Mes inscriptions

RÉSUMÉ
À PROPOS DE L'AUTEUR
Louis Scutenaire

Auteur de Mes inscriptions

Jean Scutenaire (1905-1987), dit Louis Scutenaire est considéré comme l’un des principaux écrivains du groupe surréaliste bruxellois. Pourtant, poète « anti-littéraire » surréaliste bien peu proche de l’orthodoxie parisienne d’André Breton, Belge picard aux origines diverses, il aimait se décrire comme n’étant « ni poète, ni surréaliste, ni Belge », échappant ainsi aux classements trop faciles des anthologies littéraires. L’écrivain est né le 29 juin 1905 à Ollignies, près de Lessines, en Picardie hennuyère. Fils unique d’un couple de petits employés, il passe une enfance tranquille dans cette région wallonne de la frontière française. Il évoquera souvent avec nostalgie cette période de sa vie et aimera souligner ses origines picardes, en employant par exemple certaines expressions venant de ce dialecte dans ses œuvres, comme dans Les Vacances d’un Enfant. Scutenaire apprend à lire dès ses quatre ans, et dévore tout ce qui lui tombe sur la main. Il apprécie les livres illustrés, comme Bécassine ou Les pieds nickelés, la littérature populaire d’Eugène Sue ou d’Alexandre Dumas, et plus tard la poésie d’Arthur Rimbaud, de François Villon ou de Stéphane Mallarmé sortie de la bibliothèque paternelle. Ce goût éclectique et cette passion du livre le suivront sa vie durant et lui confèrent très tôt un certain attrait pour l’écriture. Son professeur l’encourage à rédiger ses premiers poèmes dès l’âge de 10 ans. Scutenaire entame par la suite des humanités gréco-latines, mais, élève indiscipliné, il préfère la boxe et le vagabondage aux versions. À Ollignies, il aime passer du temps aux côtés des gens du peuple. Les grèves qui éclatent souvent à Lessines lui ouvrent les yeux sur les réalités sociales du début du XXe siècle. Il en développera une aspiration constante à la justice sociale, lui qui se déclarera encore staliniste lors des heures les plus sombres de l’URSS, par « provocation, fidélité, et conservatisme ». De 1919 à 1923, une longue pleurésie le cloue au lit et le laisse profondément affaibli. Il en conservera une santé fragile à vie. En 1924, sa famille s’installe à Bruxelles au 20 rue de la Luzerne, dans une maison que Scutenaire ne quittera jamais. Il entreprend alors des études de droit à l’Université Libre de Bruxelles (ULB) qu’il termine tant bien que mal en 1929. C’est à cette époque que sa destinée se mêle à celle des surréalistes bruxellois. Attiré par ce mouvement littéraire tonitruant qui vient d’émerger entre Paris et Bruxelles, il contacte Paul Nougé en 1926 et le rencontre ainsi que Camille Goemans, René Magritte, E.L.T Mesens, et Marcel Lecomte. Par cet intermède Scutenaire croise le chemin de l’écrivaine Irène Hamoir, qui, séduite par sa prose, devient son épouse en 1930. Complice, ce couple d’écrivains reste uni jusqu’au décès de Scutenaire, et rédige parfois des œuvres à quatre mains. L’année de ses noces, le jeune homme entame son barreau et devient avocat pénaliste, il aime alors s’occuper des voyous et éprouvera toujours une certaine attirance pour les milieux de la pègre, qu’il mettra parfois en scène dans ses œuvres littéraires. L’auteur écrit déjà sans relâche des poèmes, tracts, notes de lectures, mais publie peu avant la seconde guerre mondiale. Scutenaire est l’un des écrivains les plus prolifiques du groupe surréaliste, son écriture est spontanée, fleurie, pleine d’imagination. À l’époque cependant, il reste réfractaire à l’édition. Le surréaliste se décrit alors comme « conduisant poétiquement des entreprises anti-littéraires ». Un iconoclaste donc, qui réalise notamment des pastiches et détournements de romans d’autres écrivains afin de désacraliser les grands noms de la littérature. Durant leurs voyages en France, le couple Hamoir-Scutenaire fréquente les surréalistes français, notamment Paul Eluard et René Char. Ces relations vont s’enrichir encore lors de leur exode durant la débâcle de 1940, ils font alors la rencontre de nombreuses personnalités littéraires dont André Gide ou Gaston Gallimard. Scutenaire connait alors une période très productive. Il rédige le roman les Vacances d’un enfant, un premier essai sur son ami Magritte, ainsi que le premier tome de ses Inscriptions (1943-1944). Suite à une menace de rupture, Hamoir parvient à le convaincre de publier ces écrits. Les Inscriptions paraissent donc aux éditions Gallimard grâce à l’entremise d’Eluard, de Paulhan et de Queneau en 1947. C’est à cette époque qu’il troque son prénom Jean contre celui de Louis. Mensonge ou vérité, il explique que dans son village, les enfants de bourgeois l’appelaient Jean, ceux du peuple Louis, ce changement serait donc un symbole de la lutte des classes. C’est aussi une manière malhabile de protéger son anonymat face aux supérieurs de sa toute nouvelle fonction. Dès 1941, il devient de fait fonctionnaire à Bruxelles au Ministère de l’Intérieur, emploi qu’il conserve jusqu’à sa retraite, en 1970. Après 1947, l’écrivain signe surtout des tracts, des préfaces d’expositions ou d’ouvrages. Il collabore à de nombreuses revues surréalistes comme La Carte d’après nature, Les Temps mêlés, les Lèvres nues. Ami indéfectible de René Magritte, et ce, quarante années durant, il le soutient dans ses aventures artistiques les plus scandaleuses, comme lorsqu’il rédige la préface à l’exposition Vache du peintre en 1948. Il sera par ailleurs l’auteur d’une centaine de titres de tableaux de Magritte, comme Golconde (1953). En 1963, le second volume des Inscriptions est terminé, il ne paraîtra qu’en 1976 à Bruxelles. Deux autres volumes suivront, l’un en 1984 et l’autre posthume en 1990. Ces recueils de maximes amassées pêle-mêle durant quarante ans constituent l’essentiel de son œuvre littéraire. En 1984, son œuvre La cinquième saison, en fait un fragment des Inscriptions, se voit décerner le Grand Prix Spécial de l’Humour noir à Paris. Louis Scutenaire décède le 15 août 1987, 20 ans jour pour jour après son ami Magritte, dans sa maison rue de la Luzerne. Irène Hamoir lègue ses archives et sa précieuse bibliothèque de bibliophile à la Bibliothèque Royale.

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Tchansons d’one miète pus lon. Chansons d’un peu plus loin

Les membres de la Société de langue et de littérature wallonnes, qui reçoivent ses publications ordinaires avant même qu’elles n’arrivent en librairie, auront certainement remarqué l’évolution de sa plus vaste collection, « Littérature dialectale d’aujourd’hui ». Au-delà du travail innovant réalisé sur les maquettes, il convient d’observer une inflexion dans le choix des textes : alors que, depuis une bonne décennie, elle proposait des œuvres d’écrivains confirmés — et parfois même des rééditions — voilà qu’ont paru coup sur coup deux premiers recueils. Si Al cwène dès djoûs de Jean Collette , qui réunit plusieurs suites de poèmes, semblait déjà une œuvre de maturité, ces Tchansons d’one miète pus lon marquent l’entrée en littérature d’un nouveau talent, par ailleurs l’un des cadets de la Société. (Qui se souvient que la « petite collection », comme elle est souvent appelée, fut composée à l’origine de plaquettes se réjouira certainement qu’elle joue à nouveau ce rôle de vivier.) Dire que Xavier Bernier est talentueux semble un euphémisme. Il appartient à une nouvelle génération de wallonophones qui, faute de l’avoir appris de jeunesse, ont dû prendre leur idiome à bras-le-corps, en interrogeant sans relâche des parents et en disséquant les meilleurs auteurs (ces chansons sont dédiées à la mémoire de deux maitres, Émile Gilliard et Auguste Laloux). L’on a peine à le croire tant il déploie une langue riche et précise, qui puise directement aux images et aux sonorités du parler de Crupet. Leur lecture rassurera certainement les amateurs quant aux capacités de régénération des lettres wallonnes, qui vivent une période charnière.Mais en miroir — il faut le reconnaitre — la rencontre d’un texte si exigeant peut faire craindre la pénurie de lecteurs. En effet, en dépit des efforts de l’éditeur, qui propose un rappel des principes de transcription Feller, une traduction française en vis-à-vis et cinq pages ramassées de notes et de glossaire, ce type d’œuvre reste difficile d’accès pour un public qui ne possède pas entièrement son wallon. Car si la version française restitue le sens, elle perd certaines allitérations, certains enjambements : Quèwéye d’aveûles au bwârd do trau Onk qui sît l’ôte, tot fiant come s’i Crwêreut qu’i veut pus clér qui li Waîte bin l’ bèle binde di laîds bâbaus ! [File d’aveugles au bord du gouffre / L’un suit l’autre en faisant mine / De croire qu’il voit mieux que lui / Belle bande d’idiots !] Et il en va de même pour les idiotismes, généralement intraduisibles. Dire que le piche-è-l’aye est désinvolte semble trop faible : il est en fait « pisse à la haie ». De même pour le tape-à-gaye (le gauleur de noix, qui frappe au petit bonheur la chance) et le tchîye-à-pouf (le « chie au hasard »), qui perdent aussi de leur saveur. C’èst mi qu’èst piche-è-l’aye Tape-à-gaye Tchîye-à-pouf C’èst vos, m’ fi, qu’èrite do bouzouf ! [Je suis désinvolte / Imprévoyant / Foireux / C’est toi, mon gars, qui hérites du bordel !] Ces deux extraits font entrevoir un thème important du recueil, à savoir les limites planétaires et la critique de l’individualisme. Xavier Bernier est en effet un auteur engagé, qui dénonce aussi la « Forteresse Europe » et la fast-fashion . Il est intéressant d’observer que, ce faisant, il renoue avec une tradition centenaire de la littérature en langue wallonne, qui a souvent — et notamment dans ses débuts moralistes — prêché le principe de l’égalité de tous devant les drames. Comme Nicolas Defrecheux a pu dire, dans des vers réédités à l’occasion de la dernière Fureur de lire , «  Qui t’ plèce so l’ monde seûye basse ou hôte, lès måleûrs todi t’ac’sûront  » [«  Que ta place sur le monde soit basse ou haute, les malheurs t’atteindront toujours  »]. Xavier Bernier tance le consommateur irresponsable : Ti t’ pous bin mète à djok su t’ twèt Ou d’djà ataquè à couru Gn’a pus qu’ deûs maniéres di moru Si ti n’ néyes nin, ti crèverès d’ swè [Tu peux te percher sur ton toit / Ou déjà commencer à courir / Il n’y a plus que deux manières de mourir / Si tu ne te noies pas, tu crèveras de soif] Est-ce à dire qu’il se place dans l’exacte continuité d’écrivains qui, avant lui, ont exalté en wallon la vie simple et la sagesse populaire ? Du tout. Il cherche plutôt sa propre voix, entre émerveillement du quotidien et solidarité par-delà les frontières, y compris les frontières taxonomiques. Mi, dji n’è vou nin, d’ vos racènes Èt dji n’ vou nin d’meurè stitchi Tot tchantant, mès pîds dins l’ansène Ou dins l’ crausse aurzîye do pachi [Je n’en veux pas, de tes racines / Et je ne veux pas rester fixé / Chantant, les pieds dans le fumier / Ou dans l’argile grasse du verger] Le meilleur exemple est sa Tchanson po lès mouchons , qui reprend un air traditionnel quelque peu carnassier. Mais, sous sa plume, « Dj’ê stî al tchèsse aus p’tits mouchons / Dj’ènn’ ê tuwè pus d’on million » [ « J’ai été à la chasse aux petits oiseaux / J’en ai tué plus d’un million » ] devient… Avoz choûtè lès p’tits mouchons Qui tchantenut chaque si p’tite tchanson ? [ As-tu écouté les petits oiseaux / Qui chantent chacun sa petite chanson ? ]Gageons que c’est grâce à de nouveaux bardes comme lui « Qui l’ môde va d’abôrd riv’nu do tchantè è walon / Èt r’chuflè dès-aîrs do timps d’ nos ratayons » [ « Que chanter wallon reviendra à la mode / Tout comme siffler des airs anciens » ]. 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