Le Carnet et les Instants - 197 - 1er trim. 2018 - Le carnet et les instants 197

Sommaire

  • Édito
    La moitié du ciel
    Nausicaa Dewez
  • Magazine
    À la une
    Les premiers romans
    Michel Torrekens
    Anniversaire
    Le premier prix Goncourt belge a 80 ans
    François-Xavier Lavenne
    Portrait
    Brève histoire d’une écriture
    Michel Zumkir
    Métiers du livre
    Isabelle Fagot, attachée de presse et passeuse de culture
    Nausicaa Dewez
    Rencontre
    Plier, déplier, n’en jamais finir de découvrir avec Bernadette Gervais
    Victoire de Changy
    La littérature en lieux
    Portes et livres ouverts, les roulades littéraires corsées
    Michel Torrekens
    Vues d’aileurs
    Le Grand Alexandre
    Sylvie Payet
  • Brèves
  • Bibliographie voir web
  • Recensions voir web

    48 pages


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Wallon ou portugais? Pôve tièsse, de Guy Cabay (1978)

Guy Cabay (°1950) est musicien, compositeur, chanteur, musicologue et spécialiste de jazz. En 1978, il écrit les paroles et les musiques de Tot-a-fêt rote cou-d’zeûr, cou-d’zos, un album de chansons en wallon liégeois aux sonorités brésiliennes. Ce mélange surprenant mais savoureux lui offre un succès considérable et lui permet d’enchaîner notamment deux autres albums en wallon : Li tins, lès-ôtes èt on pô d’ mi (1979) et Balzin’rèyes (1986), qui seront suivis par un Bièsse Tof en 1999. Parmi toutes les compositions qu’il a réalisées, une chanson a incontestablement marqué les esprits : Pôve tièsse, que l’on désigne également sous le titre Amon Laca, en raison de son refrain lancinant.  Ce n’est pas seulement parce qu’elle a connu un grand succès que nous avons choisi de la retenir ici. Avec Pôve tièsse *, en 1978, c’est une réelle modernisation de la chanson wallonne traditionnelle que Guy Cabay propose, alors qu’elle restait cantonnée dans le genre lyrique ou humoristique. XX Pôve tièsse,  ou Amon Laca    XX     A fwèce di m’èscoler pace qu’i m’ faléve tot k’nohe po viker, on m’a hati l’ cèrvê. N’a-st-ine årmêye d’îdèyes qu’ minèt bacara sins s’arèster. Dj’a l’ tièsse come on sèyê. Refrain: Dji creû qu’il î fêt co pé, ’l î fêt co pé qu’amon Laca, qu’amon Laca, ’l î fêt co pé, ’l î fêt co pé. Dji creû qu’il î fêt co pé, ’l î fêt co pé qu’amon Laca, qu’amon Laca, qu’amon Laca. Ah, qué trikebale ! Ah, qué vôtion ! Ah, qué micmac ! Ah, qué bazår ! Ah, qué cayon ! Ah, qué mahis´ ! I m’ sonle qui m’ tièsse a mèzåhe d’on bon côp d’ ramon, Bon côp d’ ramon, bon côp d’ ramon ! Pôve tièsse, A t’ voleûr trop bin fé, on t’a gourdjî disqu’a t’ fé pèter D’ine kiriyèle d’a-målvå. Faléve tot-ahopler, tot-èton’ler, n’ rin lèyî passer. Faléve infler m’ cèrvê. Èco on pô pus´, èco on pô pus´ ! Refrain   (Lexique XX )                                                                       * D’emblée, le titre , bien qu’il donne peu d’informations au lecteur, suscite son apitoiement à l’égard d’une tièsse. L’absence de déterminant apporte un sentiment affectif à l’exclamation et contribue à faire de cette tièsse quelque chose d’abstrait. Le premier couplet nous permet de comprendre la raison de cet apitoiement : l’acharnement à instruire l’auteur. La tournure A fwèce di laisse penser que cette action a été entreprise au prix d’un large effort et de manière récurrente. Le choix de m’èscoler, a une valeur plus forte que ses synonymes acsègnî ou aprinde: plus qu’un acharnement à instruire, l’auteur estime qu’il s’agit d’une tentative d’endoctrinement. Évidemment, ce terme suscite de nombreuses connotations liées à l’école et semble désigner subrepticement les coupables. La justification de cette action est, elle-même, illogique: pace qu’i m’ faléve tot k’nohe po viker. L’objectif à atteindre est irréalisable, tandis que la récompense, déjà acquise, n’est pas condition de la réalisation de cet objectif. Cette action répétée et contraignante a eu comme effet premier de hati l’ cèrvê. Ce verbe est issu du lexique culinaire et signifie « havir », se dessécher sans cuire en dedans. L’image métaphorique, comparant les enseignants à de mauvais cuisiniers, montre la parfaite incompétence de ceux- ci. Ils ne sont d’ailleurs désignés que par un on impersonnel, vague et informe. Ils gâchent, par leur mauvaise pratique, une pièce de choix. Le recours à la métaphore montre le peu d’estime que l’auteur a envers ce que les endoctrineurs ont fait de son esprit. En outre, la structure syntaxique de ce vers ne respecte pas vraiment les règles grammaticales. Là où on attendrait la présence d’un adjectif possessif, qui manifesterait le rapport de possession sur cette partie du corps, le lecteur trouve une structure pronominale. Et cette structure rappelle le français se havir qui ne peut être employé que pour qualifier une viande. Ainsi, l’idée de distanciation et la dévalorisation de cette partie du corps en sont renforcées XX . Dès la deuxième partie du premier couplet, on entame la description des conséquences de cette action passée. C’est la violence des affrontements d’idées qui surgit d’abord, laissant voir un esprit torturé, en proie aux contradictions. Le choix du terme årmêye témoigne également d’une absence de discernement, d’une inclinaison à suivre les consignes sans se poser de questions. L’expression miner bacara désigne un vacarme immense. L’étymologie exacte de ce terme renvoie à un jeu de cartes, mais c’est également par cette expression qu’on faisait référence à un homme qui faisait du tapage en rentrant saoul chez lui. La confusion et le trouble des idées ne peuvent donc amener vers quelque chose de constructif… Ce conflit incessant et rude est donc parfaitement inutile, en plus d’être ininterrompu. L’auteur conclut ce premier couplet sur une expression, encore souvent employée sous la forme d’un belgicisme, qui désigne par une comparaison, l’état dans lequel cet acharnement l’a placé : une migraine causée par le verbiage lassant d’un interlocuteur. C’est donc avant tout le son assourdissant de toute cette confusion qui perturbe le narrateur. Le refrain, quant à lui, fait appel à une structure et un lexique simples, mais il est opacifié à plus d’un titre. L’allitération des k confère une sonorité bien particulière, apparentant cette phrase à une formule incantatoire. L’alternance de voyelles ouvertes et nasalisées (a et on), l’inversion et la répétition des termes tendent à créer une isophonie avec la langue portugaise. Le portugais compte la nasalisation et l’allongement vocalique parmi ses traits marquants. Le wallon, lui aussi, se distingue du français par ses voyelles longues. L’auteur invite à comparer le désordre de son esprit à celui de chez Laca XX . Ce référent, bien qu’il soit connu de l’auteur, n’est pas partagé par le lecteur. La comparaison est péjorative. Et cet aspect négatif, qui est finalement la seule donnée que le lecteur connaît de Laca, l’amène à envisager ce lieu sous un aspect plus sombre. Le deuxième couplet désigne par divers termes quasi synonymiques l’état de dérangement de l’esprit de l’auteur. La répétition de la structure syntaxique aide le lecteur à comprendre qu’une même idée est répétée, bien que les termes désignent à la fois un brouhaha auditif ou visuel. Mais, alors que cette répétition aide le lecteur à comprendre l’idée générale, elle reproduit et double elle-même ce désordre. Le troisième couplet reprend la plainte à la pauvre tête, en s’adressant directement à elle. Cette fois, le terme pôve est doté d’une seconde signification, dépréciative, celle du manque de ressources suffisantes. Encore une fois, l’auteur cherche à se distancier de cette tête trop pleine. Avec gourdjî disqu’a t’ fé pèter, le lecteur perçoit la profusion d’informations, le souhait de gaver la tête jusqu’à satiété, et même au-delà. D’ine kiriyèle d’a-målvå, tournure plus rare, désigne des choses qui ne servent à rien. Le terme ahop’ler comporte une connotation particulière : celle de l’amas du gain. Avec èton’ler, l’auteur se considère non plus comme un être doué de réflexion, mais comme un simple contenant parfaitement hermétique. N’ rin lèyî passer complète la donne. L’amoncellement de choses, la constitution d’un trésor, progressivement, perd sa valeur dès lors qu’on ne souhaite pas en profiter, que l’accumulation de connaissances ne sert pas au partage ou à la valorisation. En conclusion, l’auteur n’en retient plus l’objectif principal. L’apprentissage n’est plus qu’un prétexte à faire infler l’ cèrvê. Le thème dépeint est un thème récurrent dans la…

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Le prix Albert Ier. Un prix littéraire français réservé aux Belges [Histoire]

Le 17 février 1934 , une vague d’émotion traversa l’Europe: le Roi Chevalier, Albert Ier, était mort dans un accident d’alpinisme à Marches-les-Dames. Les hommages se multiplièrent et, parmi eux, un prix littéraire fut créé à Paris. L’initiative en vint d’une maison d’édition, Grasset. Celle-ci avait en effet perçu l’intérêt d’exploiter à la fois l’émotion engendrée par ce décès inattendu et la force symbolique de l’image internationale du souverain. Les journaux belges annoncèrent, dès le mois de mars, que l’éditeur avait commandé une biographie du roi à Louis-Dumont Wilden (Albert Ier, Roi des Belges), biographie qui parut en juillet 1934. Au mois de mai 1935, Grasset publia un ouvrage de taille plus modeste, Vie et mort d’Albert Ier de Pierre Daye. À l’occasion de cette parution, l’éditeur annonça le lancement d’un « Grand prix annuel de littérature » doté de 14.000 francs belges. Ce prix Albert Ier serait réservé exclusivement aux écrivains belges et serait arbitré par un « jury composé d’une série d’écrivains de choix ». * La révélation des noms des membres du jury joua un rôle essentiel dans la publicité du prix et la presse belge, manifestement flattée, ne cessa de les répéter. Louis Barthou, ministre des affaires étrangères français et membre de l’Académie française, était annoncé comme Président du jury. L’Académie était aussi représentée par François Mauriac et Paul Valéry. Pol Neveux de l’Académie Goncourt y siégeait ainsi que des écrivains prestigieux comme Paul Claudel, Colette, Georges Duhamel, Louis Gillet, Jean Giraudoux, Daniel Halévy, André Maurois et Edmond Jaloux. À la mort de Louis Barthou, qui fut assassiné en octobre 1934, Gaston Doumergue le remplaça à la présidence. La Belgique se sentit également honorée d’apprendre que le prix serait remis dans la dernière semaine de novembre, c’est-à-dire durant la période-clé de l’année littéraire, au milieu des grands prix d’automne, juste une semaine avant le Goncourt. Pour le monde littéraire belge, ce nouveau prix ouvrait la possibilité aux écrivains, mais aussi aux éditeurs nationaux de recevoir plus facilement une reconnaissance au-delà de la frontière et de percer sur le marché français. Cette tête de pont de la littérature belge à Paris apparaissait d’autant plus nécessaire que, comme le dit l’un des éditorialistes du Soir, les grands prix littéraires d’automne « sont réservés, pour la plupart, à des Français XX ». Cette idée que les Belges sont exclus des compétitions littéraires parisiennes les plus prestigieuses, comme le Femina, le Renaudot et le Goncourt, est alors largement partagée et la raison d’être du prix Albert Ier semble être de corriger ce manque. Or, rien dans le règlement du Goncourt n’a jamais empêché les écrivains étrangers d’être candidats et, le cas échéant, de remporter le prix. Cependant, il semble que, parce qu’aucun Belge n’avait jamais remporté un grand prix littéraire français, le monde littéraire belge s’était persuadé qu’une telle victoire était impossible. Cet état de fait était accepté sans remise en cause ni indignation particulière. Les Belges se contentaient qu’une petite cage leur soit réservée dans le grand zoo des prix littéraires de l’automne parisien. Seules quelques voix divergentes se firent entendre, comme celle de Paul Prist dans L’indépendance belge XX , qui s’inquiéta de voir les écrivains belges marginalisés. A posteriori, on comprend en effet qu’un tel prix risquait de consacrer le problème qu’il prétendait résoudre. Puisque les auteurs belges auraient une compétition qui leur serait réservée, les jurys des autres prix risqueraient d’être moins enclins à les mettre dans leur sélection et l’ouvrage du lauréat n’aurait aucune chance de recevoir le Goncourt une semaine plus tard. L’annonce de ce prix suscita pourtant l’enthousiasme dans la presse belge comme dans la presse française, qui salua la « généreuse initiative » de Bernard Grasset. Plus de quatre-vingts ouvrages furent reçus par le jury. Au terme des délibérations, Robert Vivier l’emporta, pour deux de ses romans : Folle qui s’ennuie et Non. « Pour un écrivain belge, il n’est qu’une consécration, celle des grands confrères français », déclara le lauréat XX . * Si le prix Albert Ier est aujourd’hui totalement oublié, cette victoire eut un grand retentissement dans les médias et Robert Vivier fut reçu au palais par Léopold III. Pendant plusieurs années, chaque fois que son nom fut cité, le prix Albert Ier y fut accolé. Après cette première édition couronnée de succès, le prix Albert Ier en connut une seconde. Très vite, la mécanique du prix sembla se gripper. Dès le mois de mars, le jury annonça que les livres reçus en 1934 seraient de nouveaux candidats pour 1935 – ce qui est étrange pour un prix annuel. Au début du mois de novembre, à quelques semaines de la date de remise théorique, il fut communiqué que le jury allait intégrer des écrivains belges – Maurice Maeterlinck, Franz Hellens et Maurice Wilmotte –, tandis que Paul Claudel et Gaston Doumergue le quittaient. Le prix ne fut finalement remis qu’avec un important retard, en février 1936. Il récompensa Le voyage aux Îles Galapagos d’Éric de Haulleville et, si le prix reçut de nouveau une belle couverture médiatique, plusieurs journalistes laissèrent entendre que son sort était probablement scellé. Comment expliquer cette subite désaffection envers le prix Albert Ier ?  Pour les Français, cette compétition présentait l’intérêt de découvrir une autre littérature et de nouveaux auteurs. À la deuxième édition, cet exotisme avait disparu. En outre, le prix perdit sa spécificité lorsque des écrivains belges entrèrent dans le jury. Il n’était alors plus cette compétition dans laquelle des écrivains français de renom, supposés neutres par rapport aux amitiés, aux querelles et aux questions belgo-belges, viendraient départager des écrivains belges et permettre à l’un d’entre eux de monter à Paris. On dit aussi que Bernard Grasset, qui revenait à la tête de sa maison d’édition, n’avait jamais réellement aimé cette idée d’un prix fondé sur la nationalité. Surtout, en 1936, les Belges s’apprêtaient à sortir de leur petite cage pour entrer dans la grande arène du Goncourt. Avec la polémique autour de Mariages de Charles Plisnier, qui occupa la fin de l’année 1936 et toute l’année 1937 *  XX , il devint clair que les Belges ne voulaient plus se contenter d’une compétition séparée. © François-Xavier Lavenne, revue Le Carnet et les Instants, n° 205, 1er trim. 2020 *   Voir web: F.-X. Lavenne « Le Premier Prix Goncourt belge a 80 ans», Le Carnet et les Instants, 1er trim. 2018,  prix Goncourt 1937 attribué conjointement à Mariages et à Faux Passeports de Charles Plisnier.  Richard Dupierreux, « Amitié française et Lettres de Belgique », dans Le soir, 1er décembre 1934, p. 1. Paul Prist, « À propos du prix Albert », dans L’indépendance belge, 4 juillet 1934, p. 6. Propos rapportés notamment dans Comoedia, 30 novembre 1934, p. 1. Pour l'attribution du prix Goncourt 1937 conjointement à Mariages et à Faux Passeports par Charles Plisnier, voir F.-X. Lavenne « Le premier prix Goncourt belge a 80 ans», Le Carnet et les Instants…