Auteur de Le sceptre volé aux hommes ; suivi de La lumière reconquise
Illustrateur de Le sceptre volé aux hommes ; suivi de La lumière reconquise
Né le 31 mai 1958 à Choisy-le-Roi en France
Graphisme, illustration, Ecole Froment, Paris Dessin, peinture, Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, Paris
graphiste
Je conçois avant tout l'illustration d'un livre comme une rencontre et un échange créatif avec un écrivain et un éditeur. Cela suscite en moi une réflexion sur la technique graphique et la conception des images. J'expose régulièrement mon travail de peintre et graveur, et collabore avec divers éditeurs (Duculot, Casterman, Gallimard) et revues (Le Soir, The Bulletin, ...).
INTRODUCTION. De l’âme des objets à la phalloplastie
Dans les derniers vers du célèbre poème « Milly », Objets inanimés, avez-vous donc une âme / Qui s’attache à notre âme et la force d’aimer? Lamartine, exilé, songe aux saules, aux vieilles tours, aux murs noircis, aux fontaines, aux chaumières d’un pauvre village, autant d’objets qui peuplent le souvenir nostalgique de la terre natale. Mais les objets d’une collection, patiemment rassemblée par ce que les psychologues nomment parfois, peut-être avec trop de désinvolture, un « accumulateur » arrêté au stade anal de son évolution, peuvent-ils, eux, avoir une âme ? Gérard Wajcman voit « chez le collectionneur l’exercice d’une vertu, vantée à la Renaissance, la magnificence, cette disposition d’une personne qui dépense avec éclat, sans compter, pour elle et pour les autres. Hautement civile, cette vertu a aujourd’hui, dans notre monde, forcément un parfum de scandale, voire de subversion. » XX Le collectionneur n’est pas un consommateur comme les autres. Parmi ses motivations, la fiction a peut-être sa place, paradoxale dans ce monde concret et matériel des objets. Comment percer le secret de certains objets sans le recours à l’imaginaire ? Les vendeurs s’y connaissent en affabulation pour vanter et vendre leurs pièces à l’acheteur-rêveur dont le désir de l’Autre le pousse à ramener chez lui une pièce « étrangère ». Et pourquoi ne pas placer, disposer, mettre en scène ces objets, dans un musée, une vitrine ou un salon, de façon qu’ils racontent une histoire ? XX Car c’est bien de fiction narrative qu’il s’agit, et tout n’est-il pas littérature ? En 1989, l’imam Khomeiny prononçait une fatwa à l’encontre de Salman Rushdie qui avait commis le sacrilège d’écrire Les Versets sataniques. Pour un auteur comme Christian Salmon, les censeurs sonnaient le glas de la fiction. Censurer l’imaginaire, « transformer en délit la pratique artistique » XX , c’était en même temps prouver le pouvoir de la création symbolique, de la fiction qui « ébauche d’autres mondes, d’autres formes de vie, d’autres types de relation entre les hommes » XX . Si la fiction menace le monde, c’est qu’elle fournit « de nouveaux angles pour pénétrer la réalité », « une autre hiérarchie des sens, d’autres modes de perception, une autre subjectivité » XX . Salmon évoque le cas du roman de Danilo Kiš, Un tombeau pour Boris Davidovitch (Gallimard, 1979) qui « taille […] de la vraie littérature » dans la masse des témoignages de survivants XX , qui, selon le site de la maison d’édition, « a pris pour matériau de sa fiction la réalité des liquidations, des procès, des camps et des tourmentes qui sévissent en Europe depuis le début du siècle. » Kiš n’avait-il pas le droit de citer des sources réelles en les faisant passer pour fictives ? Rendre compte de la réalité en affabulant, mystifier pour révéler la vérité, c’est la nature même, voire la mission de la fiction. Marc Petit, dans Éloge de la fiction, le dit autrement : « L’art en figurant le mal le désactualise pour le rendre visible. Alors seulement le cœur peut s’indigner, l’esprit, comprendre, la main, s’armer pour agir contre lui. Grâce à la fiction. » Ou encore « l’horreur figurée écarte la présence de l’horrible » XX . Et de citer en exergue le Rabbi Nahman de Bratzlav : « À en croire les gens, les histoires sont faites pour endormir. Moi j’en raconte pour les réveiller ». Les romans, les textes de fiction, les mythes, qui « se souvien[nen]t plus qu’il[s] n’invente[nt] le réel » peuvent « façonn[er] les comportements individuels et collectifs » et le romancier, coupable de « faux et usage de faux », dont « le rapport aux documents n’est guère différent de celui de l’historien », peut bien entendu inventer des documents ; de toutes façons, « le roman est réalité », c’est ce qu’affirme Luc Lang XX (prix Goncourt des lycéens en 1998 pour Mille six cents ventres). Jakob Arjouni (écrivain né à Francfort en 1964) l’avoue, lui, il n’a « aucune pensée pour le lecteur, aucune vocation de missionnaire » et s’il écrit des romans, s’il « invente le réel », c’est pour « mieux comprendre la réalité » XX . En principe, depuis Aristote, c’est la fictionnalité qui détermine la littérarité d’une œuvre. Le lecteur ne devrait pas s’y tromper, comme le rappelle Gérard Genette sans s’y arrêter XX , « une œuvre (verbale) de fiction est presque inévitablement reçue comme littéraire, indépendamment de tout jugement de valeur, peut-être parce que l’attitude de lecture qu’elle postule, la fameuse “suspension volontaire de l’incrédulitéˮ, est une attitude esthétique, au sens kantien, de “désintéressementˮ relatif à l’égard du monde réel » XX . Où se manifeste la créativité du romancier, si ce n’est au niveau de l’invention ? Dès lors, trop de réel modifierait le texte qui cesserait d’être une œuvre littéraire. Non fiction vs fiction. Pourtant chaque emprunt à la réalité peut se transformer en fiction XX . Et la fiction n’est souvent qu’une réalité exagérée faisant appel à la coopération imaginative du lecteur qui renoncerait volontairement à l’usage de son « droit de contestation » XX . Tout l’art du romancier serait d’éparpiller des « indices de fictionnalité » XX pour créer « un patchwork, un amalgame plus ou moins homogénéisé d’éléments hétéroclites empruntés pour une part à la réalité » XX . Au final, le romancier fait semblant de raconter une histoire vraie et le lecteur décide de le croire ou non. Salmon le récrira dans un article publié par Médiapart le 19 janvier 2015, «Charlie Hebdo dans le miroir de l’affaire Rushdie»: « Cervantès a le premier montré que la folie et le désordre entrent dans le monde lorsque s’efface la subtile nuance qui sépare le réel de la fiction. » Don Quichotte devient fou parce qu’il ne perçoit pas, ou plus, cette frontière. Mais si cette ambiguïté, volontaire, était justement, pour l’écrivain, la meilleure façon de produire un chef-d’œuvre ? Si cette hésitation du lecteur à identifier réel et fiction dans une œuvre était justement la clé du succès ? Herta Müller, romancière allemande d’origine roumaine, est la douzième femme lauréate du prix Nobel de littérature en 2009. Selon le journaliste Pierre Deshusses, c’est « l’aptitude de l’auteur à donner “une image de la vie quotidienne dans une dictature pétrifiéeˮ, à peindre “le paysage des dépossédésˮ », c’est une « esthétique de la résistance » dénonçant l’oppression dans « une langue acérée, comprimée et ciselée, souvent difficile, qui emprunte à la fois à la poésie et au langage populaire » qui a emporté l’adhésion des membres du comité Nobel XX. Deshusses rapporte ces « aveux » de l’auteure : « J’ai dû apprendre à vivre en écrivant et non l’inverse. Je voulais vivre à la hauteur de mes rêves, c’est tout. » Son roman, La Bascule du souffle (traduit de l’allemand par Claire de Oliveira), paru chez Gallimard en 2010, illustre ce « flou » entre réel et fiction. Retraçant la vie d’un prisonnier roumain homosexuel dans un camp de concentration russe, il use d’une langue poétique qui déréalise le propos. Le lecteur peut s’imaginer que les vapeurs toxiques de la cokerie, la faim, la solitude, la torture ou le malheur en général s’attaquent peu à peu au cerveau du jeune homme et le rendent fou au point que, revenu parmi les siens, il reste possédé par « l’ange de la faim » qui l’a entraîné à « l’art du sourire subtil qui bat en retraite »… Le héros et narrateur affirme, dans les dernières lignes de son récit : « J’ai déjà dansé avec la théière. Le sucrier. La boîte à biscuits. Le téléphone. Le réveil. Le cendrier. Les clés. Mon plus petit cavalier a été un bouton, tombé d’un manteau. Non, faux. Un jour, sous ma table en formica blanc, j’ai vu un raisin sec pouss…
Quand Pasolini regarde la psychanalyse, la psychanalyse regarde les queers
S’EMBRASSER SUR LE RING? La thèse qui sera la mienne reprend certains points d’un travail que je mène depuis quelques années maintenant. Mes recherches vont de la psychanalyse aux théories queer et retour. Je ne me situe pas dans une logique traditionnelle d’opposition ou de combat entre les deux champs disciplinaires. En effet, les queers se sont souvent positionnés contre la psychanalyse. On peut reprendre leurs griefs à son encontre sous la forme d’un lourd quadripode, aussi pesant que boiteux. La psychanalyse serait homophobe, hétéronormative, incapable d’aller au-delà de la différence des sexes et elle serait restée prisonnière du complexe d’Œdipe. Mon pari est de prendre acte de ces critiques pour interroger la métapsychologie freudienne et renouveler l’éthique à l’œuvre dans la psychanalyse. En prenant compte des lectures et des déconstructions queer, j’espère éviter de consolider le différend entre la psychanalyse et les théories queer. Plus exactement, je crois que si les queers sont contre la psychanalyse, alors elles et ils sont tout contre, comme dans une embrassade XX . Au creux de cette étreinte, dans ce grand écart impossible que mon travail théorique convoque, Pier Paolo Pasolini et Pétrole, son dernier roman, publié posthume XX , peuvent jouer un rôle d’intercesseur particulièrement important. Ce terme d’intercesseur est à entendre au sens où le philosophe Gilles Deleuze s’en servait pour son propre travail. Écoutons-le: L’important n’a jamais été d’accompagner le mouvement du voisin, mais de faire son propre mouvement. Si personne ne commence, personne ne bouge. Les interférences ce n’est pas non plus de l’échange : tout se fait par don ou capture. Ce qui est essentiel, c’est les intercesseurs. La création, c’est les intercesseurs. Sans eux, il n’y a pas d’œuvre. Ça peut être des gens – pour un philosophe, des artistes ou des savants, pour un savant, des philosophes ou des artistes – mais aussi des choses, des plantes, des animaux même, comme dans Castaneda. Si on ne forme pas une série, même complètement imaginaire, on est perdu. J’ai besoin de mes intercesseurs pour m’exprimer, et eux ne s’exprimeraient jamais sans moi: on travaille toujours à plusieurs, même quand ça ne se voit pas. XX Voici donc ma thèse: Pétrole comme intercesseur de la psychanalyse et des théories queer. MÉTHODOLOGIE Je lis donc Pasolini plus en psychanalyste qu’en spécialiste de la littérature. Pasolini me met au travail non seulement comme théoricien mais aussi comme clinicien. En ce sens, je voudrais commencer par m’inscrire dans le sillage des indications que Jacques Lacan pouvait donner aux psychanalystes quand il s’intéressait à Marguerite Duras et à son roman Le Ravissement de Lol V. Stein XX . Dans son «Hommage fait à Marguerite Duras», en 1965, Lacan donne des pistes de lecture qui restent précieuses lorsque le psychanalyste regarde une œuvre littéraire, cinématographique ou artistique. Il rappelle ce que Freud nous enseignait déjà lorsqu’il s’intéressait à la Gradiva de Jensen ou à Léonard de Vinci ou encore à Michel-Ange XX . Lacan écrit que «le seul avantage du psychanalyste […] c’est de se rappeler avec Freud qu’en sa matière, [soit l’inconscient et la pulsion], l’artiste toujours le précède» XX . Cette courte déclaration est fondamentale. Lorsque que l’on veut mêler le discours de l’inconscient et celui des arts, il faut garder à l’esprit que l’artiste nous précède. Il nous «fraie la voie» dit encore Lacan. Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie, par exemple, que Pasolini dans son œuvre et, sans doute plus particulièrement dans Pétrole, nous met en chemin vers un réel qui concerne les sujets que l’on rencontre, au cas par cas, dans les cabinets ou les institutions. Cela veut donc dire que Pasolini nous précède dans les élaborations théorico-cliniques que nous pouvons formuler. Cela veut encore dire que l’intérêt de regarder les productions littéraires et artistiques, c’est de se laisser enseigner par ce qu’elles formulent. Elles nous plongent au plus près de ce qui occupe les cliniciens, elles nous plongent dans l’inconscient. L’œuvre sait et nous n’avons qu’à la suivre. Attention toutefois à ne pas mal comprendre cette première indication lacanienne. Elle est d’ordre méthodologique. Il ne s’agit pas du tout de dire que Pasolini décrirait dans le contenu de son roman ce que l’on pourrait rencontrer dans la clinique. Pour rappel, Pétrole s’ouvre sur l’évanouissement de Carlo, un homme en prise avec «l’angoisse» et «la névrose», dans son appartement du quartier bourgeois des Parioli, à Rome. A partir de cette chute au sol, il se dédouble en deux personnages: Carlo de Polis et Carlo de Thétis dont on suivra les aventures pour le moins décousues et scabreuses. Les récits des notes qui structurent l’ouvrage de manière morcelée et lacunaire pourraient faire songer aux nouvelles formes d’addiction que l’on croise fréquemment aujourd’hui: porno-dépendance, addiction au sexe, voire délire érotomaniaque ou déclenchement schizophrénique. L’enjeu n’est pourtant pas de repérer des éléments diagnostiques qui se trouveraient illustrés dans les pages pasoliniennes. Pour suivre la manière dont l’œuvre nous fraye la voie, il s’agit de s’intéresser à «la pratique de la lettre du texte» dit encore Lacan. C’est là que l’on découvre ce qui «converge avec l’usage de l’inconscient» XX . Ainsi ce qui nous met sur la voie de l’inconscient, ce qui nous précède en tant que cliniciens, se situe moins dans le contenu positif de ce qui est raconté que dans les strates, les brèches, l’agencement et les modalités de traitement de la langue qui est au travail dans le roman. Or, de ce point de vue, le roman pasolinien s’avère d’une richesse extrême car son accumulation d’histoires interrompues, d’intertextualités et de renvois littéraires, d’incohérences et de ruptures narratives abrite un impossible à lire: quelque chose qui ne cesse pas de ne pas s’écrire et qui nous éclaire sur la logique propre à l’inconscient. Autrement dit, et là-dessus Lacan est tout fait explicite: le psychanalyste «n’a pas à faire le psychologue» avec l’artiste. Ce serait «de la goujaterie» et de la «sottise» XX que de réduire les dimensions ouvertes par l’œuvre à une unité psychologique quelconque. Pas de psychologie du Moi aussi bien du côté de l’auteur que de ses personnages. Pas de grilles interprétatives dans lesquelles faire rentrer l’œuvre. Cela revient à dire que, pour un psychanalyste, il ne sert à rien de rabattre Pétrole sur l’intimité de la biographie pasolinienne, tout comme il n’est pas très utile non plus d’essayer de donner un quelconque diagnostic clinique pour interpréter le cas de Carlo, double protagoniste du roman, qui changera de sexe à plusieurs reprises au cours de la narration. Refuser de jouer les psychologues, de psychologiser le texte, c’est refuser de faire appel à une interprétation rassurante qui tendrait à trouver une unité du moi, une origine, un contenu précis voire une vérité ferme et définitive là où l’enjeu-même de l’écriture est dans la démultiplication des notes, dans leur incomplétude, et dans l’impossibilité de se rassurer quant à un sens abouti qui viendrait clôturer une histoire. Cette remise en cause de la psychologie est explicitement à l’œuvre dans la «note 31» de Pétrole: «dans la psychologie, il y a toujours quelque chose d’autre et quelque chose de plus que la psychologie. […] La connaissance de l’esprit humain est, précisément, quelque chose de différent, quelque chose de plus .XX » IMPORTANCE DU RÊVE: PÉTROLE, UN ÉLOGE DE LA PSYCHANALYSE? Nombre de critiques l’ont largement souligné, Pétrole est écrit comme un rêve. L’interruption de la progression linéaire, les sursauts abrupts de la narration,…