Tim Robinson et le bord des falaises

Ceci est tout à fait clair : l’endroit recommandé pour
cultiver la rose des vents est le bord même de la falaise
                                                                  Tim Robinson Précarité Dans The Extreme Edge, Tim Robinson imagine un homme marchant les yeux bandés sur un plateau nu bordé de falaises. Chaque pas affermit sa confiance dans le sol qui le porte, jusqu’au pas fatal qui ne trouve plus d’appui : « Si un pas est un contrat avec la terre, celui-là est le pas que la terre a manqué d’honorer ».
Comme son concitoyen David Hume avant lui, Tim Robinson sait que la confiance au monde est toujours un pari et qu’ « il n’est pas sûr que le soleil se lèvera demain ». Peut-être est-ce cette sourde inquiétude qui le poussa à étudier d’abord les mathématiques à Cambridge. Les mathématiques,…

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[Traduit du néerlandais par Jean-Marie Jacquet.] Une sensation de vide et de tragique. Dès avant…

Sciences et littérature: de la confrontation au rapprochement – et inversement

Il y a la littérature et il y a les sciences : voilà bien ce que, dès avant l’université, l’enseignement consacre. Entre ces deux options, il faut choisir. Tel élève est réputé doué pour les études littéraires, et tel autre pour les études scientifiques, et l’on célèbre celui ou celle qui excelle tout à la fois dans les unes et dans les autres. Ces deux domaines bien différenciés du savoir ne l’ont pourtant pas toujours été. Il fut un temps où les connaissances humaines étaient beaucoup plus homogènes, nettement moins fragmentées. Ainsi Aristote, savant philosophe à l’esprit encyclopédique qu’aucun domaine de la connaissance humaine ne laissait indifférent, a-t-il creusé bien des questions dans de multiples domaines – phénomènes naturels, éthique, métaphysique, politique. Plus près de nous, il y a cinq siècles, la Renaissance, qui a pourtant vu les connaissances commencer à se spécialiser, en offre encore quelques beaux exemples comme Léonard de Vinci. À ces époques, il aurait été absurde de tenter une confrontation entre disciplines, tout simplement parce que ces disciplines n’existaient pas : la constitution des champs disciplinaires auxquels nos préjugés attribuent parfois un parfum d’éternité, cette constitution date pour l’essentiel du XIXe siècle comme Bourdieu l’a bien montré, et elle va de pair avec l’approfondissement de la division du travail, même si elle a été amorcée plus tôt. On dit souvent – à juste titre, à nos yeux – que Galilée a fondé la physique. Non pas que personne avant lui ne se serait intéressé à la nature et n’aurait tiré de conclusions plus ou moins globalisantes des observations effectuées, mais bien au sens où il invente la pratique de l’expérimentation (pas seulement l’observation), et où il fait appel aux mathématiques pour traiter et interpréter ses résultats : un couplage dont l’épistémologie moderne a fait la pierre de touche d’une discipline nouvelle, la physique. Il est hautement significatif que son œuvre majeure, le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, publié en 1632, soit une œuvre qu’on qualifierait aujourd’hui de littéraire, puisqu’elle se présente sous la forme d’une fiction qui met en scène trois personnages imaginaires débattant avec acharnement. Quelques décennies plus tard, la forme des Principia de Newton (plus précisément, Philosophiæ naturalis principia mathematica) n’a plus rien à voir avec la légèreté et la vivacité du Dialogue galiléen : la discipline est constituée, son exposition codifiée, et les règles de fonctionnement de l’institution scientifique s’imposent à ceux qui entendent en faire partie. Ce découpage en catégories, qui n’a fait que se renforcer depuis lors, n’interdit cependant pas que des créateurs entreprenants placent un pied de chaque côté de la frontière – montrant ainsi que se consacrer à la recherche scientifique n’est pas renoncer à la littérature ou, si l’on préfère le prendre par l’autre bout, que se consacrer à l’œuvre littéraire n’exclut pas de chercher à comprendre rationnellement les mécanismes qui régissent notre univers : grand écart encore relativement fréquent au siècle des Lumières – que l’on pense notamment à Voltaire et à Diderot –, mais beaucoup moins pratiqué par la suite. Et pourtant, ces différents champs de l’activité créatrice s’interpénètrent, se nourrissant l’un l’autre, l’un de l’autre, et l’un par l’autre. Ces domaines du savoir et de la pensée humaines paraissent donc aujourd’hui bien éclatés, et la philosophie qui y jouait le rôle de ciment en interrogeant le monde et la vie semble bien s’être autonomisée et s’être distinguée elle-même en différentes branches qui en reflètent le clivage, philosophie des sciences, philosophie morale, logique, esthétique, etc. La complexification des savoirs scientifiques et des techniques artistiques va de pair avec leur spécialisation, séparant entre autres ce qui est du domaine de la rationalité de ce qui relève de celui de la créativité. Des intersections subsistent pourtant, dont celle de l’intuition, qui n’est pas la moindre. Essentielle dans la littérature, elle contribue à sa manière, de loin en loin, conjoncturellement, à débloquer bien des impasses dans lesquelles la rationalité, creusant sans cesse, pouvait se retrouver embourbée ou bloquée : quelle extraordinaire audace intuitive ne fallut-il pas aux explorateurs de la relativité et aux laboureurs des champs quantiques pour s’extraire des impasses où le classicisme newtonien, poussé dans ses derniers retranchements, avait confiné la physique de la fin du XIXe siècle ! Des points de rencontre subsistent donc toujours qui, à défaut d’être obligés, permettent à la littérature et à la science de se retrouver, voire, à défaut de mélanger les genres, ce dont il ne peut être question (cela ferait pour le moins… mauvais genre !), de se comparer, de se jauger, et, pourquoi pas, de s’acoquiner. Cette confrontation des sciences et de la littérature, de la littérature et des sciences, est bien dans l’esprit de l’interdisciplinarité perdue au milieu du sigle de l’association qui édite notre revue ! Elle est aussi une manière de rappeler que le neuf peut surgir d’alliages imprévus avec ces mots cernant des concepts, avec ces images enchantant notre langage – à moins que les mots soient ceux qui tissent les fictions, et les images celles qui sous-tendent les modèles scientifiques : les interactions ne sont décidément pas à sens unique. Encore nous fallait-il, dans cette perspective, éviter un écueil, celui sur lequel bute une certaine littérature qui se contente de cultiver paradoxes et énoncés déconcertants, sans arriver à s’emparer de la substance des idées réellement nouvelles que les sciences contemporaines ont engendrées, de sorte que le croisement est raté. La mécanique quantique fait l’objet d’une exploitation privilégiée dans cette veine spécieuse, sur base d’un sophisme qu’un logicien plus que débutant déconstruirait sans aucune difficulté : « les physiciens nous disent que la mécanique quantique est incapable de nous apprendre quoi que ce soit sur la réalité du monde (notamment parce qu’elle ne nous permet même pas de dire où se trouve une particule à un instant donné) ; or, je suis tout autant incapable d’expliquer tel phénomène difficile à comprendre (au choix, le désir sexuel, la liberté de conscience, la capacité de résister à la maladie, l’efficacité de telle thérapie…, biffez la mention inutile) ; c’est donc que le phénomène en question est quantique » – emballez, c’est pesé ! Cet enchaînement vertigineux n’a même pas besoin d’exporter là où ils n’ont pas cours, à l’échelle macroscopique, celle du monde sensible, les paradoxes dont la physique quantique est incontestablement riche au niveau subatomique : le monde est appréhendé à travers une vision (est-ce celle d’un certain post-modernisme ?) dont la seule cohérence repose sur l’affirmation de l’incapacité à le comprendre – tout est ou peut être son contraire, tout ce qui est matériel peut être ou devenir immatériel, et inversement. Il n’en reste pas moins, ce piège évité, que certains artistes sont fascinés par l’avancée des sciences, qui inspire leur démarche. Parfois très consciemment, lorsque ces avancées accompagnent le processus de création, en amont de l’accouchement, allant même jusqu’à le motiver. D’autres fois ces rapprochements sont le fait d’analystes, qui les découvrent a posteriori, en aval, en repérant des parallèles entre une œuvre et les idées scientifiques qui baignent son époque. La fascination qu’exerce la science sur les artistes s’exprime elle-même de façon polymorphe : elle nourrit les ouvrages de science-fiction, par définition et donc sans surprise, mais aussi l’exploration épistémologique des…

Daniel Fano : chroniqueur de réel / poète exponentiel (in Varia)

Daniel Fano est un poète – « chroniqueur » , dit-il – belge et inclassable. Né en 1947, longtemps journaliste (de 1971 à 2007), il a été découvert par Marc Dachy, adoubé par Henri Michaux et Dominique de Roux. Fano désamorce nos idéologies, nos mythes, décape nos idoles à l'humour noir. Fulgurants à l'origine, ses poèmes aux accents yéyé (dans Souvenirs of you, édité au Daily-Bul en 1981, Gainsbourg résonne aux oreilles du personnage de Typhus) s'amplifient avec le temps, deviennent de longues proses, où Fano se fait chroniqueur du cauchemar de l'Histoire, désorchestre la censure manichéiste du moment. Rencontre avec un auteur culte en équilibre instable, pour la plus grande joie des quêteurs de lucidité. - À la lecture de vos poèmes courts, de vos longues proses, il semble que vous décloisonniez les genres, leur hiérarchie. Ce qui n'est pas une démarche volontaire. Ça m'est naturel. Tout ça s'est accumulé au fil du temps. Comme tout le monde, j'ai eu ma phase d'imitation, dans l'adolescence. La plus profonde a été celle des surréalistes. Curieusement, pas des surréalistes belges que je ne connaissais pas. Je vivais en province, et j'étais plutôt tourné vers Paris. Mon poète préféré, c'était Benjamin Péret, par exemple, qui était plus proche du nonsense, que j'avais déjà un peu intégré, accidentellement. Et j'ai écrit dans un esprit qui a fait dire à certains que j'étais proche des frères Piqueray, poètes que j'ai connus par après. Mais ils ne m'ont pas du tout influencé. Donc, c'est par des chemins détournés... en allant vers le nonsense anglais, et en le retrouvant chez certains surréalistes français, chez Péret, ou Desnos (à cause de La Complainte de Fantômas, Les quatre sans cou), dont les poèmes allaient vers le populaire, faisaient référence aux paralittératures, qui m'intéressaient déjà, et m'intéresseraient de plus en plus, sans parler de Soupault... Ces gens n'étaient jamais fixés dans une formule définitive. Ensuite j'étais en France, en 1966. J'étais garçon de course à Paris, pour une maison d'édition. J'ai eu accès à des tas de choses. On parle des années 60, d'années assez extraordinaires. J'ai découvert des auteurs américains comme Burroughs, évidemment, mais aussi Claude Pélieu, Dylan Thomas. Trois découvertes par jour. C'était un bombardement permanent. Et là, déjà, il y a eu les objectivistes américains, que très peu de gens connaissaient à l'époque – pour le moment, on publie des choses sur eux. Les objectivistes m'ont tout de suite paru intéressants. Car ce qui ne m'intéressait pas, c'était l'emphase, le lyrisme. Chez les objectivistes, je trouvais la distance qu'il fallait. Puis il y a eu des coïncidences assez étonnantes. En 66/67, à la même période, Serge Gainsbourg sort un album de chansons où l'on trouve notamment le titre Torrey Canyon, qui évoque l'un des tout premiers pétroliers qui se sont fracassés en déclenchant des marées noires. Il n'y a pas un gramme de sentiment, on ne sait pas ce qu'il pense, lui. Il raconte. C'est l'histoire du bâtiment : qui l'a construit, sous quel pavillon il naviguait, et ainsi de suite. En même temps, sur le même album, il y a Comic Strip, avec les onomatopées. Et tout cela est dans l'air du temps. J'aimais bien les Kinks, aussi, qui décrivaient la vie sociale en Angleterre. Au lieu de raconter des histoires de stars, ils racontaient l'histoire de filles qui sortent de l'usine. Donc, tout ça s'est mêlé, avec d'autres curiosités que j'avais à l'époque, notamment la bande dessinée, qui était en train de se légitimer. Tout ce qui passait, les magazines, tout ça m'a influencé, l'époque, l'air du temps. Le problème est que l'air du temps vieillit très vite. Il ne fallait pas suivre toutes les modes. Avoir une distance ironique, éventuellement. C'est une différence qui fait que je ne peux pas être un véritable objectiviste. Je mets de l'humour et de l'ironie dans ce que je fais. C'est mon apport personnel – question de tempérament. Mais aussi le mélange de toutes ces influences, qui fait que, si l'on me met une étiquette, elle ne colle pas . En partie peut-être, mais je serai toujours ailleurs. Je serai toujours en mouvement. - Est-ce que vous considérez qu'il y a eu différents Daniel Fano, différentes périodes que vous pourriez délimiter, a posteriori ? Des périodes à la Picasso ? [rires]. C'est un peu difficile. Je crois qu'on se rendrait compte, si l'on voulait faire le travail sérieusement, que ce serait toujours lié à des rencontres. C'est clair qu'il y a la période Marc Dachy XX , qui va de 1971 à 1978, au moment où il part pour Paris. C'est la création de Transédition, sa passion pour Dada. Je suis relativement peu publié dans la revue Luna-Park, mais en réalité j'écris beaucoup. Ce qui est important, sans doute, pour cette première période, c'est l'entrée dans le journalisme, ce qui n'était pas du tout prévu à l'origine. Mais c'est encore une question de rencontre, puisque Marc Dachy me faisait rencontrer des gens que je n'aurais peut-être pas rencontrés, dont Françoise Collin XX , qui a créé par la suite les Cahiers du Grif. Elle s'occupait de pages culturelles dans un hebdomadaire et m'a invité à collaborer. Au début, c'était très pointu, sur des avant-gardes américaines. Puis après, ça a été tout ce qui m'intéressait en paralittérature. Cela m'a donc permis d'approfondir des curiosités. Mais l'évolution des techniques a aussi son importance. Évidemment, au départ, c'est la machine à écrire mécanique. Écrire, ça fait mal. Et donc, il y a surtout des textes courts qu'on retrouve dans des anthologies de l'époque. De plus en plus, on voit revenir des personnages récurrents, comme Monsieur Typhus. Je crée toute une série de personnages, parce que ça permet de les confronter aux éléments du réel que je capte. Notamment dans toute la série qui est parue aux Carnets du Dessert de Lune. Là, c'est vraiment le cauchemar de l'Histoire. Et donc, il y a des tas de crapuleries qui sont reprises dans tous les camps. Il n'y a pas de manichéisme. Et ces personnages, Monsieur Typhus, Rita Remington, Patricia Bartok, Jimmy Ravel, Rosetta Stone... ce sont des personnages qu'on pourrait dénommer « marionnettes plates », des personnages qui pourraient rentrer dans tous les rôles possibles. Il y a une référence au dessin animé, puisqu'ils meurent, mais trois lignes après, ils sont de nouveau tout à fait intacts, ils repartent. C'est le principe du personnage qui tombe d'une falaise, et qui remonte. Ou sa tête explose, et il réapparaît. Assez curieusement, alors que j'essaye parfois de leur faire des choses assez abominables, ils ne parviennent jamais à rivaliser avec les atrocités du monde. À la limite, la fiction galope derrière le réel, et ne parvient jamais à le rattraper. - Mais cette tétralogie que vous évoquez, parue aux Carnets du Dessert de Lune, prend une forme un peu différente du reste... Oui, il est clair que les longues proses, qui sont une accumulation de choses, comme du bruit, une espèce de cataracte, sont facilitées par l'ordinateur, qui permet de travailler sur la longueur. Si l'on ne voyait que deux grandes époques dans mon parcours, ce serait certainement celles-là. Je crois que je n'aurais pas pu faire, avec la machine à écrire mécanique, des choses comme Sur les ruines de l'Europe ou Le privilège du fou. - À propos de votre rapport à l'Histoire, quel sens politique se cache derrière cette poésie qui s'affranchit, se libère des hiérarchies? Il est clair que les situationnistes m'ont marqué. C'est indéniable. Et, aussi, ce qu'il y avait autour. Les livres de Baudrillard, La Société de consommation, ou de Vance Packard, La Persuasion clandestine... Des livres sur la société. Je n'ai pas été quelqu'un de politique, même dans ces années-là. Mais j'ai observé, j'ai absorbé comme une éponge. J'ai toujours été un voyeur, un écouteur. Et en critiquant, justement, comme je le disais tout à l'heure, le…