Jacques Crickillon (1940-2021) est l’auteur d’une œuvre importante qui compte plus d’une trentaine de volumes. Sa poésie multiforme ne recherche pas l’effet et son lyrisme baroque est tout à l’opposé de l’épanchement. Le poète procède par cycles sur des thèmes comme la révolte existentielle et la crise de notre civilisation. Il renoue avec une thématique majeure de la poésie : le chant amoureux. Dans un perpétuel dialogue entre la réalité et l’imaginaire, Crickillon a le plus grand souci « d’atténuer les frontières entre le récit et l’invention poétique ».
De 1978 à 1991, L’Arbre à paroles a publié un certain nombre de ses livres, qui seront réédités en trois volumes. Le Cycle de la nuit est le premier d’entre eux. Suivront en 2025 le Cycle de la montagne et le Cycle de l’amour et de la guerre. Chaque volume s’accompagne de reproductions de peintures à la gouache que réalisa Crickillon entre 2008 et 2020.
Auteur de Le cycle de la nuit
Jacques CRICKILLON, Le cycle de la nuit. Régions insoumises, Approche de Tao, Nuit la neige, Létamorphos XIII, Ténébrées, Introduction et postface d’Éric Brogniet, Arbre à paroles, 2024, 358 p., 20 €, ISBN : 978-2-87406-743-3 Indien des chants d’amour, de la pensée cosmique et des guerres poétiques, Jacques Crickillon (1940-2021) est l’auteur d’une œuvre rare, séditieuse, insoumise. Ce voyageur en rupture de ban, cet infatigable arpenteur des énigmes de l’Être a construit et déconstruit une œuvre tout à la fois poétique, en prose, théâtrale qui procède par cycles comme l’analyse Éric Brogniet dans sa somptueuse préface. Le cycle de la nuit, réédition en un volume d’œuvres poétiques publiées par L’Arbre…
Marcher loin des écrans fait de nous des oiseaux
Poète voyageur « aux semelles de vent », arpenteur de la poésie du cosmos, grand errant du verbe sauvage, Timotéo Sergoï n’a jamais pactisé avec les écrivains institutionnels, cotés en bourse, avec les assis et les fondés de pouvoir du poétique. Dans son dernier recueil poétique Marcher loin des écrans fait de nous des oiseaux , il délivre un protocole d’action poétique qui prend la forme d’un texte s’étirant sur 801 kilomètres. L’exergue condense la visée du voyage géographique, esthétique et politique : « 801 km de poésie / pour un marchand de yaourt / qui a voulu changer le monde ». Rupture avec le joug des routines, opération de guérilla, plastiquage des formes d’oppression du néolibéralisme et du dire-penser qu’il impose… marchant durant deux mois et demi, de Namur à Brive-la-Gaillarde où vivent ses petits-enfants, Timotéo Sergoï a épousé le cycle circadien, longé la Meuse, dormi à la belle étoile, chez l’habitant, déposé sur huit cents kilomètres des textes qu’il a collés sur les murs, les fenêtres, sur des arrosoirs, des containers ou des panneaux routiers. Le recueil comporte les photos des bancs, des plaques d’égout, des portes, des poteaux, des pneus, des bulles de verre, d’un Christ en croix sur lesquels le poète errant a gravé ses pensées, des éphémérides de l’insurrection, de la désobéissance qui font songer à la poésie action, à la poésie-éveil de Serge Pey, à ses bâtons, avec une touche de puissance vaudou à l’écoute des mondes invisibles. L’ode à la Terre, à sa beauté est d’autant plus vibrante qu’elle s’élève sur une Terre saccagée par l’Anthropocène. La Terre est morte, mes cieux,Blessée par la lame du tracteur,Soignée à l’eau de Javel,Nourrie d’insecticides,D’alcools et de mégots, Piquée d’ondes lascives. Charleville, Reims, Troyes, Nevers, Peyrat-le-Château, Tarnac, Tulle, Aurillac… autant de stations, de traversées de villages, de bois, de prairies, autant de poèmes libertaires gravés, saupoudrés, semés, autant de rencontres avec l’ombre de Rimbaud, avec Raoul Vaneigem, avec Miss Univers, avec le langage des étoiles, des champs, du « grand bal des montagnes bleues », histoire de dénouer les lacets de la rage de se heurter à un monde pollué, à une nature saccagée, histoire de haler des mots sauvages le long des fleuves, le long d’un monde qui s’effondre. Le monde s’écroule, le monde se noie et nous tentons de sauver le peu que nous possédons. Une rame. Une bouée de caoutchouc. Une botte. C’est vain (…) J’écris sur le poteau : « Je veux quitter le sang des capitales ». Il y a aussi la présence en filigrane d’Emmanuel Faber, ex-PDG de Danone qui a été évincé, la complicité entre le langage des arbres, des oiseaux, des lézards, de l’eau et le langage du poète, le choix de la désertion loin d’un monde « carnassier », la souche d’arbre qui accueille un texte signé Timotéo après 252 kilomètres de marche. Tout le monde se lève pour la Terre,Pour l’eau, les zèbres, les mainates,Les coquelicots et les lombrics,Les neiges mortes et les phosphates.Nos vies ont goût de guérillas.Pas d’actions chez les actionnaires. Leur chaises sont en plein soleilEt le Soleil a goût se rouille Le soulèvement de la Terre passe par celui de mots qui, ôtant la rouille des corps, des consciences, des désirs, nous reconnectent avec les formes du vivant, avec l’énergie d’un langage traversé par la vie. Timotéo Sergoï expérimente un nouvel écosystème poétique, au plus loin de vocables sous contrôle, ogémisés. Véronique Bergen Plus d’information Timotéo Sergoï a marché trois mois durant, dormi dehors souvent, croisé des sourires et des colères, pris des nouvelles des voisins. Nous sommes tous voisins ici, puisque venus à pied dans ce café, cette forêt ou ce marché. Pourquoi a-t-il marché ces 801 km ? Pour porter un cadeau d’anniversaire à ses petits-enfants. « Car il s’agit avant tout d’habiter poétiquement le monde » disait Hölderlin, chaque jour, les marqueurs sont sortis pour écrire sur les murs, les plaques d’égout ou les fenêtres. Mot d’amour ou réflexion sur le monde d’aujourd’hui, sur cette insupportable pression des porte-monnaies, sur nos poches sous les yeux. La marche finit en danse pourvu…