La campagne flamande, début du XXe siècle. Cinq familles aux destins entrelacés cherchent à s’affranchir des traditions et des erreurs du passé. Dans les paysages balayés par le vent, deux jeunes gens se rencontrent. Mais les réminiscences des péchés d’autrefois autant que les superstitions opposent les deux familles et empêchent les épousailles. Les haines sont-elles héréditaires ? Faudra-t-il toujours que les morts pèsent sur les vivants ?
Autrice de Paix sur les champs
En janvier 1943, Justine, étudiante en physique à Grenoble, rentre pour le weekend chez ses parents. Dans le train qui l’y emmène, les claquements de la porte du cabinet de toilette la poussent à quitter son compartiment et à s’enhardir vers le lieu ; elle y découvre un bébé. Elle cherche une explication dans la cabine, puis à l’intérieur du couffin, soulève prudemment la couverture et trouve une paire de chaussons d’un blanc immaculé, un biberon en verre surmonté d’une tête en caoutchouc de bonne qualité et, dépassant légèrement de sous l’oreiller sur lequel repose la tête de l’enfant, un livre à la couverture en cuir marron clair. Elle écourtera son voyage, débarquant en urgence pour les soins du bambin dans un bar d’Aix-les-Bains et, tout en même temps, dans la vie de Leonardo Minelli. Lui, elle et la petite Blanche, le trio qui permettra le couple quelques années durant et qui volera ensuite avec fracas tant le rôle de figurant paternel ne correspond pas au roman familial idéal du père adoptif. Les lectures se multiplient, le romanesque des vies se saisit, Blanche rencontre Émile, son Gatsby le magnifique mais lui, « il ne lit pas, est-ce clair ? ». Les évènements se cumulent, Cécile voit le jour, ensuite Jean. Le livre se transmet, se classe parmi les contes. Jean, le désormais Savoyard à Paris, devient « la bonne raison » d’Alice. Les possibles du livre familial se restaurent, prennent des allures nouvelles, une valeur inestimable. Léa et Sasha s’ajoutent à cette fable. Les pages de Blanche d’alors révèleront des possibles romanesques dont chaque lecteur est le détenteur des secrets.Une fresque sur quatre générations, une histoire de transmission, d’horizons, de rôle actif du lecteur, ce « créateur » du texte par son interprétation, ses connaissances propres et la conscience de lui-même. Des histoires évènementielles narrées où le « livre des possibles » se fait objet itératif, lui qui n’aura de cesse de s’écrire à mesure que la lecture se poursuit. Ce livre se réserve le droit de changer de contenu, de se contredire, d’être incomplet, de ne pas terminer ses phrases, de se moquer de tout, de changer de titre, d’auteur, de maison d’édition, de nombre de pages, de format, de couverture, d’illustrations et de tout ce qu’il jugera bon de modifier. Il décline toute responsabilité en cas d’inconfort du lecteur, d’inadéquation à ses attentes, de préjudice fait à sa sensibilité ou de malaise cardiaque. Dans ce Livre des possibles , l’autrice use de la personnification, dans le style et le contenu, ses procédés stylistiques donnent vie aux motifs de la famille, des liens, des attendus et des rôles assumés ou non. Avec une plume réaliste teintée d’un fantastique insolite, la romancière Véronique Sels offre, avec sensibilité et pointe d’humour, un récit qui célèbre l’acte créatif qu’est la lecture.…
Julien Noel
05 mars 2020
J’ai été un rien déçu par ce roman du terroir, dans lequel je n’ai pas trouvé l’élan poétique qui me plait tant chez Gevers. Il met en scène un drame interfamilial dans le décor de la Campine (qui s’y prête bien : pensons à La Maison du canal de Simenon). Louis Vanasche veut épouser Lodia Deryck, or il ignore que son père Stanne tua jadis la sœur de celle-ci, également appelée Lodia et sur le modèle de laquelle la Mère Deryck, folle de chagrin, tente à tout prix de modeler sa fille cadette, en guise de palliatif. Stanne fut poussé à ce crime par atavisme : sa propre mère était une mauvaise sorcière qui, à sa mort et contre son gré, lui a transmis ses pouvoirs, comme une malédiction. Sa fiancée Lodia voulut pour cela le quitter ; il répondit par une pulsion meurtrière proprement démoniaque.
À présent, l’amour de leurs enfants force le Père Vanasche et la Mère Deryck à faire face à un passé qu’ils ont longtemps fui. En sus, le guérisseur Aloysius les a convoqués au chevet de son lit de mort pour les prévenir : à moins qu’ils ne trouvent la force de se demander et de s’offrir le pardon, tous deux seront damnés. Une telle chose ne peut se faire en un jour or, plus le temps passe, plus Stanne se sent acculé par sa malédiction, sujet à des souffrances surnaturelles tant physiques que psychiques. Craignant de trépasser, il urge Johanna Deryck de le pardonner. Pendant ce temps, Louis Vanasche est également tenaillé par sa conscience car il a fait un enfant à une seconde jeune fille, qu’il refuse d’épouser. Les déboires de celle-ci et le soutien qu’elle trouve auprès de parents éloignés constituent une intrigue secondaire du roman.
Ce livre est une réussite, eu égard à la psychologie qui le sous-tend, qu’elle soit individuelle ou collective (puisque, chez cette autrice, même les paysages ont une psychologie). Malheureusement, il manque un peu de rythme et je n’y ai pas trouvé la chaleur qui me fait tant aimer les récits autobiographiques de Gevers.