologie: il faut choisir. L’exhaustivité est antinomique à la démarche qui consiste à prélever des pages d’un ensemble d’œuvres – les meilleures, les plus représentatives ou emblématiques, les plus pertinentes ou les plus parlantes –, fussent-elles toutes signées du même auteur ou de la même autrice. Il faut choisir. Partant sacrifier. * À cet égard, la démarche de sélection anthologique s’avère plus complexe que celle de la censure. Car là où la seconde use des ciseaux pour amputer, effacer, caviarder, la première consiste à émonder autour d’un corpus touffu pour le mettre en valeur. Il faut fixer le moment où faire débuter l’extrait et où le suspendre. Certes, l’opération est simplifiée quand il s’agit de proposer une suite de textes intégraux (nouvelles, contes, voire romans complets), mais là encore, se pose la question de qui élire, surtout si l’opera omnia est de haute qualité. Que privilégier et que délaisser chez un Michaux, une Yourcenar, un Maeterlinck? À moins de relever du travail de commande, soumis à des critères prédéfinis et un canevas imposé, toute anthologie reflète la personnalité de qui l’élabore, avec ses goûts, ses orientations et ses prédilections. La subjectivité, qui rime si commodément avec liberté, a peu ou prou sa part d’importance dans ce qui préside au tri particulier, puis à l’agencement général. Elle peut même ne reposer que sur l’aveu de «coups de cœur», comme l’osèrent en poésie Colette Nys-Mazure et Christian Libens. Mais pour que l’ouvrage se tienne enfin, il faut ajouter à l’empirisme et à l’impressionnisme, un ordre et une méthode. Son articulation peut ainsi être diachronique et s’étendre sur le temps long ; synchronique, s’il s’agit de cerner un mouvement (par exemple le symbolisme) ; générationnelle, thématique, générique, etc. * La littérature belge peut rapidement apparaître comme un casse-tête à qui entreprend de la best-offiser. Quand commence-t-elle? À une période anténapoléonienne avec le Prince de Ligne? En 1830-1831, en opportun phasage avec la naissance de l’État belge? Avec l’écriture des élégies d’Octave Pirmez dans les années 1830, mais qui, sur la volonté de l’auteur, ne seront publiées qu’à titre posthume? Dans les Wallonnades de Grandgagnage en 1845, œuvre monumentale mais oubliée s’il en est? Ou plus simplement avec Charles de Coster? Et si oui, à la parution de sa Légende d’Ulenspiegel en 1867 ou à sa mort en 1879, quand s’ébauche le processus de sa reconnaissance comme premier écrivain belge digne de cette appellation? Ou encore au banquet offert en 1883 à Camille Lemonnier qui le sacre « Maréchal des Lettres »? Puis, où commence-t-elle, cette littérature? En Flandre, avec De Leeuw van Vlaenderen (1838) de notre Walter Scott, Henri Conscience? Dans quelque localité wallonne, sous la plume d’un conteur ardennais ou d’un chansonnier du Caveau liégeois? Au cœur de la capitale, quand une équipe de jeunes échevelés lance La Jeune Belgique, revue et mouvement? Et pourquoi pas du côté de Guernesey, quand Victor Hugo scelle le contrat qui le lie à l’éditeur Albert Lacroix pour les Misérables? * Enfin, quel est son nom? Faut-il proposer une anthologie de… littérature belge, littérature française de Belgique, littérature belge d’expression francophone, pourquoi pas littérature Wallonie-Bruxelles? De là, ne réunirait-elle que des écrivains reconnus – par Paris, par leurs pairs? Les grandes plumes nationales autant que les talents régionaux? Exclusivement les morts? Ou rien que les vivants, au risque d’en voir passer certains avant même la publication? On le voit, le vertige saisira quiconque prétend compiler nos Lettres. * Mais à trop penser, on n’entreprend rien. En 1874, Amélie Struman-Picard et le célèbre historien Godefroid Kurth (qui n’était autre que son beau-frère) ne s’encombrent pas d’autant de scrupules pour publier, entre Bruxelles et Paris et «sous le patronage du Roi», leur Anthologie belge. Autant le dire d’emblée, dans cet élégant volume à la reliure verte finement ouvragée, financé par une impressionnante liste de souscripteurs de tout le pays, il ne se rencontre pas plus de trois noms que connaissent encore vaguement aujourd’hui une poignée de mordus de littérature belge. Trois sur cinquante-deux. Heureusement, l’objectif premier de l’entreprise n’était pas de faire passer à la postérité tou.te.s les élu.e.s, mais bien de «composer un bouquet poétique digne d’être offert à nos compatriotes». L’intérêt de l’ouvrage réside davantage dans la lumineuse présentation liminaire. Les auteurs y déplorent l’apathie qui règne dans le pays quand il s’agit d’accueillir une publication poétique, tant de la part de la presse que du public. Ils revendiquent l’existence d’une littérature belge dont ils font coïncider l’acte de naissance avec l’indépendance du pays, et posent la question: «Aurons-nous, oui ou non, une littérature nationale, expression de notre pensée nationale? Ou bien le peuple belge traversera-t-il l’histoire sans que nul monument littéraire apprenne à la postérité que lui aussi a vécu, souffert, pensé et levé les yeux plus haut que la terre et que les soucis de la vie positive?» Brandissant leur demi-centaine d’aèdes, Amélie et Godefroid prennent le pari de poser la première pierre d’un vaste projet qui verra le jour six années plus tard, avec l’arrivée d’une nouvelle génération. * En littérature comme en tout, «on n’est jamais mieux servi que par soi-même». En 1888, quatre écrivains belges reconnus – Camille Lemonnier, Edmond Picard, Georges Rodenbach et Émile Verhaeren –, illustrent l’adage avec leur Anthologie des prosateurs belges, publiée non plus avec l’appui du Palais, mais «du Gouvernement». Les membres du quarteron placent comme terminus a quo de leur sélection le plus européen des hommes de lettres né à Bruxelles, le Prince de Ligne. C’est en effet grâce aux créations des écrivains artistes qui l’ont suivi que les destins des littératures française et flamande se sont dissociés. La littérature belge, étrange Janus, est née, avec ses particularités et ses propriétés, ce qui l’éloigne du soupçon de l’imitation française. Dès lors, le travail des quatre anthologistes «n’est plus uniquement un triage de morceaux de style plus ou moins parfaits et rentrant dans le cadre des paradigmes scolaires ; c’est le cycle même des efforts réalisés par plusieurs générations d’écrivains et comme une suite d’irrécusables documents attestant l’évidence d’un immense travail intellectuel qui toujours un peu plus nous rapprocha de la pleine possession de nous-mêmes». Leur profession de foi résonne comme l’accomplissement du «Soyons nous!» lancé par la Jeune Belgique moins d’une décennie…
Dans nos archives : journalisme et littérature
Depuis 2013, l’ONU a institué le 2 novembre comme la journée mondiale pour la protection des journalistes. À cette occasion, nous republions…
Naviguer dans les textes et relier les indices. Entretien avec Marion Sage
NDD: Peux-tu me parler des recherches que tu as menées en t’appuyant sur des archives? Marion Sage : La première archive avec laquelle j’ai été en contact était une danse d’Harald Kreutzberg, danseur d’expression d’Allemagne. Il dansait dans le film Paracelsus XX , où il jouait le rôle d’un saltimbanque qui divertit la population victime de la peste. Kreutzberg danse dans une taverne les yeux révulsés, il est meneur de transe. Cette danse m’a donné envie de faire un mémoire de master XX pour mieux connaître la danse d’expression allemande. C’est en étudiant cette esthétique que j’ai rencontré la dimension politique de la danse. Le film a été tourné en pleine guerre, moment où Kreutzberg, lié au régime nazi, en devient un ambassadeur XX . Après mes recherches pour le master, j’étais écœurée par l’implication d’un artiste dans des pouvoirs meurtriers et j’ai voulu faire une thèse XX sur les chorégraphes qui avaient fait le choix de quitter l’Allemagne nazie. Il s’agissait d’artistes avec des engagements politiques, pour la plu part communistes, mais aussi féministes, etc. Après des enquêtes, j’ai restreint l’étude aux parcours et esthétiques de Jean Weidt et de Julia Marcus. L’obtention d’un contrat doctoral à l’Université de Lille m’a permis d’enseigner et partager ces archives avec les étudiants et les étudiantes. La plupart étaient des archives non officielles. Par exemple, la voisine de Julia Marcus en banlieue parisienne, où elle avait habité les dernières années de sa vie, m’a donné accès à des albums et écrits de Julia Marcus. Comment la recherche académique et la recherche artistique s’articulent-elles dans ton travail? MS: Les archives que j’ai trouvées ne montraient pas le geste: des photographies, des textes, des articles de presse, des dessins, des sculptures, où tout était, a priori, immobile. Je n’avais pas la nostalgie de quelque chose qui n’était plus visible, ce qui m’intéressait c’était d’observer le potentiel de mouvement qui se dégageait de ces indices. Les trous dans ces histoires me poussaient à l’enquête. Grâce à ces «archives pauvres», car très abimées XX , je devais créer les liens, trouver des passages. Il n’y a rien de fascinant dans ces archives à première vue, il faut passer du temps à les observer pour que les choses émergent. Ces indices me permettaient de me mettre en mouvement. Quel chemin allais-je trouver pour réussir à faire bouger ces postures, ces gestes arrêtés dans les photographies? Il fallait que je trouve mes propres méthodes pour réussir à m’approcher du corps de Jean Weidt. Je devais naviguer dans les textes et relier les indices. J’ai vraiment été émue, mue par des textes, paroles qui ensemble faisaient bou ger les images. Les choses ne sont pas séparées, les témoignages d’époque n’ont pas été froids pour moi, je n’avais pas plus de fascination pour les images que pour les textes. Par exemple, le solo de Jean Weidt Une femme, qu’il danse dès 1925, est construit à partir de son observation dans la rue d’une vieille mendiante qui danse au son d’un tournedisque. Selon le témoignage : «C’était bouleversant, la manière dont elle dansait, le regard bas, avec peu de mouvements de bras, elle tournait en cercle sur elle-même. Et à la fin, la femme s’assit de nouveau sur le banc, prit sa gamelle et attendit ; elle attendait quoi?» XX . Cet extrait d’une citation de Weidt vient donner une tonalité à la photographie que j’ai de ce solo où il porte un masque. Sa posture est en fait un mouvement, il fait un tour sur lui-même. Cette interprétation devient possible grâce aux textes, aux témoignages. Les critiques négatives et péjoratives de l’époque m’ont aussi beaucoup aidée. En rejetant les danses, les critiques créent plein d’images: ils décrivent leurs sensations, ils font des comparaisons avec d’autres arts de l’époque, ce qui fait émerger tout un fond imaginaire. Sur quels autres outils t’es-tu appuyée pour passer des archives à la scène? MS: La méthode Feldenkrais m’a aidée à sentir les torsions propres à la danse de Jean Weidt ; par ces torsions j’avais le chemin et la précision pour aller dans les postures que je voyais sur les photographies. Ensuite, le Body-Mind Centering XX , en m’aidant à faire bouger les fluides internes, m’a permis de trouver l’élan de l’intérieur, de spatialiser le geste et d’éviter le danger de rester dans une représentation formelle. © Marion Sage, Marian del Valle, revue Nouvelles de Danse n°77, 1er trim 2020 Marion Sage est docteure en danse et chorégraphe. Elle s’intéresse à l’articulation entre des documents historiques, des témoignages oraux sur des problématiques politiques et contemporaines et leurs activations performatives. Elle enseigne à l’Université de Lille. Réalisé par Georg Wilhelm Pabst, sorti en Allemagne en 1943. Harald Kreutzberg joue le rôle de Patte de mouche. «L’art expressif d’Harald Kreutzberg. Étude d’un soliste allemand dans le contexte culturel et politique de l’Allemagne des années 1930-40». Voir www.danse.univparis8.fr Le 4 septembre 1937 il incarne la danse moderne allemande en représentant plusieurs solos au Théâtre des Champs-Élysées lors de la semaine allemande de l’Exposition internationale de Paris; dans les années 1940, il va danser pour remonter le « moral des troupes » allemandes. «Danses modernes de l’Allemagne à Paris: critiques de danses et danses critiques dans la France des années 30». Ce sont souvent des reproductions, des copies de photocopies; la perte de qualité entraîne parfois la disparition de certaines parties du corps. Jean Weidt, Auf der grossen Strassen, Jean Weidts Erinner ungen, d’après le script de la bande sonore réalisée par Marion Reinisch, Henschelverlag, Berlin, 1984, p. 1415. La praticienne de Feldenkrais Christine Gabard et la praticienne de Body-Mind Centering Louise Chardon ont accompagné le travail en transmettant leurs outils. Le spectacle Grand-Tétras créé à partir des archives de Jean Weidt sera présenté le 2 avril 2020 à la Raffinerie, à Bruxelles, dans le cadre…