Le dossier Hubert Nyssen

RÉSUMÉ

Entretien entre Hubert Nyssen et Jacques De Decker

À PROPOS DE L'AUTEUR
Jacques De Decker

Auteur de Le dossier Hubert Nyssen

En 1963, l'année où il entame ses études de philologie germanique à l'ULB, Jacques De Decker débute comme acteur : il joue le rôle de Monsieur Martin dans La Cantatrice Chauve au Théâtre de l'Esprit Frappeur, qu'il vient de fonder avec son ami Albert-André Lheureux rencontré à l'Athénée de Schaerbeek (où ils eurent pour maître commun Paul Delsemme). Théâtre et connaissance des langues : les deux se rejoindront lorsque six ans plus tard se jouera dans la même petite salle une première pièce qu'il aura adaptée de l'anglais. Entre-temps, il aura achevé sa licence avec un mémoire (écrit en néerlandais) sur le théâtre de Hugo Claus qui paraîtra en 1971 à Anvers sous le titre Over Claus' Toneel. Théâtre, plurilinguisme, approche critique : les trois premières bases d'une activité sont jetées. Il va largement développer son activité d'adaptateur de pièces des répertoires anglo-saxon, néerlandais, allemand, et transposer, au cours des décennies qui suivront, plus de soixante ouvrages, tant classiques que contemporains, et pour la plupart des scènes belges : Rideau de Bruxelles, Théâtre National, Parc, Galeries, Atelier Théâtral de Louvain, Poche, en se focalisant particulièrement sur la compagnie Théâtre en Liberté et le Théâtre de la Place des Martyrs, animés par Daniel Scahaise, pour qui il adapte Shakespeare, Goethe, Wedekind, Schnitzler, Brecht, même Tchekhov et Strindberg. Sa collaboration avec le metteur en scène Jean-Claude Idée est très régulière également : ils présenteront notamment, en 1998, à l'occasion du jubilé de Goethe, Egmont dans la cour de l'hôtel de ville de Bruxelles. Idée montera aussi des pièces originales de De Decker : Tranches de dimanche en 1988, Le Magnolia en 2000 qui depuis a été joué au Théâtre Hébertot à Paris ainsi qu'au Théâtre National de Riga. Petit Matin, sa première pièce, l'auteur l'aura montée lui-même en 1976 au Rideau de Bruxelles (Claude Etienne ne la lui avait-il pas commandée?). Ses autres mises en scène, il les a réalisées au Théâtre Poème, dirigeant Monique Dorsel dans des textes de Joyce, Claire Lejeune, Pierre Mertens. Dans le même théâtre sera créé Petit Matin, Grand Soir, développement de la pièce inaugurale. Jeu d'intérieur y sera également montée, après avoir été créée à l'Esprit Frappeur et avant d'être à l'affiche du Festival d'Adélaïde en Australie. Entre-temps, De Decker poursuit son travail d'enseignant : à l'École d'Interprètes Internationaux de l'Université de Mons (langue et culture néerlandaises), à l'Insas, au Conservatoire de Bruxelles (histoire du Théâtre) et dès 1971, à l'invitation de Jean Tordeur qui l'accueillera, vingt-sept ans plus tard, à l'Académie, il devient critique littéraire au journal Le Soir, auquel il est toujours attaché, et dont il dirigea le service culturel de 1985 à 1990. Ses articles seront réunis dans plusieurs ensembles critiques : Les années critiques. Les Septantrionaux en 1990, En lisant, en écoutant en 1996, La brosse à relire en 1998. En 1985, il débute dans le roman avec La Grande Roue, qui est encore un hommage au théâtre, puisqu'il a pour modèle La Ronde de Schnitzler. Pol Vandromme en écrira : « Schnitzler avait la cruauté dans les yeux, Jacques De Decker a le visage de la miséricorde. » Le livre sera retenu dans la première sélection du prix Goncourt. Comme le roman suivant, Parades amoureuses, en 1990, figurera dans celle du Renaudot. En 1996, Le Ventre de la baleine s'inspirera des interrogations laissées par l'affaire Cools. Ce roman est le signe manifeste du souci qu'a De Decker de l'investissement des écrivains dans les questions d'actualité. C'est dans cet esprit qu'il relance avec l'éditrice Luce Wilquin en 1998 la revue Marginales, créée en 1945, année de sa naissance, par Albert Ayguesparse à qui il avait succédé à l'Académie. Jacques de Decker est décédé en avril 2020.

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Marguerite Yourcenar était une épistolière prolixe. L’époque, ses nombreux voyages, sa vie d’exilée sur son île états-unienne étaient propices à la correspondance. Nombre de ses lettres ont déjà paru en volume [1] , il en paraît encore et probablement qu’il en paraîtra davantage quand ses archives, tenues secrètes jusqu’en 2037, selon sa volonté de fer, seront enfin dévoilées. Volonté de fer : Yourcenar blindait sa correspondance comme son œuvre. Ses lettres à Emmanuel Boudot-Lamotte «  n’ont pas été déposées par l’écrivaine dans les archives de la bibliothèque Houghton avec les correspondances destinées d’emblée à la postérité  », comme le rappellent Elyane Dezon-Jones et Michèle Sarde, dans l’avant-propos. D’ordinaire, Yourcenar doublait sa correspondance sur papier carbone ; dans ce cas, il semblerait que non. Les lettres originales ont été découvertes par le neveu d’Emmanuel Boudot-Lamotte alors qu’il mettait de l’ordre dans la succession de son oncle. Emmanuel Boudot-Lamotte a été membre du comité de lecture des éditions Gallimard de 1931 à 1944-45, traducteur et surtout photographe indépendant. Chez Gallimard, il a notamment participé à la publication du premier livre de Raymond Queneau, Le Chiendent . Il collaborera avec Marguerite Yourcenar après qu’elle a quitté Grasset pour Gallimard. La guerre terminée, alors qu’il dirigeait les éditions J.B. Janin, ils bâtiront ensemble plusieurs projets  – dont une anthologie de nouvelles américaines contemporaines et un Trésor d’art français (compilant et commentant des œuvres de peintures françaises conservées dans les musées américains). Nous en suivons l’élaboration et les avancées à travers les lettres de Yourcenar. Celles de Boudot-Lamotte n’ont pas été retrouvées, seuls quelques brouillons sont donnés à lire. La faillite de l’éditeur aura raison de ces projets.Tout autant que professionnelle, la relation entre Emmanuel Boudot-Lamotte et Marguerite Yourcenar s’avère amicale. Elle envoie des produits introuvables en France pendant la pénurie d’après-guerre, s’inquiète de leur bonne réception, de la santé de sa mère. En échange, il lui envoie des livres, la littérature française de ce moment-là, qu’elle commente, critique.Professionnellement, très travailleuse, elle se montre aussi dirigiste, intraitable, opiniâtre, réussissant à imposer ses volontés, de lettre en lettre ; et ce, toujours dans une langue très élégante… L’épisode de l’anthologie en est un bel exemple. Elle parvient à évincer Florence Codman qui avait débuté le travail de sélection avec elle et à en devenir la seule organisatrice et traductrice, aidée par sa compagne Grace Frick…Outre le plaisir toujours renouvelé d’être en compagnie d’une auteure qui connaît les circonvolutions et les paradoxes de l’âme humaine («  Ne pas changer, loin d’être toujours une preuve de fidélité envers soi-même, constituait parfois une transformation aussi grave et plus insidieuse que le changement  »), l’intérêt particulier du livre provient de ce qu’il aborde une période sur laquelle elle est restée discrète : la guerre et son après. «  Contrairement à ce que l’on croyait, faute de documents, les années 39-49 sont fécondes et l’exil en Amérique, loin de provoquer épuisement de l’énergie créatrice et désarroi permanent, est utilisé au maximum par Yourcenar pour se lancer dans des formes d’écriture nouvelles ou en continuité avec ce qu’elle avait précédemment entrepris.  » (Avant-propos). La correspondance est intense depuis l’embarquement de l’écrivaine à Bordeaux en 1939, elle s’interrompt pendant le conflit mondial, pour reprendre, très nourrie, à partir de 1945. Après 1948, quand la maison J.B. Janin aura déposé le bilan, elle se tarira. À la fin du volume sont ajoutées quelques lettres de Yourcenar à Madeleine Boudot-Lamotte, la sœur d’Emmanuel, notamment à propos de l’édition allemande des Mémoires d’Hadrien . L’ultime missive, datée du 24 avril 1980, parle à cette dernière, en ces termes, de Grace Frick, décédée quelques mois plus tôt : «  Depuis huit ans, la situation où se trouvait Grace (cancer généralisé) était si cruelle, que, malgré quelques magnifiques et brèves remontées, on ne pouvait plus lui souhaiter de vivre.  » Triste, beau et réaliste. Michel Zumkir   [1] Lettres à ses amis et quelques autres , Gallimard, 1995 et coll. « Folio », n° 2983, 1997 ; D’Hadrien à Zénon, Correspondance 1951-1956 , Gallimard, 2004 ; « Une volonté sans fléchissement ». Correspondance 1957-1960 (D’Hadrien à Zénon, II), Gallimard, 2007 ; « Persévérer…