Paraissent conjointement Traverses et Jours obscurs, deux œuvres posthumes de Jean-Claude Pirotte, conçues en majeure partie en 2010 et 2011 entre Jura suisse et mer du Nord. Le « peintre-écrivain » connaît alors une période de dépression (au sens géologique, précise sa compagne, la romancière et essayiste Sylvie Doizelet à qui l’on doit la publication de ces deux textes étroitement solidaires).Jours Obscurs est une suite de poèmes en trois parties où s’enchaînent de courtes strophes en vers libres – formes chères à l’auteur – et frôlant parfois, comme par jeu désinvolte, la structure du sonnet. Pirotte, on le sait, n’est pas un technocrate de la métrique, mais un homme libre de toute règle et un poète de fond d’une absolue sincérité pour qui la forme…
Avant de s’éclipser définitivement au printemps 2014, traçant sa dernière route vers les rivages lointains de l’enfance perdue, Jean-Claude Pirotte nous avait aimablement prévenus :après ma mort je publieraides poèmes inattendusmais pas avant je reste au rez-de chaussée des rimeurs perdus Et voici donc, en ces temps noirs de confinement où vagabondages, errances, déplacements, voyages, nous deviennent contraignants voire interdits, que le rimeur (pas si perdu) de Passage des ombres (2008) et de La vallée de Misère (1987) nous détourne, selon sa méthode coutumière – à la flibuste et sans barguigner –, de la droite ligne qui nous mènerait de vie à trépas. Pour viatique, bien à plat sur la table, il nous a préparé un ou deux flacons de bon vin (cépage au choix).…
Le lecteur qui comme nous, depuis la publication de La pluie à Rethel, aura mis ses pas dans les sillons argileux de l’écriture de Jean-Claude Pirotte, sera sans doute touché par ces derniers mots écrits quelques semaines avant sa disparition en mai 2014. Réunis par les éditions Motus, ces trente-trois quatrains à la facture faussement naïve s’adressent d’abord aux jeunes lecteurs fidèles à la collection Pommes Pirates Papillons. Illustrés par les monotypes du peintre Didier Cros dont l’univers d’ailleurs inspirait l’illustrateur qu’il était aussi, les poèmes de Pirotte rassemblés ici résonnent comme autant de comptines rimées. Trente-trois stations d’une Cavale (La Table ronde, 1999) dont l’ensemble résumerait, en condensé, les thèmes qui courent à travers…
« On voit partout de très vieux hommes détruire en construisant. » Une feuille morte me caresse la joue. Je lève les yeux et je vois la vie. Le chêne semble dédier toute son énergie à croître et à défier la gravité pour toucher le ciel. « Ne cherchons-nous pas tous un accroissement de notre être, Véra ? » L’homme tend aussi vers le ciel. Dans sa cavale, il laisse les traces de ses pas sur le papier. Course contre le soleil qui fait perdre la lumière, que reste-t-il pour les abeilles en hiver ? Peut-être que les nuages peuvent devenir des fleurs, et la pluie masquer le froid de nos pleurs. Peut-être que la réponse est dans le ciel. Le ciel est un rêve. Il n’a pas besoin de s’envoler pour être libre.
« Je ne réussirai jamais à imposer la liberté…