Le novice éclairé


« Que pouvons-nous encore penser du théâtre et de ses pouvoirs, dès lors que l’on accepte que l’essentiel de l’activité spectatrice se déploie indépendamment de la représentation, au gré des associations de chacun ? » XX Jacques Rancière Les signes d’une émancipation partagée Pourquoi susciter un désir de théâtre chez des personnes qui n’en ont pas formulé le manque ? Pourquoi solliciter des publics qui n’y seraient pas venu spontanément et qui, parfois même, ne vivent plus leur absence des salles de spectacle comme un facteur discriminant ? C’est que nous croyons encore que le théâtre et les arts de la présence sont les garants d’une expérience unique du public, libre balancement entre l’individuel et le collectif, écoute où le solitaire se nourrit du diffus. Un travail régulier mené depuis plusieurs années au sein de l’association Cultures du Cœur XX avec des publics dits « isolés » des lieux culturels, publics que nous préférons…

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Paul Meyer, novembre 1993

A l'occasion de la présentation en salle de la version restaurée du film de Paul Meyer, Déjà s'envole la fleur maigre, nous avons voulu lui rendre hommage en rééditant un entretien que nous…

D'imperceptibles voix: sur Voicelessness (in blog A.T. 22 mai 2017 )

Entretien avec Azade Shahmiri à propos de « Voicelessness » au Kunstenfestivaldesarts 2017 Une scène sobre partagée en deux par un grand écran sur lequel des images de montagnes enneigées sont projetées ; deux femmes, mère et fille, de chaque côté, dialoguent, essayant de reconstituer un crime qui a entraîné la mort du père. Elles cheminent virtuellement, l’une étant dans le coma (la mère), l’autre cherchant des réponses dans le passé pour pouvoir vivre le présent et appréhender le futur. Pouvoir vivre pour l’une, pouvoir mourir pour l’autre. Leurs voix se font écho dans un jeu de miroir entrainant le spectateur dans leurs projections mentales et dans leur désir d’entendre la voix de l’absent, de la vérité, de la mort. Silence et résonances. Nous avons rencontré Azade Shahmiri une première fois à Téhéran au moment du Festival Fadjr, et ensuite à Bruxelles pendant les représentations de Voicelessness aux Brigittines, dans le cadre du Kunstenfestivaldesarts.                                                                          * LVG : Le théâtre en Iran et à Téhéran en particulier se développe beaucoup à partir de spectacles créés à l’université. Est-ce ton cas ? AS : Je suis née à Téhéran et j’ai étudié le théâtre, la dramaturgie et l’écriture à l’université de Téhéran. Quand j’étais en Master en Littérature dramatique, j’ai mis en scène quelques pièces et j’ai commencé à écrire. Une de mes pièces de docu-fiction inspirée par les journaux intimes et la correspondance de Frantz Fanon, intitulée Blind Track of Stars, a été primée lors du 12e Festival international du théâtre universitaire. Ce prix a permis de représenter le spectacle une vingtaine de soirs au théâtre Molavi de Téhéran. LVG : Voicelessness met en scène deux femmes, mère et fille, qui dialoguent. La scénographie est très sobre (un matelas par terre, au fond une grande toile sur laquelle des images sont projetées) et la mise en scène épurée souligne l’intemporalité du récit. Pourtant, cela se passe dans le futur, et la mère, qui se trouve dans le coma, communique avec sa fille par un moyen virtuel créé par la fille. Pourquoi as-tu choisi de projeter cette histoire dans le futur ? AS : L’année dernière, j’étais invitée à participer à un festival de théâtre à Mannheim, le Schwindelfrei theater festival, dont la thématique était « Facing 2066 ». En discutant avec la commissaire, j’ai décidé de travailler sur les procès et les cours de justice du futur. Elle m’a suggéré de travailler avec des installations vidéo. LVG : L’histoire croise le réel et la fiction. As-tu procédé ici aussi à un travail de documentation ? AS : L’histoire est basée sur un événement personnel ; mon père est mort dans des circonstances qui n’ont jamais été élucidées. Ça n’avait rien de politique mais j’ai voulu enquêter et comprendre ce qui s’était passé. Cela m’a menée à réfléchir à notre rapport au passé, et comment notre passé influence notre présent et notre futur. J’ai donc réalisé cette vidéo en Allemagne : un solo, moi face à la caméra. Christophe (Slagmuylder) a vu le travail et m’a suggéré de modifier la forme pour qu’elle soit plus performative, plus vivante ; de mon côté je n’étais moi non plus pas complètement satisfaite de ce travail. LVG : Tu as décidé alors d’y ajouter une actrice supplémentaire ? AS : Oui, Shadi Karamroudi, une jeune actrice. C’est en élaborant le scénario avec Soheil Amirsharifi, mon collaborateur (qui avait réalisé la vidéo), que nous avons décidé d’y ajouter l’autre « face » du texte, une deuxième voix, d’où l’idée de la relation entre une mère et sa fille. C’était comme une couche supplémentaire. Au début je pensais jouer la fille et que Shadi joue la mère, mais nous avons finalement inversé. LVG : Considères-tu que ton travail est aussi politique ? Est-ce une façon de parler du présent, du monde d’aujourd’hui ? AS : On peut y trouver des interprétations politiques. Je ne considère pas que mon travail soit lié à la politique de mon pays. Je pense -- j’espère -- qu’il est universel. Mais c’est une histoire personnelle et il se trouve que j’habite l’Iran, donc bien sûr, il y a des liens avec la réalité d’aujourd’hui, le travail de la police, etc. J’étais très déçue du fait que l’enquête au sujet de mon père n’ait rien donné. LVG : Tu as voulu narrer l’histoire d’une communication compliquée entre une mère et sa fille, dans le futur, alors qu’il y a un crime irrésolu qui les « relie »… AS : Oui, comment, dans le futur, nous racontons et nous nous remémorons le passé et comment nous traitons le matériau que nous avons à disposition pour reconstituer l’histoire et la « vérité historique ». LVG : Une mémoire familiale nébuleuse peut bloquer la vie dans le présent, c’est ce qui arrive à cette fille. Elle ne parvient pas à avancer à cause de ce qui est arrivé. Quelque part, elle est autant empêchée que sa mère qui se trouve dans le coma, comme si sa vie s’était arrêtée. AS : Oui, elle est « suspendue » dans le passé et le présent lui sert uniquement à essayer de comprendre ce passé. LVG : Ce n’est pas anodin que ce soient des femmes qui échangent car elles sont en général en première ligne pour transcender les histoires du passé aux nouvelles générations. AS : Elles incarnent souvent la mémoire dans les familles. Mais la pièce parle aussi du (ou des) père.s, même s’il est absent, sa voix est entendue, écoutée par sa fille. LVG : Le spectacle incarne aussi, dans un sens, la jeune génération, en Iran ou ailleurs, qui a l’impression, à tort ou à raison, de ne pas être assez entendue ou écoutée. AS : Toute la famille est ici « voiceless », sans voix, chacun à sa manière. La fille a entendu des choses que personne ne croit, la voix de la mère est virtuelle et le père est mort. La situation générale ne donne aucune voix, aucune possibilité, aucun outil pour comprendre. LVG : Il y a aussi l’idée que chaque personne a une voix propre, reconnaissable immédiatement et dont on se souvient longtemps ; une façon de continuer à vivre après la mort. Les montagnes projetées sur fond de scène évoquent l’écho qui fait résonner les voix, même celles des morts ; où avez-vous filmé ces images ? AS : Ce sont les montagnes qui entourent Téhéran. La ville est construite dans une vallée entourée de hautes montagnes qui ont des neiges éternelles au sommet ; nous avons filmé au printemps, quand la neige commence à fondre. C’est un endroit où Soheil va souvent grimper. LVG : Le lieu choisi pour ton spectacle, l’ancienne chapelle des Brigittines, était parfait pour incarner ce mélange entre passé et futur ! AS : Oui, c’était une suggestion du festival, et j’en suis très heureuse. C’était idéal pour mêler le passé, le présent et le futur. Les murs y ont une âme… LVG : Quels sont les artistes d’aujourd’hui que tu admires particulièrement ? AS : Je ne connais pas beaucoup d’artistes internationaux. J’ai eu la chance de voir quelques travaux de Romeo Castellucci qui m’ont beaucoup impressionnée ; j’aime beaucoup Amir Rêza Koohestani ; l’année dernière au Kunstenfestival, j’ai adoré la performance de Sarah Vanhee. Bien que son travail soit assez éloigné du mien, je me sens proche de sa démarche. Et enfin, Guerrilla (collectif El Conde de Torrefiel, Barcelone), vu l’année dernière……

« Animal Farm - Theater im Menschenpark ». Quand le théâtre contemporain revisite la révolution

Galia De Backer a étudié l’histoire à Bruxelles et à Berlin. Aujourd’hui, elle fait du théâtre en pays germanophone. Galia joue Chica dans La ferme aux animaux d’Orwell revisité par Felix Ensslin (oui, oui, Enslinn, c’est bien le fils de Gudrun Enslinn de la Fraction Armée Rouge, la RAF). Galia est descendue de la scène pour nous écrire ce papier et se poser la question de ce qu’est pour elle la Révolution (avec un grand R).                                                             * Du haut de mes 26 ans, je trouve que 100 ans, c’est énorme. À vrai dire, le vingtième siècle précédant la dissolution de l’Union Soviétique, la mort de Gainsbourg et la Guerre du Golfe (et incidemment, ma naissance), m’apparaît comme un invraisemblable capharnaüm à la chronologie distendue. Certaines décennies se raccordent à des images, de la musique, des livres dans une avalanche d’associations, tandis que d’autres se présentent plus comme une masse brumeuse de laquelle émergent des dates/événements plus ou moins bien accrochés au socle du temps. Dans ces conditions, une étape entre 1917 et 2017, une sorte de relais ne me semble pas de trop pour approcher l’anniversaire dont il s’agit dans ce numéro. Il y a quelques semaines a eu lieu à Saint-Vith la première de Animal Farm – Theater im Menschenpark (La Ferme des animaux - Théâtre dans le parc humain). La compagnie germanophone belge Agora, en collaboration avec Felix Ensslin, a monté, comme le sous-titre de la pièce l’indique, non pas une adaptation, mais une discussion avec « La Ferme » de George Orwell (Auseinanderstzung mit George Orwells Farm). C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de rejouer la Guerre Froide et ses enjeux, ni de revenir sur le potentiel échec de la Révolution d’octobre, mais de comprendre la question que soulève Orwell dans son texte et de la transposer à la situation actuelle. Pour moi, cette démarche de travail fait de La Ferme des animaux un « relais » idéal entre 17 et 17. De quoi scinder la centaine, éviter le plongeon dans le flou du siècle, rebondir entre les 17 et atterrir à pieds joints ici/maintenant. Descendre de la scène, coucher sur le papier. Voilà une autre affaire. Prendre un pas de recul, écrire. Ou justement, mettre les pieds dans le plat, s’aventurer encore plus avant dans une histoire aux degrés infinis d’approche, d’analyse, de compréhension. Chica écrit son mémoire sur les groupes révolutionnaires dans des contextes communaux – Galia écrit pour l’Upjb un article sur la pièce dans laquelle elle joue. Les deux ont mon âge, mon visage, ma voix. Comment sommes-nous soudain devenues trois? FlashBack Orwell publie en 1945 ce court roman que l’on trouve encore aujourd’hui au programme des écoles secondaires belges. Avant cette date, Orwell avait rencontré des obstacles de taille quant à la publication de La Ferme des animaux. Il s’était heurté à une censure diffuse qui marmonnait : « Ce que vous disiez était peut-être vrai, mais c’était  " inopportun " et cela " faisait le jeu " de tel ou tel intérêt réactionnaire. » Certes, il comparait les dirigeants russes à des cochons, mais quel était le fond de son propos? Dans ce récit allégorique, Orwell décrit les dérives du stalinisme, et de cette manière, sauve le socialisme démocrate. Il ouvre en quelque sorte à d’autres possibles, ceux que la lecture de l’Histoire devine souvent si mal. BackToNow À partir de là, Felix Ensslin s’est demandé comment rendre actuelle la proposition d’Orwell. Dans Animal Farm - Theater im Menschenpark, un groupe de révolutionnaires « traditionnels » – ils ont vécu 68, la chute du mur, la floraison des Mc Do – sont placés dans une Maßnahme (mesure – dispositif scientifique d’expérimentation). Le personnage du chat, peu présent chez Orwell, est une scientifique responsable de cette expérience. Elle se considère comme la nouvelle révolutionnaire, loin des idéaux déchus du siècle passé (égalité, liberté, solidarité,…). Les vieux jeu veulent encore et toujours améliorer l’Homme tandis que la nouvelle vague veut surmonter les failles de l’humanité à l’aide de l’optimisation scientifique (génétique, physique, biologie, ...). Ensslin dit du chat:    « La plupart du temps, le chat de Animal Farm est lu comme un représentant de la mafia russe pendant la révolution russe, donc pour ceux qui se comportent toujours de manière égoïste, indépendamment de l’organisation politique de la société. Je me suis posé deux questions à ce sujet. Premièrement : le chat est-il si unidimensionnel ? Ne se pose-t-il pas plus l’épineuse question de la place que chacun peut trouver, en fonction de sa nature et de ses besoins, lors de changements fondamentaux ? Et deuxièmement, je me suis demandé où il existait encore une réelle capacité d’action qui ferait son chemin indépendamment des composantes politiques actuelles. C’est suivant ce fil que je suis arrivé à la science. Dans le rôle du chat, nous avons lié les deux aspects de la question. » Jubilé Où est passé la Révolution, depuis ses défaites? Qui en sont les héritiers ? Sous quelle forme, derrière quel masque fera-t-elle son apparition dans le futur ? Dans la Maßnahme, le groupe d’anciens révolutionnaires se réunit une fois de plus. Au même endroit, à la même heure, le même jour de la semaine. Cette fois-ci, ils ont quelque chose à fêter : c’est le centenaire de la Révolution d’octobre. Jones a préparé le coup, mais ça ne prend pas tout à fait…    « Squealer – (…) Il faut qu’on se prépare pour la fête ! Jones – Je ne vois rien. Elle n’est pas encore là. Boxer / Benjamin – Elle est toujours là. Polly – Elle, oui, mais l’autre, tu sais bien. Je ne la vois pas. Jones – Elle ne peut pas être là, c’est une idée. (…) Benjamin – Elle vient, elle est venue, elle viendra. Comme toujours. » Le chat, du haut de sa tour d’observation, se délecte de l’attachement à l’Histoire qu’ont les membres du groupe. Jones, descendant du fermier de « La Ferme » d’Orwell se débat entre ses ambitions en politique communale et sa volonté intangible de « faire les choses bien » ! Squealer, petit-fils de cochon, surfe sur la vague. Il a compris qu’on n’en était plus à fonder des partis et à brandir des bannières. Il préfère inscrire l’exigence de la Révolution dans le concret du corps : il fait du body-building. Polly, dont les ancêtres avaient refusé de donner leurs œufs, surveille avec zèle les droits des femmes et leur statut au sein du groupe. Boxer, qui aurait préféré avoir Benjamin comme ancêtre plutôt que cette caricature de bon prolétaire, a vécu la vraie Révolution chez elle, en Amérique du Sud. Même si elle les regarde ne rien comprendre à tout ça, elle est tout de même attachée à son rendez-vous hebdomadaire qui la renvoie à sa condition de révolutionnaire immigrée. Chica a débarqué dans le groupe il y a plus ou moins un an, elle a écrit son mémoire sur les groupes révolutionnaires dans des contextes communaux. Elle les trouve vraiment cool, presque vintage. Chacun(e) d’entre eux entretient un rapport particulier à la Grande Histoire et à son propre parcours. Chacun(e) est un acteur/trice qui passe la parole à son personnage, un personnage qui prend puis rend un corps : dehors – dedans – dehors – dedans –… Il y a toujours comme une respiration entre les niveaux (de lecture, de jeu, de rythme), de quoi faire quelques pas de côté pour regarder le tout. Puis être attiré par une autre chose. Tout aussi importante. Le groupe se lie, explose, se recompose, fond, s’agglomère à nouveau, forme une image, appelle un souvenir, se dissout, répète. L’équilibre n’est jamais parfait, il est parfois. Encore, encore, encore. 1917. Encore. Pas la même chose, bien sûr. Un souvenir plus ou moins précis…