Le frère de l’ombre

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Dans l’Autre Simenon Patrick Roegiers convoque la figure de Christian Simenon, frère de l’écrivain Georges Simenon, pour éclairer à la fois les circonstances d’une époque noire, la Deuxième Guerre mondiale, et un pan méconnu de la vie de l’écrivain belge, lui-même non dénué de zones d’ombre. Une question demeure : la fiction arrive-t-elle vraiment à se déployer sur ce fond de réalité historique ?

Dans l’Autre Simenon Patrick Roegiers convoque la figure de Christian Simenon, frère de l’écrivain Georges Simenon, pour éclairer à la fois les circonstances d’une époque noire, la Deuxième Guerre mondiale, et un pan méconnu de la vie de l’écrivain belge, lui-même non dénué de zones d’ombre. Une question demeure :…



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Petite histoire des anthologies de littérature belge. Une histoire de choix

Anthologie… Sous ses dehors sérieux , le terme se rafraîchit dès que l’on repense à la traduction de son étymon grec: «Action de cueillir des fleurs». Du scolaire recueil d’extraits au gracieux florilège, il n’y a dès lors plus qu’un pas. Dans le domaine français, le terme est davantage associé à la poésie, avec les classiques que sont devenus les volumes d’André Gide dans la Bibliothèque de la Pléiade ou celui que l’on doit à l’éphémère président de la République Georges Pompidou. Mais la Belgique est-elle aussi terre de «morceaux choisis»? Assurément!   *   Il y a mille et une façon d’utiliser une anthologie: la lire de bout en bout comme un récit fragmenté et polyphonique, y puiser des informations purement documentaires pour la réalisation d’un travail, la parcourir aléatoirement dans l’espoir d’y faire quelques belles découvertes, en prendre connaissance pour se faire une idée d’un champ, d’un genre, d’un paysage littéraire… En revanche, il n’y a qu’une seule façon de composer une anthologie: il faut choisir. L’exhaustivité est antinomique à la démarche qui consiste à prélever des pages d’un ensemble d’œuvres – les meilleures, les plus représentatives ou emblématiques, les plus pertinentes ou les plus parlantes –, fussent-elles toutes signées du même auteur ou de la même autrice. Il faut choisir. Partant sacrifier.   *   À cet égard, la démarche de sélection anthologique s’avère plus complexe que celle de la censure. Car là où la seconde use des ciseaux pour amputer, effacer, caviarder, la première consiste à émonder autour d’un corpus touffu pour le mettre en valeur. Il faut fixer le moment où faire débuter l’extrait et où le suspendre. Certes, l’opération est simplifiée quand il s’agit de proposer une suite de textes intégraux (nouvelles, contes, voire romans complets), mais là encore, se pose la question de qui élire, surtout si l’opera omnia est de haute qualité. Que privilégier et que délaisser chez un Michaux, une Yourcenar, un Maeterlinck? À moins de relever du travail de commande, soumis à des critères prédéfinis et un canevas imposé, toute anthologie reflète la personnalité de qui l’élabore, avec ses goûts, ses orientations et ses prédilections. La subjectivité, qui rime si commodément avec liberté, a peu ou prou sa part d’importance dans ce qui préside au tri particulier, puis à l’agencement général. Elle peut même ne reposer que sur l’aveu de «coups de cœur», comme l’osèrent en poésie Colette Nys-Mazure et Christian Libens. Mais pour que l’ouvrage se tienne enfin, il faut ajouter à l’empirisme et à l’impressionnisme, un ordre et une méthode. Son articulation peut ainsi être diachronique et s’étendre sur le temps long ; synchronique, s’il s’agit de cerner un mouvement (par exemple le symbolisme) ; générationnelle, thématique, générique, etc.   *   La littérature belge peut rapidement apparaître comme un casse-tête à qui entreprend de la best-offiser. Quand commence-t-elle? À une période anténapoléonienne avec le Prince de Ligne? En 1830-1831, en opportun phasage avec la naissance de l’État belge? Avec l’écriture des élégies d’Octave Pirmez dans les années 1830, mais qui, sur la volonté de l’auteur, ne seront publiées qu’à titre posthume? Dans les Wallonnades de Grandgagnage en 1845, œuvre monumentale mais oubliée s’il en est? Ou plus simplement avec Charles de Coster? Et si oui, à la parution de sa Légende d’Ulenspiegel en 1867 ou à sa mort en 1879, quand s’ébauche le processus de sa reconnaissance comme premier écrivain belge digne de cette appellation? Ou encore au banquet offert en 1883 à Camille Lemonnier qui le sacre « Maréchal des Lettres »? Puis, où commence-t-elle, cette littérature? En Flandre, avec De Leeuw van Vlaenderen (1838) de notre Walter Scott, Henri Conscience? Dans quelque localité wallonne, sous la plume d’un conteur ardennais ou d’un chansonnier du Caveau liégeois? Au cœur de la capitale, quand une équipe de jeunes échevelés lance La Jeune Belgique, revue et mouvement? Et pourquoi pas du côté de Guernesey, quand Victor Hugo scelle le contrat qui le lie à l’éditeur Albert Lacroix pour les Misérables?   *   Enfin, quel est son nom? Faut-il proposer une anthologie de… littérature belge, littérature française de Belgique, littérature belge d’expression francophone, pourquoi pas littérature Wallonie-Bruxelles? De là, ne réunirait-elle que des écrivains reconnus – par Paris, par leurs pairs? Les grandes plumes nationales autant que les talents régionaux? Exclusivement les morts? Ou rien que les vivants, au risque d’en voir passer certains avant même la publication? On le voit, le vertige saisira quiconque prétend compiler nos Lettres.   *   Mais à trop penser, on n’entreprend rien. En 1874, Amélie Struman-Picard et le célèbre historien Godefroid Kurth (qui n’était autre que son beau-frère) ne s’encombrent pas d’autant de scrupules pour publier, entre Bruxelles et Paris et «sous le patronage du Roi», leur Anthologie belge. Autant le dire d’emblée, dans cet élégant volume à la reliure verte finement ouvragée, financé par une impressionnante liste de souscripteurs de tout le pays, il ne se rencontre pas plus de trois noms que connaissent encore vaguement aujourd’hui une poignée de mordus de littérature belge. Trois sur cinquante-deux. Heureusement, l’objectif premier de l’entreprise n’était pas de faire passer à la postérité tou.te.s les élu.e.s, mais bien de «composer un bouquet poétique digne d’être offert à nos compatriotes». L’intérêt de l’ouvrage réside davantage dans la lumineuse présentation liminaire. Les auteurs y déplorent l’apathie qui règne dans le pays quand il s’agit d’accueillir une publication poétique, tant de la part de la presse que du public. Ils revendiquent l’existence d’une littérature belge dont ils font coïncider l’acte de naissance avec l’indépendance du pays, et posent la question: «Aurons-nous, oui ou non, une littérature nationale, expression de notre pensée nationale? Ou bien le peuple belge traversera-t-il l’histoire sans que nul monument littéraire apprenne à la postérité que lui aussi a vécu, souffert, pensé et levé les yeux plus haut que la terre et que les soucis de la vie positive?» Brandissant leur demi-centaine d’aèdes, Amélie et Godefroid prennent le pari de poser la première pierre d’un vaste projet qui verra le jour six années plus tard, avec l’arrivée d’une nouvelle génération.   *   En littérature comme en tout, «on n’est jamais mieux servi que par soi-même». En 1888, quatre écrivains belges reconnus – Camille Lemonnier, Edmond Picard, Georges Rodenbach et Émile Verhaeren –, illustrent l’adage avec leur Anthologie des prosateurs belges, publiée non plus avec l’appui du Palais, mais «du Gouvernement». Les membres du quarteron placent comme terminus a quo de leur sélection le plus européen des hommes de lettres né à Bruxelles, le Prince de Ligne. C’est en effet grâce aux créations des écrivains artistes qui l’ont suivi que les destins des littératures française et flamande se sont dissociés. La littérature belge, étrange Janus, est née, avec ses particularités et ses propriétés, ce qui l’éloigne du soupçon de l’imitation française. Dès lors, le travail des quatre anthologistes «n’est plus uniquement un triage de morceaux de style plus ou moins parfaits et rentrant dans le cadre des paradigmes scolaires ; c’est le cycle même des efforts réalisés par plusieurs générations d’écrivains et comme une suite d’irrécusables documents attestant l’évidence d’un immense travail intellectuel qui toujours un peu plus nous rapprocha de la pleine possession de nous-mêmes». Leur profession de foi résonne comme l’accomplissement du «Soyons nous!» lancé par la Jeune Belgique moins d’une décennie…

Indulgences

« Sans doute fallait-il être déraisonnable pour concevoir le projet de faire cohabiter autant…

Deux fils rouges de la littérature maghrébine en langue française

Le foisonnement de la littérature maghrébine est tel qu’on pourrait parler des littératures maghrébines, mais c’est une vaste question que nous n’aborderons pas. Néanmoins, on est tenté d’ordonner quelque peu cette masse et cette diversité. Ainsi, certains critiques ont choisi l’axe du temps et observé une évolution au fil des générations. Ils distinguent ceux qui, à l’époque coloniale déjà, ont choisi le français comme langue d’expression littéraire ; puis ceux qui ont participé à l’indépendance de leur pays ; ensuite, les résistants ou les dissidents qui ont contesté l’ordre imposé par des régimes dictatoriaux et les émigrés ouverts au métissage ; enfin, les enfants des révolutions qui ont ébranlé les potentats et tentent d’établir un ordre nouveau fondé sur la démocratie. Sans contester la pertinence de cette approche, nous aimerions montrer que, dès ses origines et par-delà les différences générationnelles, la littérature maghrébine de langue française trouve une forme d’unité dans la présence significative de deux figures mythiques : Œdipe et Shéhérazade. Celles-ci, confrontées au problème de la violence, lui apportent des réponses différentes : Œdipe ne peut éviter l’affrontement meurtrier ; Shéhérazade, avec patience, au cours de mille et une nuits, par la parole, le récit et la culture, transforme le face-à-face en échange amoureux. Cette approche se focalise sur la problématique des rapports familiaux. De plus, la référence aux Mille et une nuits soulève la question (dans le domaine culturel et religieux) de l’interprétation – qui nous semble capitale à l’heure où se pose de manière urgente la question herméneutique XX . En effet, les récits de la conteuse de Bagdad ont un sens crypté : ils évoquent des situations d’injustice qui amènent le sultan à modifier ses comportements machistes, à ne pas rester, comme Œdipe, dans la voie de la violence, mais à évoluer vers la sagesse. Nombre d’œuvres, et parmi les plus connues et les plus fortes, laissent paraître – parfois en filigrane – des frères de Laïos, d’Œdipe et de Chahriar, ou des sœurs de Jocaste, de Shéhérazade et de Dinarzade. Le but du parcours – qu’ils atteignent ou non – est l’individuation XX que l’être humain (spécialement l’artiste) recherche. Leur cheminement se déroule dans une société où s’exerce l’autorité patriarcale. Certes, celle-ci est actuellement fissurée et en mutation, comme le montre bien la saga d’Alice Zeniter, L’art de perdre, dans laquelle le père, le fils et la petite-fille ont une conception très différente de l’autorité. Cela complexifie encore l’image de la relation œdipienne dans la littérature maghrébine. La référence à Œdipe et à Shéhérazade signale une fidélité à la tradition, mais elle manifeste aussi une grande créativité dans la réécriture. Elle atteste une posture d’écrivain(e)s engagé(e)s, voulant faire évoluer l’homme et la société. Car, même si, parmi les auteurs maghrébins, on compte nombre de stylistes, on ne trouve guère de purs esthètes. L’importance des questions sociétales les a sommés de prendre parti. Comme Shéhérazade, ils mettent leur art au service de grandes causes. Œdipe La référence à Œdipe apparaît dans des œuvres dénonçant le pouvoir sous toutes ses formes : au sein de la famille, du système colonial, de l’économie, de la politique, de la société, de la culture, de la religion, de l’armée – que celle-ci soit d’occupation ou de libération. L’affrontement du fils avec le père ressurgit quand l’intellectuel maghrébin fréquente la société coloniale ou le milieu littéraire parisien, comme le professeur d’archéologie tunisien du Pharaon, le narrateur du Monde à côté, le jeune pharmacien de Ce que le jour doit à la nuit. La coupure douloureuse du cordon ombilical par rapport à la mère patrie a été nécessaire à ceux qui ont voulu garder leur liberté de parole, comme Dib, Memmi, Chraïbi, Ben Jelloun, Mimoni, Khadra, Yacine, Laroui. Qu’ils situent leurs récits en Algérie (Le serment des barbares), au Maroc (Les tribulations du dernier des Sijilmassi), en Tunisie (Le Pharaon), en Afghanistan (Les hirondelles de Kaboul, Bilqis), en Irak (Les sirènes de Bagdad), en Angleterre (La femme la plus riche du Yorkshire), à Paris (Combien veux-tu m’épouser ?, De quel amour blessé, La réclusion solitaire, Gare du Nord), à Lyon (Le gone de Chaâba), à Bruxelles (L’insoumise de la porte de Flandre) ; qu’ils traitent du patriarcat (La répudiation, Le passé simple, La civilisation, ma mère !… ), de la condition de la femme (Ombre sultane, Jeux de rubans, Questions à mon pays), de l’immigration (Les boucs, Topographie idéale pour une agression caractérisée), de la radicalisation (Héros anonymes), du terrorisme (Tuez-les tous, Héros anonymes, Khalil) ; qu’ils écrivent des autobiographies plus ou moins romancées (La trilogie Algérie, La statue de sel, Ce que le jour doit à la nuit, Le rouge du tarbouche, L’écrivain), des romans de formation (Une année chez les Français, Le fils du pauvre), des ouvrages plus objectifs (Jours de Kabylie) ou, au contraire, des récits aux allures de fables ou de contes (Une peine à vivre) ; qu’ils adoptent un point de vue psychologique, voire psychanalytique (L’enfant de sable, L’escargot entêté, La nuit sacrée, Meursault, contre-enquête), sociologique, voire anthropologique (Les Bédouins du Polder) ; qu’ils manient l’humour (La Mecque Phuket) ou restent dans le tragique (Au commencement était la mer) ; qu’ils soient des polars (Une enquête au pays, Qu’attendent les singes, L’attentat), qu’ils flirtent avec le fantastique (La vieille dame du riad) ou la science-fiction (2084. La fin du monde), d’innombrables auteurs maghrébins abordent l’individuation en se référant au mythe d’Œdipe.  Cela caractérise les littératures algérienne, marocaine, tunisienne, mais aussi celle qui est née sous la plume des immigrés. Le meurtre du père L’assassinat du géniteur est parfois simplement voulu ou fantasmé, comme dans Le passé simple. Il peut être également symbolique : dans Jour de silence à Tanger, un vieil homme s’éteint parce que ses enfants l’abandonnent. L’assassinat du Maréchalissime, parangon du père, est le thème d’Une peine à vivre.  Beaucoup de livres de Laroui sont hantés par le spectre de Hassan II. De manière générale, et spécialement dans Les tribulations du dernier des Sigilmassi, Laroui, dont le père est mort en prison, dénonce les exactions policières et militaires ainsi que le pouvoir du Makhzen. Ce thème revient dans Le jardin des pleurs de Mohamed Nedali où une jeune fille giflée indûment par un policier ne peut obtenir réparation. Le constat par le fils de la déchéance paternelle équivaut à un meurtre, dans Ce que le jour doit à la nuit. La descente aux enfers du père commence quand ses récoltes sont brûlées par le caïd, figure paternelle mortifère. Elle se poursuit quand il se met à boire et abandonne son fils à son frère. Elle s’achève quand son fils le voit ivre, expulsé d’un bar. Au pays présente une autre forme de parricide : le père, après avoir travaillé en Europe, construit au Maroc une vaste maison pour accueillir toute sa famille, mais personne ne répond à ses invitations et il se laisse mourir. Le meurtre du fils L’infanticide, réel dans Le passé simple, est souvent symbolique. Nombre de fils sont détruits psychologiquement par leur géniteur, comme dans La répudiation ou Timimoun. C’est également à une sorte de meurtre qu’équivaut, dans L’écrivain et dans La rose de Blida, l’enrôlement du fils par le père dans l’armée. L’enfant est retiré à sa famille, séparé de sa mère et contrarié dans sa vocation d’écrivain. Heureusement, il fait preuve de résilience, comme le jeune paysan Medhi, interne au lycée Lyautey dans Une année chez les Français. Mais, dans l’un…