Un être hybride émerge des eaux. À la fois créature animale et engin sous-marin, le Nauti-poulpe abrite à son bord un homme amnésique. Où l’emmène ce petit vaisseau qui arpente des lieux plus ou moins familiers ? « Capitaine, j’étais capitaine… Je suis le capitaine Nemo. » Porté par d’impressionnantes images en noir et blanc, le récit nous fait suivre le héros des romans de Jules Verne Vingt Mille Lieues sous les mers et L’Île mystérieuse, à qui Schuiten et Peeters imaginent un nouveau destin. Dans ce très beau livre se mêlent la bande dessinée, le récit illustré et l’histoire de Verne lui-même, installé dans la ville d’Amiens où sera bientôt érigée une monumentale sculpture en bronze du Nauti-poulpe. Les auteurs des Cités Obscures font ainsi revivre un personnage inoubliable qui a bouleversé les imaginaires…
Auteur de Le retour du capitaine Nemo
Illustrateur de Le retour du capitaine Nemo
François Schuiten est né à Bruxelles. Il se tourne très tôt vers la bande dessinée et suit les cours de l'Institut Saint-Luc. Dès 1978, en compagnie de son frère scénariste Luc, il élabore le cycle des Terres Creuses dont trois albums sont parus aux Humanoïdes Associés. Depuis 1981, il travaille avec son ami Benoît Peeters à la série Les Cités Obscures. Il a également collaboré à la conception graphique de deux films : Gwendoline de Just Jaeekin et Taxandria de Raoul Servais et travaille à des projets d'adaptation des Cités Obscures. Francçois Schuiten a reçu le Grand prix d'Angoulême 2002 pour l'ensemble de son œuvre.
François SCHUITEN et Benoît PEETERS, Le retour du capitaine Nemo, Casterman, 2023, 96 p., 26 €, ISBN : 9782203254398La manière dont une créature hybride, amphibie, mi-animale, mi-machinique apparaît dans cette nouvelle aventure des Cités Obscures, la façon dont elle sort des eaux et gagne la ville de Samarobrive-Amiens décrit précisément les modalités qui ont permis au Retour du capitaine Nemo de surgir, au terme d’une gestation organique, quatorze années après la parution de Souvenirs de l’éternel présent, dernier album des Cités Obscures. L’univers et l’imaginaire profondément verniens de François Schuiten et de Benoît Peeters accueillent à bord d’un vaisseau…
À la fois drôle, déchirant, sublime, rocambolesque, l’étonnant Amour dominical s’est élaboré sur près de douze ans. Dans ce foisonnant album réalisé à quatre mains, deux types de récits cohabitent, alternant l’un avec l’autre. D’une part, les écrits autobiographiques de Dominique Théate. Les textes de cet artiste brut, porteur d’un handicap mental, sont accompagnés des dessins de Dominique Goblet, autrice de bande dessinée (à qui l’on doit, entre autres, Faire semblant c’est mentir ), artiste plasticienne et enseignante. D’autre part, un récit fictionnel qu’ils ont réalisé ensemble autour de l’imaginaire et des dessins de Dominique Théate, et qui narre les histoires de bagarre et d’amour du célèbre catcheur Hulk Hogan et de la séduisante femme à barbe bleue. Fruit d’une longue collaboration entre les deux artistes, ce travail au long cours s’inscrit dans le cadre de Knock Outsider , un projet conjoint du collectif Frémok (maison d’édition de bande dessinée alternative) et de la « S » Grand Atelier, association culturelle pour artistes porteurs d’un handicap mental. Lire aussi : Rencontre avec Thierry Van Hasselt (C.I. n° 197)Le livre présente une grande singularité non seulement en raison de la démarche qui est à son origine mais aussi sur le plan formel, puisque qu’il s’affranchit du cadre imparti à l’album de bande dessinée classique pour tendre vers les arts plastiques et la littérature. Les travaux des deux artistes s’y entremêlent, se répondent, pour ne faire qu’une seule œuvre, doublement dominicale .Le livre s’ouvre sur un premier chapitre rapportant les « souvenirs réels » de Dominique Théate, sorte de retranscription minutieuse de son quotidien sur un vieil ordinateur. Le texte, répétitif, presque obsessionnel, butte sans cesse sur le même type d’événement et rend compte d’une vie réglée comme une horloge, sur un ton abrupt, dans un langage qui s’affranchit des codes de la littérature. Dominique Goblet compare très justement l’écriture de son comparse à des variations musicales sur un même thème. Elle est tombée sur les classeurs comprenant des centaines de pages de ce journal en 2007, lorsqu’elle et d’autres d’artistes du Frémok font leur première visite à la « S » Grand Atelier. Elle est bouleversée par la force de ce récit hors du commun, par le rythme et la musique de son écriture, mais aussi l’humour qui se dégage de sa façon de décrire ses journées. Ce sont des extraits de ces pages qui sont repris dans L’amour dominical , et accompagnés graphiquement par Dominique Goblet : ses sublimes illustrations contemplatives au pastel gras se promènent le long des routes de Vielsalm. C’est sur une de ces routes qu’eut lieu l’accident de moto de Dominique Théate qui le plongea à l’âge de dix-huit ans dans un long coma et dont il est ressorti avec des séquelles. Cet accident, on le comprend, constitue le point d’orgue de sa vie : il y a un avant et un après. Il a également pour conséquence une confiscation de nombre de ses rêves d’avenir. Parmi les espoirs irréalisables de l’artiste, celui de conduire un véhicule, qu’il mentionne sans cesse, lui est à tout jamais interdit.En alternance avec ces souvenirs, qui sont répartis en quatre chapitres, un par saison, le récit improbable des aventures d’Hulk Hogan plonge le lecteur dans une fantaisie inspirée par les motifs récurrents qui peuplent l’imagination de Dominique Théate. À travers ces combats du célèbre catcheur avec un orthodontiste ou un centaure, son mariage et sa nuit de noce, sans oublier son voyage dans l’espace, on découvre une incroyable créativité mais aussi une grande liberté dans la pratique de l’artiste. Les récits éclairent également sur ses aspirations, ses…
Une aventure de Blake et Mortimer : Le dernier pharaon
Avec Le Dernier pharaon, Autour de Blake & Mortimer , t. 11, le quartet composé de François Schuiten (dessin et scénario), Jaco Van Dormael (scénario), Thomas Gunzig (scénario), Laurent Durieux (couleur) met génialement ses pas dans ceux d’Edgar P. Jacobs, créateur de la série Black & Mortimer. L’album décline combien prolonger une œuvre, c’est la révéler à elle-même, la poursuivre en l’actualisant. Marquée par l’imaginaire et la puissance graphique de François Schuiten, la revisitation de l’univers d’Edgar P. Jacobs renoue avec Le mystère de la grande pyramide (1954). L’album s’ouvre sur la pyramide de Khéops. Blake et Mortimer se réveillent dans la chambre de la reine, frappés d’amnésie. Des années plus tard, appelé à Bruxelles afin d’étudier l’étrange rayonnement électromagnétique qui, émanant du Palais de Justice, a la propriété de rendre inopérants les appareils électriques, le professeur Mortimer découvre un mur d’hiéroglyphes, des représentations de Seth et autres divinités dont, féru d’égyptologie, Joseph Poelaert a truffé son colosse de pierre. Tandis que Mortimer et Henri, le seigneur des lieux, avancent vers le Graal, le lieu secret d’où provient le phénomène d’irradiation, une déflagration lumineuse embrase le Palais, déferle dans les rues de Bruxelles. Sur ordre de l’armée, les habitants sont évacués et désertent la capitale. Une cage de Faraday enserre l’édifice afin de contenir son magnétisme. Une enceinte mure la ville qui, au fil des mois, se mue en une ville fantôme où la nature reprend ses droits, où les animaux sauvages ont établi leurs quartiers. Refusant de quitter le périmètre interdit, des citoyens désireux d’inventer un autre monde — un monde aux antipodes du consumérisme actuel et du productivisme mortifère — mettent tous leurs espoirs dans les vertus salvatrices du rayonnement. Afin de déclencher ce dernier, ils mettent au point une opération. Bien qu’elle échoue, le mystérieux animal de pierre se remet à cracher sa lumière verte. Black-out généralisé. Les machines, les avions, les ordinateurs du monde entier s’arrêtent, « adieu les banques, adieu la dette du Tiers-Monde ». Le printemps de la révolution mondiale a pour levier le mastodonte de Poelaert, lequel, en libérant sa colossale énergie cosmotellurique, signe le coup d’arrêt de la technologie. Le sommeil des habitants est contaminé par des cauchemars provoqués par le rayonnement. Face à l’arrêt définitif et irréversible de l’électronique mondiale — panne qui signe la fin du néolibéralisme, du prométhéisme technologique —, le pouvoir international réagit, l’armée décide de lancer sur le Palais de Justice des missiles chargés de le détruire. Mettant au point un remède pire que le mal, ordonnatrice de l’inhumain, l’armée menace d’entraîner la fin du monde sous couvert de tenter de le sauver. La solution est frappée par la folie dès lors qu’elle crée le risque d’une réaction en chaîne. Haut gradé de l’armée britannique, Blake mettra tout en œuvre pour écarter cette décision. Alors qu’ils se sont perdus de vue depuis des années, il charge Mortimer de sauver la donne, de retourner dans le ventre du Palais afin de mettre fin au rayonnement. Nous ne révélerons pas les retournements et climax d’une intrigue menée de main de maître.D’une écriture à la fois incisive et onirique, le scénario remarquablement efficace, riche en rebondissements, campe un monde où s’affrontent la folie et la sagesse, le risque d’apocalypse et le sauvetage de l’univers.Si le dernier pharaon n’est autre que Mortimer comme le révèle le personnage de Lisa, l’ultime pharaon, c’est aussi François Schuiten qui promène sa lanterne magique sur les lieux telluriques. Dernier initié formé par l’esprit errant de Poelaert, Schuiten boucle l’énigme jacobsienne de la pyramide de Khéops qui hante Mortimer depuis des années. Il la referme en lui donnant comme résolution l’architecture du Palais de Justice.Sans didactisme aucun, l’album enserre le récit dans l’évocation des défis majeurs de notre temps, dangers de la technologie, dérives d’un monde enfermé dans une logique high tech et totalitaire. Sous la fable fantastique, court un rayon d’un autre type, qui nous dit qu’un autre monde est possible. Refusant le système actuel, une partie des humains met sur pied une société renouant avec la nature. Saluons l’actualité brûlante de l’album à l’heure où, percuté par la débâcle environnementale, par le réchauffement climatique, le monde court vers sa perte. Dans la ville de Bruxelles dévastée, les altermondialistes, les êtres en rupture de ban, récusant la loi du marché, les réfugiés vont assurer la relance d’un monde digne de ce nom. Face aux forces de mort que le pouvoir militaire s’apprête à déclencher se dressent les forces de vie portées essentiellement par des de femmes et des enfants.Sans adopter l’esthétique de la ligne claire, l’album prolonge l’esprit d’Edgar P. Jacobs, ses hantises, ses obsessions. On notera la présence des chats attirés par les lignes telluriques sur lesquelles l’édifice de Poelaert est bâti, le vertige des éblouissants dessins de François Schuiten qui réexplore un des hauts lieux mythiques des Cités obscures , de Brüsel, le Palais de Justice. Les pierres, les édifices sont habités par une âme secrète, une âme minérale. Comme les gargouilles de Notre-Dame-de-Paris, celles qui ornent le Palais de Justice sont les dépositaires de savoirs ésotériques que les bâtisseurs de cathédrales et Poelaert ont emportés dans leurs tombes. Une sagesse perdue que Mortimer/Schuiten, Van Dormael, Günzig et Durieux ramènent à la lumière.En libérant le rayonnement enfoui à la base de la pyramide inversée placée sous le Palais de Justice, Mortimer prend la décision que l’humanité n’a pas pu ni voulu adopter : changer radicalement de manière de vivre, de penser. Dans cette nouvelle vie donnée à Blake et Mortimer, ce dernier apparaît comme un anti-Prométhée grâce à qui s’ouvre une nouvelle Arcadie, une société contrainte de faire le deuil de son hypermodernisme, de sa course à la technologie. Tissé de signes, le monde attend son Champollion, ici Mortimer. Qu’il soit architectural, graphique, littéraire, musical, l’art, aux yeux de Schuiten, ne se transcende dans le sublime que s’il est branché sur l’inconscient, l’ésotérique, le paranormal. Tout art est initiatique.Les quatre créateurs livrent ici un livre-événement. L’album s’élève comme une pyramide où les dessins et le verbe tiennent lieu de pierre. Il compose la dernière pyramide pour le pharaon à venir… Pour notre plus grand regret, François Schuiten annonce qu’il arrête la BD. Signant son adieu au 9ème art, Le dernier pharaon serait alors l’ultime pierre de sa cathédrale. Soulignons les couleurs magistrales, les saisissants effets de clair-obscur de Laurent Durieux qui rehaussent les sublimes planches de François Schuiten. Magie des scènes de la ville de Bruxelles plongée sous les eaux ou dans des paysages hivernaux. Dans son dieu de pierre, Poelaert a enfoui les enseignements des Égyptiens, leurs secrets relatifs à la pyramide inversée sous la mer brusselienne. Gageons que le quatuor de créateurs…