Dans son roman, L’Amour est une maladie ordinaire, publié aux éditions Le Tripode (mai 2019), François Szabowski nous présente une histoire aux allures de comédie romantique bouleversante et ponctuée de crises existentielles.
Dans son roman, L’Amour est une maladie ordinaire, publié aux éditions Le Tripode (mai 2019), François Szabowski nous présente une histoire aux allures de comédie romantique bouleversante et ponctuée de crises existentielles.
L’Amour est une maladie…
Traduction littéraire pour enfants: Emmanuèle Sandron, Maurice Lomré
La traduction littéraire est un champ vaste et trop peu connu. Si nous avons la chance d’avoir accès à la pensée et à la sensibilité de Mark Twain, Léon Tolstoï, Toni Morrison, Gabriel García Márquez, Karen Blixen, Virginia Woolf, Italo Calvino, Elsa Morante…, c’est grâce à une profession qui reste trop souvent dans l’ombre. Il est essentiel que les œuvres voyagent, et il en est de même en littérature jeunesse. La traduction de livres pour enfants et adolescents présente des spécificités propres à son lectorat. Si, à première vue, l’exercice pourrait paraitre plus facile (phrases plus courtes, syntaxe plus simple…), il n’en est rien. L’écriture destinée à la jeunesse ne demande pas moins de précision et de maitrise. Nous avons rencontré une traductrice et un traducteur belges aux parcours très différents. Emmanuèle Sandron est traductrice de formation, autrice et psychanalyste. Elle traduit de l’anglais, du néerlandais, de l’allemand, du letton et de l’italien. Maurice Lomré est bibliothécaire de formation et autodidacte. Il travaille pour la maison d’édition L’école des loisirs dont il assure la diffusion et la promotion en Belgique. Il traduit du néerlandais et de l’anglais. Tous deux ont en commun le goût de la lecture et la passion des langues. * Chemins vers la traduction. Comment devient-on traductrice, traducteur? Parfois on y arrive plus ou moins par hasard, parfois par détermination. «Au départ, je voulais être autrice, explique Emmanuèle Sandron, qui a d’ailleurs écrit et publié plusieurs livres. J’ai souhaité devenir écrivaine à l’âge d’onze ans, et à seize ans je me suis rendu compte que je n’en vivrais pas. Le moyen que j’entrevoyais pour vivre de ma plume était de devenir traductrice littéraire. Les langues sont apparues très tôt dans ma vie et m’ont tout de suite intéressée. J’ai choisi de suivre un master en traduction à l’école d’interprètes internationaux à Mons, et j’ai commencé par un boulot de traductrice commerciale. J’ai ensuite suivi un troisième cycle en traduction littéraire au CETL [Centre Européen de Traduction Littéraire (Bruxelles), ndlr]. Plus tard, j’y ai d’ailleurs enseigné la traduction littéraire, ainsi qu’à l’Université de Liège. Après mes études, j’ai écrit mon premier roman, et puis tout s’est enchainé: la publication de mon livre et mon premier contrat de traduction avec Luce Wilquin, puis avec Albin Michel.» Par la suite, Emmanuèle Sandron a écrit des articles pour la revue de traduction littéraire TransLittérature, avant d’en devenir la rédactrice en chef pendant six ans. «Dans ce cadre-là, j’ai écrit quantité d’articles, de portraits de traducteurs, dont certains qui écrivent aussi. Ma pratique est toujours nourrie d’une réflexion sur la traduction: comment traduit-on? Comment font les autres?» Maurice Lomré, lui, ne se prédestinait pas à la traduction. «Cela a commencé dès la création de Pastel [l’antenne belge de L’école des loisirs, ndlr] en 1988. Christiane Germain, l’éditrice fondatrice de Pastel, a senti que j’avais envie de travailler sur les textes. Elle m’a très vite proposé de relire les textes qu’elle publiait (créations et traductions). Puis elle m’a confié des traductions. D’abord depuis l’anglais, puis depuis le néerlandais.» N’ayant suivi aucun cursus en traduction, Maurice Lomré a beaucoup étudié les langues par lui-même. «Il y a chez moi des centaines de dictionnaires et de grammaires anglais et néerlandais… des plus pointus aux plus ordinaires. Cela me rassure de les avoir autour de moi. Bien entendu, je regrette de n’avoir jamais vécu dans un pays anglophone ou néerlandophone. Ma connaissance est donc plus livresque et littéraire que quotidienne. En revanche, avant de me lancer dans la traduction, j’avais déjà énormément lu de littérature pour la jeunesse ainsi que de littérature pour adultes. Et je lis toujours beaucoup aujourd’hui. J’ai dans la tête une armoire remplie de tiroirs dans lesquels je puise pour trouver la voix, le ton ou le registre de langue qui, à mes yeux, serviront le mieux le texte que j’envisage de traduire.» * Spécificité de la traduction en littérature jeunesse La traduction exige une double maitrise: celle de la langue d’origine et celle de la langue d’arrivée. La maitrise de cette dernière est essentielle. De plus, alors qu’un auteur développe souvent un style qui lui est propre, le traducteur doit s’adapter à celui du livre qu’il traduit. Austérité ou fantaisie, phrases longues ou courtes, alambiquées ou fluides: il s’agit de maitriser tous les registres. Et ce point est particulièrement pertinent en littérature jeunesse lorsqu’on traduit pour des tranches d’âges différentes. L’exercice n’est pas simple. «Au départ, mon rêve était de traduire du roman pour adultes, explique Emmanuèle Sandron. J’ai commencé par des polars chez Luce Wilquin, et Albin Michel m’a confié la traduction des romans policiers de Pieter Aspe. Cela m’a appris le métier. Puis, à la naissance de mes enfants, j’ai découvert la littérature jeunesse. Je racontais des albums chaque soir à mes enfants et j’ai découvert des trésors d’inventivité. Progressivement, j’ai traduit de plus en plus d’albums et de romans pour jeunes lecteurs. Quand j’ai reçu le prix Scam de la traduction pour mon travail en jeunesse, ça a été un moment de bascule: je me suis spécialisée en livres pour enfants et adolescents. Je les trouve beaucoup plus complexes à traduire que les livres destinés à un lectorat adulte. Peut-être que la littérature jeunesse mobilise une autre case du cerveau. Quand je traduis pour les adultes, c’est mon moi d’adulte et de chercheuse qui travaille. Quand je traduis pour les enfants, c’est mon moi poète. Et là, c’est plutôt une question d’inspiration, de fulgurance… C’est aussi un travail extrêmement précis sur la langue, il s’agit d’opérer des choix lexicaux très fins, de trouver le mot juste, de jouer avec les sonorités. Mon moi psy s’allume aussi et surveille ce qui se passe. Il faut faire attention quand on s’adresse aux enfants, on ne peut pas commettre d’impair. Et puis, il y a mon moi enfant: je suis aussi une petite fille quand je traduis.» Cette proximité avec l’enfance caractérise aussi le rapport de Maurice Lomré à la traduction: «J’aime particulièrement traduire pour les enfants de 10-12 ans. Je pense que la raison en est que je me souviens extrêmement bien de moi à cet âge-là. Nous sommes tous habités par les différents âges que nous avons eus, et le garçon de cet âge-là est particulièrement vivant en moi.» * Un penchant pour la traduction de l’album illustré Tous deux font une comparaison similaire. «Je traduis les albums plus joyeusement que les romans, explique Maurice Lomré. Traduire un roman, c’est un peu comme escalader un col à vélo: c’est souvent difficile. J’aime surtout le moment où j’arrive en haut, pour reprendre la métaphore cycliste. Disons que j’aime le résultat. Les albums, je les traduis avec une espèce de joie. Je compare l’album à la chanson en raison de l’articulation de deux langages: la musique et les mots dans le cas de la chanson, les images et les mots dans le cas de l’album. L’un ne va pas sans l’autre. J’aime ce genre littéraire qui se réinvente sans cesse. Le livre le plus amusant que j’ai traduit est un album anglais, Orange Pear Apple Bear, d’Emily Gravett. Il ne comporte que quatre mots et semblait intraduisible, car l’album combine ces quatre mots en jouant sur les sonorités. Je me suis assis à mon bureau et j’ai décidé que je ne le quitterais pas avant d’avoir trouvé une solution satisfaisante en français. Et j’ai trouvé! Hourra! Ce jour-là, je me suis dit que j’étais peut-être devenu traducteur (rires).» «Ce que je préfère, ce sont les albums, confie également Emmanuèle…
« Vive la rigolade ». La frivolité sexuelle dans les «sixties » et les «seventies»
( Traduit du néerlandais par Marcel Harmignies. Les notes sont du traducteur ) « Ça picolait et ça baisait / l’Europe entière n’était qu’un grand matelas », écrivit dans un poème l’écrivain néerlandais Remco Campert (° 1929) à propos des années d’après-guerre, même si la griserie de cette nouvelle liberté demeura limitée à un petit groupe d’artistes et d’auteurs qui vivaient à la petite semaine dans le lointain Paris. Le reste de l’Europe s’activait au relèvement dans le cadre des valeurs et des normes d’avant-guerre. C’est seulement dans le courant des années 1960 que l’image du matelas associée à la consommation d’alcool commença à sortir de la sphère bohème, pour s’épanouir totalement dans les années 1970. À la base de ce qui est maintenant connu comme «la révolution sexuelle» se trouvent deux éléments: l’argent, autrement dit l’expansion économique, et une contraception fiable (la pilule). Sans ces deux conditions, le concept du matelas n’aurait pas eu l’ombre d’une chance. Beaucoup trop dangereux pour les jeunes filles et les femmes. Née en 1954, j’appartiens moi-même à la fin de la génération du baby-boom, et n’ai jamais connu autre chose que la liberté sexuelle. À dix-sept ans, lorsque je partis étudier et emménageai dans une chambre d’une résidence universitaire, il régnait là une totale liberté. C’était un immeuble qui venait juste de devenir mixte (auparavant ne résidaient là que des garçons) avec un seul WC, un urinoir, une seule douche et une petite cuisine pour seize occupants. Un couple vivait dans une chambre de 3 m sur 3,5 m, des filles se baladaient, qui n’habitaient pas là, mais venaient passer la nuit avec leur petit ami. Rien de tout cela ne me semblait curieux ou déplacé, même si la cohabitation hors mariage et le flirt avec des petits copains ne faisaient certainement pas partie des valeurs inculquées à la maison. Je n’avais moi-même pas franchi le pas durant cette première année d’études, mais je savais que, le moment venu, ce serait en toute liberté. De la révolte étudiante parisienne de mai 1968 on dit parfois que la revendication portait en fait sur l’abolition de la ségrégation sexuelle dans les résidences étudiantes, le libre accès des garçons aux chambres des filles et réciproquement. Évidemment, dans l’ensemble du monde occidental, les étudiants étaient remontés contre les structures de pouvoir autoritaires, ils revendiquaient la participation à tous les niveaux et occupèrent un an plus tard la Maagdenhuis XX à Amsterdam. En Amérique, les contestations émanèrent du civil rights movement et de la fureur suscitée par la guerre du Vietnam, mais, cela mis à part, les étudiants revendiquaient aussi l’abolition de réglementations restrictives relatives à leurs conditions d’hébergement. Une exigence qui fut satisfaite rapidement et sans bruit, car comment continuer à interdire les relations sexuelles à de jeunes adultes qui ont le droit de conduire et de voter, et qui peuvent être mobilisés dans l’armée pour périr à l’autre bout du monde? La mise à disposition de la pilule pour les femmes célibataires (ultérieurement même pour les jeunes filles mineures, sans autorisation parentale) constitua une énorme impulsion pour la libération sexuelle de la femme. Par la simple prise d’une petite pilule quotidienne, une femme pouvait avoir des relations sexuelles, comme les hommes en avaient l’habitude: les avantages, pas les inconvénients. Ce qui, d’ailleurs, ne faisait pas des hommes et des femmes des partenaires équivalents dans le domaine du sexe et des relations. On était encore loin de la modernisation des rapports homme-femme. Je voyais ça dans ma résidence où, chaque jour, l’élément féminin de ce couple en concubinage s’affairait devant ses casseroles, après quoi ils prenaient leur repas ensemble dans leur chambre. Une routine qui m’horrifiait - pas tant le fait de voir la fille à son fourneau, mais le spectacle de ce petit couple étriqué me semblait d’une monotonie étouffante. Comme s’ils reproduisaient la vie de leurs parents! Le féminisme fit son apparition quelques années après la révolution sexuelle. Ce n’est pas une question de hasard si les deux mouvements de libération n’eurent pas lieu en même temps, comme ce fut le cas avec le combat pour les droits civiques des Noirs et la révolte générale de la jeunesse contre les autorités. En plus d’une lutte autonome des femmes pour se dégager des structures patriarcales (discrimination dans l’enseignement et sur le marché du travail), le féminisme était aussi une réaction à cette même révolution sexuelle. La pilule s’était révélée une arme à double tranchant qui certes accordait aux femmes la liberté d’avoir des relations sexuelles quand et avec qui elles voulaient, mais en même temps rendait plus difficile d’éconduire les hommes. La crainte de la grossesse, excuse éprouvée durant des siècles pour parer des avances importunes, ne pouvait soudain plus être invoquée comme argument pour refuser un rapport. Ce n’était plus possible dans le cadre de relations stables, mais pas non plus dans celui des relations amoureuses libres, où toute jeune femme se devait de prendre la pilule, ne serait-ce que par mesure de précaution. Deux tendances du féminisme se dessinèrent dès le début: l’égalitarisme à orientation sociétale, qui tendait à un traitement identique des sexes dans tous les domaines, et le différentialisme qui brandissait le mot d’ordre «ce qui est personnel est politique». Dans l’égalitarisme, les différences biologiques liées au sexe étaient minimisées. Dans le différentialisme qui avait tendance à présenter la femme ou bien comme faible et victime potentielle, ou bien juste comme d’une essence (moralement) supérieure, elles étaient maximisées. Les deux courants de pensée visaient à la libération de la femme et, sans surprise, le sexe était le grand sujet de controverse. La révolution sexuelle, c’était en premier lieu «vive la rigolade». À une allure rapide on se défaisait des entraves sociales et inspirées de la religion. Le sexe pouvait fort bien exister avant et hors mariage sur un mode ludique, il était bien admis qu’avoir une liaison n’était même pas nécessaire, l’homosexualité, la sexualité de groupe, le sadomasochisme et les clubs échangistes avaient leur place - même la pédophilie connut une certaine faveur dans les années 1970. Une piqûre d’idéologie inspirée de la pensée marxiste populaire à l’époque mena à l’expérimentation de communautés dans lesquelles toute propriété privée, y compris les relations personnelles, était bannie. La jalousie et la revendication passaient dans ces cercles pour des inclinations bourgeoises entravant la véritable liberté. Ce furent les féministes du différentialisme qui mirent un coup de frein à la liberté sexuelle sans limites en pointant les différentes situations initiales encore inhérentes aux sexes. «Vive la rigolade», c’était très bien, mais des femmes continuaient à être exploitées dans la pornographie et la prostitution, couraient le risque d’être maltraitées et violées dans et hors le cadre de relations, étaient harcelées, jugées sur leur apparence, confrontées au date rape XX et, si elles disaient «non», elles n’étaient pas prises au sérieux ou traitées de bégueules. Bref, les femmes étaient non seulement reléguées au second plan et victimes de la domination masculine dans la société, mais aussi, précisément, dans leur environnement personnel. La révolution sexuelle servait surtout les appétits masculins démesurés, tandis qu’on méprisait les souhaits des femmes elles-mêmes. Mélancolie La révolution sexuelle est calmée depuis assez longtemps. Le déclin fut amorcé avec l’apparition du virus du sida au milieu des années 1980. Même si les homosexuels et les héroïnomanes…