Ouvrage inclassable, mêlant souvenirs, analyse littéraire, approche sociale, philosophique des mythes et des contes, Petites filles d’autrefois ouvre la boîte noire de l’éducation des filles en Europe de 1750 à 1940.
L’autrice inscrit son portrait de l’enfance des filles sous un attendu liminal : quel que soit son milieu social, « la petite fille est toujours marquée du signe du sacrifice ».
Produisant une généalogie des femmes actuelles en Occident, elle se penche sur la longue chaîne fibrée de femmes dont elles descendent. Elle démonte, dans une langue souveraine qui allie l’aiguisé du concept et la rêverie poétique, les mécanismes de dressage, de gouvernance des filles, soulignant l’éducation sévère, les conditionnements sociaux, l’absence de liberté, la programmation au mariage ou au convent dont elles sont victimes dans les sociétés européennes du milieu du siècle des Lumières à la deuxième guerre mondiale.
Peu à peu, les femmes sont montées sur la scène de l’Histoire, sortant de leur relégation dans l’économie domestique pour devenir actrices de l’espace public. Comment l’ordre patriarcal s’est-il maintenu, consolidé, transmis au fil des siècles ? Comment les contes, les mythes, la littérature ont-ils concouru à forger l’imaginaire collectif, à cantonner les héros et les héroïnes à des rôles, des actions dictés par leur genre ?
Telles sont les questions, étonnamment modernes, que pose ce remarquable
essai dont la première édition a paru il y aura bientôt quarante
ans.
Auteur de Petites filles d’autrefois 1750-1940
L’Académie royale de langue et de littérature françaises poursuit son travail de (ré)édition d’œuvres du patrimoine littéraire belge. Après L’herbe qui tremble de Paul Willems et le Théâtre de Jacques De Decker, l’institution pose un choix plus singulier en republiant Petites filles d’autrefois 1750-1940 de Sophie Deroisin. Ce nom ne dira sans doute rien à la majorité. Sophie Deroisin, nom de plume de Marie de Romrée de Vichenet (1909-1994), est pourtant l’autrice d’une dizaine de livres. Des romans et des essais principalement, mais aussi le recueil de nouvelles Les dames qui lui a valu le prix Rossel en 1975. Petites filles d’autrefois est son dernier ouvrage, paru en 1984.L’autrice…
La parole comme voie spirituelle : Dialogue avec l’Inde
Sandrine WILLEMS , La parole comme voie spirituelle. Dialogue avec l’Inde , Seuil, 2023, 200 p., 19,50 € / ePub : 13,99 € , ISBN : 9782021493276Dans son dernier essai, l’écrivaine, philosophe, psychanalyste et réalisatrice Sandrine Willems nous invite à un décentrement, nous propose un voyage mental, esthétique et conceptuel loin de l’anthropocentrisme qui a façonné l’Occident. S’ils se voient remis en question de nos jours, de l’intérieur de nos sociétés, l’anthropocentrisme de l’Occident et son primat de l’humain ont eu une incidence sur notre perception de la parole réduite à la sphère humaine, confisquée par cette dernière. L’ouverture de l’esprit aux dimensions qui échappent à la raison se fait sœur d’une expérience de la spiritualité qui, afin de ne rester murée dans l’indicible, doit se mettre en quête d’un langage, plus exactement d’une parole qui puisse en rendre compte. Éblouissant essai sur les diverses visions de la parole, sur sa nature, son origine, son statut, ses effets, réflexions sur les puissances, les ressources, les mystères qu’elle détient, La parole comme voie spirituelle. Dialogue avec l’Inde nous convie à une rencontre avec l’Inde ancienne. Sandrine Willems porte à la lumière la manière dont la spiritualité indienne envisage la parole comme une énergie qui transit toutes les formes de l’être et de la vie, de l’animal au végétal ou au minéral, du divin à l’humain. L’affirmation d’une continuité entre humains et non-humains se traduit dans une pensée qui, loin des dualismes de l’Occident et de leurs conséquences, envisage les échos, les correspondances entre les entités et le Tout, entre les existants et le cosmos.S’appuyant sur les textes fondateurs de l’hindouisme et les différents courants de pensée indienne, des Védas aux Tantras, de la Bhagavad-Gita aux Upanishads , de l’épopée sanskrite Mahabharata au recueil Yoga Sutras , Sandrine Willems propose la conjugaison d’une voie esthétique et d’un chemin spirituel. À partir de la pratique du yoga qu’évoque l’autrice, de la découverte de la musique indienne, des mantras qui pulsent le chant, l’essai explore les enseignements de l’hindouisme et du bouddhisme, leurs puissances thérapeutiques, la gémellité entre exploration intérieure et expression esthétique, l’ouverture à une écoute qui libère la parole, la vie des critères de l’utilité et du savoir. Au cœur du texte, une mort, celle de la mère, une crise sanitaire, une pandémie, symptôme d’une crise du système. Se tenant dans une région qui abolit et transcende la division entre théorie et pratique, la pensée indienne s’offre comme une alternative à l’effondrement d’un système capitaliste mondialisé lié à une vision du monde. Non pas une panacée mais une autre voie. Affin au continuum entre affect et concept, entre pensé et vie qui sous-tend la pensée indienne comme il vertèbre les philosophies de l’immanence de Spinoza à Deleuze ou certains corpus des mystiques, le corps du texte est transi par une parole qui le dépasse, qui l’excède, qui, faisant l’épreuve de noces entre non-maîtrise et laisser-être, transforment autant la scriptrice, l’autrice que les lectrices et lecteurs. Lorsque la poésie fait résonner l’homme et le non-humain, elle rejoint la résonance que visait la musique, le dhvani (…) L’affect cette fois n’est plus causé par le monde, mais par quelque chose qui le dépasse. Les cheminements dans les textes, les œuvres de Plotin, de mystiques, de Maître Eckhard, de Lacan, de Heidegger, de John Cage, la subtilité des rapprochements, des frottements idéels entre Rabindranah Tagore, Bataille, Foucault, Deleuze s’emportent dans les mouvements d’un texte derviche tourneur qui épouse une parole perçue comme une énergie, un souffle, une expérience inscrite dans un rapport au sacré. Point d’ombilic du sacré, la parole, son nouage entre sens et sons, son espace où respire le silence, produisent des effets thérapeutiques, sont dotés d’effets performatifs : la conception de l’Inde rejoint celle de la psychanalyse fondée sur les vertus de la cure par la parole. Les passerelles entre la parole védique et l’idéalisme allemand, entre des textes mystiques et philosophiques occidentaux et la pensée indienne, l’analyse de la conception heideggérienne du Quadriparti, de la poésie conçue comme reliance entre la terre et le ciel, les humains et les dieux, comme l’expression d’une quasi-identité entre le Denken, le penser et le Danken , le remerciement forment autant de scansions d’une réélaboration spirituelle de la vie. Laquelle passe par la vivification de la parole. Véronique Bergen Plus d’information Loin de l’anthropocentrisme qui depuis quelques siècles règne en Occident, dans l’Inde ancienne la parole est tenue pour une force qui irrigue toutes les strates de l’être, de l’élémentaire au divin en passant par le végétal et l’animal. Au lieu de nous séparer du non-humain, elle devient alors ce qui nous y relie – tout en se reliant elle-même aux bruissements du monde non moins qu’à la musique. Dans cette perspective, le chanteur s’accorde aux oiseaux, le poète révèle les correspondances qui unissent l’infime au large, et le cœur de l’homme coïncide avec celui de l’univers. L’Inde vient par là nous rappeler qu’un cheminement spirituel peut prendre la forme d’une quête esthétique. Le dépassement de l’égocentrisme n’y passe plus par l’impératif de se rendre utile, mais par une joie devant la beauté qui, comme la vie, se donne pour rien. Nourrie par la pratique du yoga, du chant classique de l’Inde et des mantras, cette interrogation revient aux textes fondateurs de différents courants de pensée indiens, des Védas aux Tantras. Et elle les met en résonance avec certains mystiques et philosophes occidentaux, comme avec des thérapeutes de l’âme qui en appellent aussi à la puissance de la parole.…
Camp Est : journal d’une ethnologue dans une prison de Kanaky-Nouvelle-Calédonie
Ethnologue, écrivaine, autrice de La maison de l’âme (Editions Maelström, 2010), Chantal Deltenre livre dans Camp Est un journal de terrain qui évoque la mission d’observation ethnograhique en milieu carcéral dont elle a été chargée. Étrangère à la culture kanak, au monde calédonien et extérieure à l’institution pénitentiaire, elle côtoie durant un mois le « Camp Est » situé sur l’île de Nou, une prison de Nouméa dont elle décrit et analyse le fonctionnement, les cercles de violence physique, structurelle, sociale, symbolique, mais aussi les enjeux et l’impensé. Le récit est avant tout celui d’un dépaysement, d’un saut dans un monde doublement inconnu (culture kanak, monde mélanésien et espace carcéral), d’une attention à la dimension coloniale de l’institution pénitentiaire. Toujours placée sous la souveraineté de la République française, la Nouvelle-Calédonie a très tôt été conçue par la France coloniale comme une terre de bagnes sur laquelle expédier les détenus de droit commun ou politiques (quatre mille Communards, dont Louise Michel, furent transférés dans des pénitenciers calédoniens). Ce qui frappe Chantal Deltenre, ce sont les suicides des jeunes détenus, la composition de la population, à majorité kanak (90% de détenus kanak, presque toujours issus de quartiers défavorisés, de squats), la minorité de prisonniers caldoches, d’origine européenne, la crise identitaire, psychique que l’enfermement induit. L’ethnologue recueille les témoignages des différents acteurs, interroge l’écartèlement de ces jeunes entre une culture tribale dont ils sont coupés et un monde post-colonial dont les effets racialistes, la ségrégation identitaire, les ravages sociétaux sont prégnants. Prisme, miroir grossissant permettant de radiographier l’état de la société calédonienne actuelle, le Camp Est « placé sous la tutelle de l’État français » sert aussi de révélateur mettant en lumière les dysfonctionements, les conditions inhumaines de survie dans les prisons françaises (surpopulation, traitements humiliants et dégradants, absence d’une politique suffisante de prévention et de réinsertion sociale, logique sécuritaire et répressive créant des citoyens de seconde zone, stigmatisés…).Comme l’écrit Marie Salün dans sa postface : « Sentiment de vertige face au gouffre qui s’ouvre sous nos pieds, à l’heure de la construction programmée, d’ici 2027, de 15 000 places supplémentaires dans les prisons françaises. Puisse son texte faire réfléchir à la fuite en avant que constitue cette politique pénale ». Reconduisant les inégalités, produisant de la délinquance, la prison n’est-elle pas obsolète, en son principe ou dans les formes, dans la logique qu’elle adopte ? Au fil de son enquête quotidienne, Chantal Deltenre se heurte à un monde de détresses, de souffrances qui se traduisent par des actes d’automutilation, par des suicides de détenus. Elle relie la fonction politique des centres de détention, de la gestion des délits, l’utilisation de la main-d’œuvre pénale sous-payée à « l’histoire coloniale de la Nouvelle-Calédonie » qui « est précisément celle d’une succession d’enfermements », d’une destruction de la culture kanak. Chassées de leurs terres, spoliées, privées de droits politiques (jusqu’en 1946), les populations autochtones se voient parquées dans des réserves. Sans réduire la délinquance juvénile à une perte de repères, elle-même liée à la mise en crise du mode de vie clanique sous l’effet de la colonisation, Chantal Deltenre pointe les faisceaux étiologiques, les continuités entre l’espace carcéral des réserves et la fonction actuelle de la prison. Soulignant la décohésion sociale engendrée par le heurt d’une effroyable violence entre société indigène et modèle occidental, elle étudie, de l’intérieur, les modalités de contrôle social.Histoire de regards, de rencontres, d’empathie, ouvrage décisif, Camp Est ouvre la méthodologie ethnographique à l’expérience vécue que la chercheuse traverse, une expérience qui la modifie, qui infléchit son enquête, qui déporte les enjeux épistémologiques, les outils scientifiques vers un horizon politique et éthique subjectivement assumé. Véronique Bergen Plus d’information En 2016, Chantal Deltenre se voit confier une mission d’observation ethnographique par l’administration pénitentiaire française au « Camp Est », la prison de Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Elle y est demeurée un mois. Étrangère à l’univers carcéral tout autant qu’au monde calédonien, elle en rapporte un récit qui plonge le lecteur de plain-pied dans un centre de détention directement hérité…
Le panache de l’escargot. Philosophie vagabonde sur l’humeur du monde
Dans ce troisième recueil de chroniques qui recense des textes courts philosophiques chapeautés par des titres parfois surprenants, Pascale Seys nous emmène dans ses réflexions sur des thèmes classiques tels la vieillesse, le bonheur ou la gentillesse, mais aussi des thèmes plus inattendus comme les distributeurs de savon automatiques. En recourant souvent à l’étymologie des mots et en faisant régulièrement référence à des philosophes de toutes les époques, l’autrice nous offre des textes tantôt doux et drôles, tantôt profonds et inspirants, et nous pousse à repenser le monde d’une façon nouvelle. Sans jamais y porter aucun jugement, elle aborde avec un regard authentique et juste les parts obscures de l’homme et du monde, tentant de les appréhender, de les comprendre, loin des certitudes et des réponses toutes faites. Deux mouvements contraires, le désir de faire société d’une part et la monotonie de leur vie intérieure d’autre part, poussent les hommes à se tourner les uns vers les autres. Mais les défauts de chacun, qui inévitablement apparaissent, les dispersent aussitôt : tel est le paradoxe de la vie en commun. Excessivement proche en mode fusion ou trop éloigné d’autrui en mode fission, les risques sont, en réalité, exactement les mêmes pour les hérissons que nous sommes : ceux de la solitude, de la déception conjugale, amicale ou sociale mais avec toujours, au milieu du gué, un corps qui tremble de froid ou qui, s’il se réchauffe, finit par suffoquer. Dans Le panache de l’escargot , Pascale Seys a pris le parti de rédiger ses textes selon un trajet non rectiligne : elle sautille d’une anecdote à l’autre, d’une référence à l’autre, sans perdre le fil de sa pensée, emmenant son lecteur de découverte en découverte, à travers sa propre quête. Car au fond, il n’est question que de cela : tenter d’appréhender la part secrète et mystérieuse de la vie, l’envisager comme une aventure vaste et joyeuse, afin de cheminer vers une meilleure connaissance de soi, pour être plus libre.À l’heure où nous sommes toujours confinés et où nous souffrons de ne plus pouvoir voyager à notre guise, Pascale Seys nous invite à faire un des voyages les plus magnifiques : partir en quête de soi. Cette quête est certes « difficile, périlleuse, pleine d’écueils, indocile », mais ne serait-il pas intéressant d’envisager cette maison confinée où certains d’entre nous étouffent, comme un lieu d’exploration joyeuse, où l’on échappe à « l’ivresse de la vitesse » et la dictature de la rentabilité, pour trouver chacun à son rythme le beau et le bon, là où ils sont invisibles à l’œil nu (« il faut sans doute imaginer qu’il appartient à notre regard de faire en sorte que le monde, pourtant si laid à certains égards, puisse apparaître soudainement outrageusement beau et digne d’admiration »).Quelle belle invitation ! Envisager le panache de l’escargot que nous sommes… Séverine Radoux Un regard philosophique intelligent, décomplexé et décomplexant sur notre vie quotidienne « Regarder loin, humer de près, sentir en profondeur et explorer une dimension supérieure » : c’est ce voyage-là, exactement, que cette diablesse de la philosophie nous fait faire, nous menant à nous et aux autres sous couvert de papillons, de homards, de scorpions et de grenouilles, étrangement et délicieusement accouplés à Dostoïevski, Platon, Socrate ou Thoreau, savoureusement pimentés par Tarantino, Brian De Palma, David Hockney ou Louise Bourgeois, le tout savamment enrobé…