Maeterlinck en partie double

À PROPOS DE L'AUTEUR
Roger Bodart

Auteur de Maeterlinck en partie double

Roger Bodart naît le 10 mars 1910 dans le village ardennais de Falmignoul, proche de la frontière française. Son père est l'instituteur du village. Ce pays de rochers, de grottes, de forêts le marquera d'une empreinte ineffaçable. En 1917, le père de Bodart est nommé directeur d'un orphelinat de la ville de Bruxelles situé place du Béguinage. Le poète évoquera ce lieu de son enfance à plusieurs reprises dans son œuvre notamment dans Le Tour (1968). Bodart accomplit ses humanités anciennes à l'Athénée de Schaerbeek et publie ses premiers vers dans une revue, à quinze ans. En 1928, il entre à la Faculté de droit de l'Université libre de Bruxelles. Il y rencontre sa future femme, Marie-Thérèse Guillaume, qui deviendra romancière et essayiste. C'est aussi à cette époque qu'il envoie son premier recueil, Les Mains tendues (1930), à Léon Daudet qui vit alors à Bruxelles. L'écrivain l'encourage et le gratifie d'une préface élogieuse. Ces textes révèlent un talent prometteur, une sensibilité authentique et une virtuosité technique incontestable. À la fin de ses études, il obtient successivement le prix de la Conférence du jeune Barreau et celui du Conseil de l'Ordre. Entreprendra-t-il une carrière d'avocat? II rédige un traité de droit commercial et termine une étude sur le recrutement de la magistrature aux Pays-Bas au XVIIIe siècle, mais la poésie le requiert toujours. Dans son deuxième recueil, Les Hommes dans la nuit (1932), s'expriment des aspirations religieuses mêlées au souvenir de la nature ardennaise. À cette époque, débute une longue amitié : Roger Bodart rencontre Charles Plisnier. Un autre événement marque ces années de transition : Joseph Bodart, le père du poète, meurt en 1936. Cette disparition ébranle profondément le jeune homme qui écrit, la même année, un recueil de poèmes, Office des ténèbres (1937), entièrement inspiré par la découverte de la mort. Ce thème se nuance d'interrogations métaphysiques et d'un sentiment de complicité avec le monde de l'invisible. Le prix Polak couronne cet ouvrage où s'exprime un artiste accompli. En 1937, Bodart entre à l'I.N.R., la radio belge. Deux ans plus tard, une fille naît, qui deviendra écrivain sous le nom d'Anne Richter. Le 10 mai 1940, le poète annonce, sur les ondes de l'I.N.R., l'invasion de la Belgique par l'Allemagne. Les années de guerre sont, pour lui, une période d'intense maturation poétique et spirituelle. Bodart crée un cycle de conférences, rue Ernest Allard, à Bruxelles, dans les bâtiments du futur Athénée Robert Catteau; les conférences qu'il y donne constituent l'ébauche de ses futurs Dialogues européens. Quelques années plus tard, il fonde aussi, avec Sara Huysmans, les Midis de la Poésie qui connaissent dans la capitale un succès immédiat. À la fin de la guerre, il a trente-cinq ans. Entré au service des Lettres du ministère de la Culture, il va, par les fonctions qu'il assume, par les articles qu'il publiera régulièrement dans Le Soir, par les voyages qu'il accomplira en Europe mais aussi en Afrique, en Israël et aux États-Unis, devenir un personnage-clef de notre vie littéraire. Il assure la représentation de notre littérature à l'étranger, participe à la création du Fonds national de la littérature; il suggère et obtient la fondation de bourses aux écrivains. Il anticipe la prise de conscience de la francophonie en ébauchant, avec Naïm Kattan, la création du Prix belgo-canadien. Le 9 juin 1951, il est élu à l'Académie royale de langue et de littérature françaises. Le poète et l'essayiste se sont approfondis dans La Tapisserie de Pénélope (1948), les Dialogues européens (1950) et les Dialogues africains (1952). La découverte de l'Afrique stimule et renforce en lui une quête de l'essentiel toujours poursuivie. Dans Le Chevalier à la charrette (1953), la rupture prosodique reflète une dissension intérieure. Cinq ans plus tard, dans Le Nègre de Chicago, la transformation stylistique et psychique s'achève. La découverte des origines opérées en Afrique aboutit à la condamnation du monde blanc. Cette remise en question devient impitoyable dans La Route du sel (1964), l'ouvrage majeur de Roger Bodart. En termes haletants et abrupts, le poète y décrit une aventure exceptionnelle, un univers abyssal, secoué par un terrible séisme qui reflète, de toute évidence, le péril atomique, les pires angoisses de notre temps, mais aussi d'une autre manière, l'histoire d'une préhistoire bien plus ancienne que celle de la préhistoire. D'emblée, Bodart nous introduit au cœur d'une entreprise singulière, difficile à définir, dans la mesure où celle-ci est porteuse de significations multiples. La Route du sel est une de ces œuvres particulièrement riches que l'on peut lire à plusieurs niveaux. Une métamorphose nous est décrite qui peut être identifiée à la genèse du monde, à la mort et à la renaissance d'un homme ainsi qu'à la création d'un poème. Itinéraire initiatique, démarche marginale, rigoureusement individuelle, La Route du sel témoigne d'une implacable expérience intérieure qui, dans son subjectivisme extrême, rejoint pourtant l'universel. En 1973, après une période de voyages et de conférences au Canada, notamment à Montréal où Roger Bodart séjourne chez sa fille cadette, le poète meurt inopinément le 2 juin, à Bruxelles. Ses derniers recueils, La Longue Marche (1975) et Le Signe de Jonas (1977), sont des publications posthumes. Après l'aventure périlleuse de La Route du sel, ces livres s'imposent comme les œuvres de la pacification et du dépouillement intérieur. La pensée et l'écriture y sont décantées à l'extrême, comme si le poète arraché aux mains du temps par l'épreuve intime et par la solitude qui accompagne toute vision, était enfin sauvé par un furieux amour de loin. L'art de Roger Bodart, enraciné dans la circonstance, l'a toujours dépassé pour faire référence à un lointain ailleurs. Ancrée dans l'événement, dans l'espace, dans le temps, cette poésie où se concentrent énergies physique et spirituelle, devient, au terme de sa recherche, cette mémoire transfigurée dont parla Jean Cassou.

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