L’Air des lettres

RÉSUMÉ

Préface de Jacques De DeckerÀ propos du livre (extrait de la Préface)

Jean Tordeur a destiné ces articles à la page littéraire du Soir, journal à la rédaction duquel il fut attaché pendant plus d’un quart de siècle, et dont il transforma profondément, lorsque des responsabilités de chef de service l’y conduisirent, le mode de traitement de la vie…

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Contre l'oubli : Dadelsen

Vingtième anniversaire, ce mois de juin, de la mort, à quarante-sept ans, d'une opération au cerveau, de Jean-Paul de Dadelsen et, réduite à un seul livre : Jonas (Éditions Gallimard), une œuvre quasiment introuvable, presque jamais citée ou commentée à Paris.

Comme si ces poèmes, dont il ne révéla que si tard dans sa brève vie l'existence à ses mais surpris, avaient été voués, dans leur savoureuse liberté, dans leur impertinente gravité hors de toute école et de tout patronage, à n'exister que pour ceux qui auraient la chance de les découvrir.

Dans ce regrettable silence parisien — à qui ce séducteur naturel a-t-il jamais cherché à plaire? — un signe cependant…

Miracle de l'amitié? Hasard de l'édition?

Celui que se battit pour la publication de Jonas et en rassembla les textes, Henri Thomas, le mémorable romancier de La Nuit de Londres, le nouvelliste vertigineux des Tours de Notre-Dame, l'admirable traducteur de Jünger et de tant d'autres, ajoute à son œuvre poétique, elle aussi en marge du courant, un nouveau recueil dont le titre dit bien l'entre-deux de la vie et de la mort dont il se situe : Joueur surpris (Éditions Gallimard), qu'il dédie notamment au souvenir de celui qui fut son ami…

Mémoire qui, à elle seule, rédime l'oubli généralisé d'une des voix les plus originales et les plus nues de la poésie française.

Attachons-nous donc à ce témoignage pour harceler ceux de nos amis qui posséderaient Jonas, empruntons-le-leur!

Il n'est jamais trop tard pour découvrir la poésie de cet Alsacien, produit si typique, jusque dans ses ascendants hambourgeois et slaves, d'une terre médiane, qui fut parachutistes dans les Forces françaises libres, qui signait une correspondance de Londres dans le Combat de Camus et animait là-bas une émission de la B.B.C., l'une et l'autre étincelantes, qui fut, dans le secret de l'Europe naissante, le conseiller de Jean Monnet, le familier de Rougemont.

Découvrons ou relisons l'ample et serein «Bach en automne », l bouleversant monologue de Jonas jeté dans le ventre de la baleine qu'est la vie «en fin de compte superflue mais indispensable», le merveilleux, ironique, débonnaire et désespérée «Oncle Jean», les cinq étapes nostalgiques de «Femmes de la plaine».

Et cette terrible interrogation de «Pâques 57», où Dadelsen appréhende le mal qui va l'emporter.

Alors, nous découvrons, en même temps qu'un poète qui mêle à son gré le journalier et l'épique, un sentiment intense du religieux et une robuste indépendance à son égard, l'émotion dans sa pureté et l'humour dans son jaillissement, brouillant ses pistes à mesure qu'il les révèle, toujours en quête d'un «nouveau travail» sur sa condition d'homme, non pas seulement un écrivain mais celui que tout être qui écrit devrait incarner fût-ce une seule fois dans son œuvre : un compagnon de marche dans l'incompréhensible aventure d'exister. Dadelsen, lui, l'est à tout instant.
Table des matières

Préface

Kanters, le critique
Aux origines de la Chine d'ajourd'hui
Greene et lui-même
Jules Supervielle : la température humaine
Verhaeren lu par Gevers : contre l'oubli
Du neuf… sur le Purgatoire
L'hôte du Cormier et ses invités
Bouleversant Michaux
René Daumal : la soif de l'être
Claudel aux States
Victor Misrahi : l'instant accordé
À la mémoire des «pieds poudreux»
Une cure de Chesterton
Contre l'oubli : Dadelsen
Un Giono inconnu
Christine de Pisan, femme, poète, témoin
L'ironie déchirée de Barnabooth
Stendhal : un espalier dans le Midi…
Brillat-Savarin le délectable
Au plaisir de Paul Morand
Éliade : des fenêtres vers d'autres mondes
Lacarrière : les mythes sont signifiants
Corbière, l'intraitable
Plaisir à Fargue
Roland Mortier : «Vous avez dit originalité?»
Gaston Compère et la parole perdue : un grand poème
Bertin, Mertens : l'homme en défaut
Bosquet : un apprentissage de la liberté
Liliane Wouters ou le droit de «chanter en solo»
Cingria ou la vertu d'étonnement
Morand et Venise : noir sur fond doré
Chère Marceline…
«Boschère l'Admirable»
Taha Hussein, l'aveugle clairvoyant
Grands Nordiques d'hier
Cendrars dans sa vérité
Retz, ce vif-argent
Bosquet : hier, aujourd'hui, après
Moreau : ce que veut dire «incandescence»
Emily Dickinson : le talent de vivre
Duby aux sources du Moyen Âge
Yourcenar : «ce chaud morceau de l'âme»
Torga, témoin de lui-même et du Portugal
Il y eut quelqu'un pour souffler sur le feu…
Madeleine Bourdouxhe, un écrivain neuf
Norge, le luxe de l'âme
Michaux : rien à demi
Les Enfers du Nord
Paul-Jean Toulet rédécouvert enfin?
Lumières nouvelles sur Segalen
Le Bernanos qui nous manquait
Rivière, critique précurseur
Huysmans : «Mon cher Hannon»
Paulhan secret et familier
Marcel Thiry et l'obsession du temps
Le maître livre sur Segalen
Découvrir — enfin — Dadelsen
Un événement : toute la poésie d'Henry Bauchau
Les choses vraiment vues par Hugo
Madame Rimbaud dans son obscure lumière
Ayguesparse : l'exploit du vivant
Pierre-Jean Jouve aurait cent ans
L'ultime message de Yourcenar
Souffrance et mémoire de l'Indien
Barès cesserait-il de s'éloigner?
Catherine Pozzi dévoilée par elle-même
Elskamp heureux et déchirant
Chamfort à découvert
Bosquet-Wouters au vif du sujet
Réda ou les vrais enjeux de la promenade
Enfin une grande biographie de Rousseau!
Saint Augustin contemporain
Philippe Lekeuche poète nouveau
Dans le vertige de Pirandello
Eliot : rien de neuf sans le passé
L'Évangile selon Alexandre
Le bruit d'un temps qui dure encore
La voix inoubliable d'Etty Hillesum
Les confessions salubres de David Scheinert
Umberto Saba : le pain quotidien
Philippe Berthelot : le pouvoir et la poésie
(Re-)découvrir Salvatore Satta
Graham Greene tel qu'en lui-même
Jean Giono du pacifisme au hussard
À PROPOS DE L'AUTEUR
Jean Tordeur

Auteur de L’Air des lettres

Né le 5 septembre 1920 à Schaerbeek, d'un père brabançon, militant de gauche, et d'une mère croyante, de filiation lorraine et galloise, Jean Tordeur éprouve le premier choc spirituel de sa vie lorsqu'il est confié, à l'âge de neuf ans, aux bénédictins de l'abbaye Saint-André, près de Bruges. Cette institution d'enseignement de haute tenue, où séjournèrent en leur temps Claudel, Maritain, Henri Ghéon, dont Daniel Gilles fut l'élève, l'imprègne profondément. La liturgie lui enseignera notamment l'accompagnement du calendrier civil par un calendrier sacré. C'est sans doute au cours de ces années que Tordeur prit la mesure, à la fois, de l'emprise de la nature et de la puissance de l'aspiration métaphysique. Il n'a cessé, en tout cas, de considérer cette période comme la plus formatrice de sa jeunesse. Il doit s'éloigner de ce lieu, initiatique par excellence, à la mort de son père et aborder, brutalement et précocement, les exigences de la vie réelle. Mais la poésie, déjà, lui avait ouvert la voie : non celle d'une échappée des contingences, mais celle d'une intégration dans une vision globale, où le sacré et le profane coexistent et s'étayent l'un l'autre. L'apprentissage, au fil des métiers, sera rude. Il passera par des fonctions administratives aussi multiples que modestes avant de s'orienter, dès 1945, vers la profession qu'il exercera, à quelques exceptions près, quarante ans durant : celle de journaliste. Il travaillera pour plusieurs titres, parfois éphémères, comme Le Quotidien et L'Occident avant de passer trois ans à La Libre Belgique qu'il quitte pour devenir secrétaire de rédaction de La Cité. Mais l'écrivain s'était déjà manifesté avec un premier recueil, Éveil et Maurice Carême aura tenu à préfacer ce coup d'envoi d'un nouveau venu de vingt et un ans. Ce sont ses premiers textes, suivis, en 1947 de Prière de l'attente, qui suscitent l'attention d'autres passionnés de poésie, et, d'abord, celle de Pierre-Louis Flouquet, sur celui qui obtiendra le premier prix des Poètes catholiques de l'après-guerre. Réfléchi, introverti, Tordeur n'est pas un solitaire. Son écriture sera stimulée par la rencontre de quelques aînés, au premier rang desquels il faut citer Norge et Roger Bodart, et par la complicité de compagnons fraternels comme Jean Mogin ou Charles Bertin avec lesquels il partage une conception ambitieuse et altière de la poésie. Ces proximités, à la fois littéraires et affectives, ne l'empêcheront cependant pas d'emprunter un itinéraire singulier, âpre et exigeant, dont quelques recueils seulement témoignent, mais qui tracent une ligne de faîte dont l'acuité et l'originalité se sont confirmées au cours des années. Deux livres, La Corde (1949) puis Le Vif (1955), qui d'ailleurs s'engendrèrent l'un l'autre, lui permettent d'ajuster une prosodie et une lecture du monde où la virtuosité et la vivacité des formes épousent une interrogation de fond, celle des risques que la modernité prend en rompant avec quelques ancrages anciens. C'est le thème du conservateur qui s'esquisse, perçu comme celui qui, sans freiner ou combattre une évolution, y maintient le projet de ce que René Char a appelé le dur désir de durer. Un auteur majeur va d'ailleurs l'aider à mettre au point l'esthétique que suppose un tel enjeu : T.S. Eliot, à qui il a consacré un essai (1946) qui est également une réflexion sur ses propres questionnements. Avec Conservateur des charges (1964) qui lui vaut le Prix triennal de poésie, Tordeur a donné un livre-bilan, où se concentre une pensée, s'affirme un ton et se déploie en cinq temps, qu'on pourrait appeler stations, un chemin de foi et de doute, une quête de l'espérance et de la jouissance, et le constat de la perte inéluctable, mais pleinement assumée. Chaque poème allie densité et fluidité, tout en affrontant la superficialité trompeuse du siècle, et en avouant cet affairement qui court à l'action et s'agite dans l'urgence des choses dont parle Maurice Blanchot. Un livre-repère dont les urgences se sont avérées, depuis sa parution, à maints égards visionnaires. Le journalisme a de plus en plus requis Tordeur, surtout à partir du moment où, en 1956, il est entré à la rédaction du quotidien Le Soir dont il créera, quinze ans plus tard, le service culturel en y ouvrant une page littéraire qui fera date. Dans les pages de ce journal, mais aussi sous forme de préfaces, d'études ou de discours prononcés à l'Académie, où il est élu le 9 mars 1974, à la succession de Roger Bodart, avant d'en devenir le secrétaire perpétuel de 1989 à 1995, il va disséminer une œuvre d'essayiste et de critique scrupuleux et pénétrant, soucieux de scruter au plus près les nervures des textes qu'il commente. Sa qualité d'informateur et de médiateur lui permettra aussi de se consacrer à des causes qui lui importent : le développement culturel de Bruxelles (suscitant dès 1966 la constitution d'un Quartier des arts), ce qui le fera nommer membre de la Commission des monuments et des sites, le statut international de la ville (il agira au sein de l'Union des capitales de la Communauté européenne, animera la revue Présence de Bruxelles. Il consacrera une étude au centre historique des six premières capitales du Marché commun) et mènera campagne en faveur du statut et de la protection des droits de l'artiste. Dans le cadre de son mandat de secrétaire perpétuel (1989-1995), il contribuera à inscrire clairement l'Académie dans la Communauté française de Belgique tout en prenant l'initiative d'un important programme d'éditions et d'utiles rééditions. Essentiellement axée sur la poésie, son œuvre et son action sont tout entières irriguées par elle. Les incursions qu'il fit dans la forme dramatique (les oratorios Lazare, 1949 et Europe qui t'appelles Mémoire, 1959), sa considérable activité critique consacrée, pour une part majeure, à l'analyse de la démarche d'autres poètes, mais aussi ses interventions d'homme d'idées et d'action sont marquées de ce sceau qui peut dès lors le définir sous toutes ses facettes : celui d'un méditatif combattant au nom d'une vision qui relève d'une lecture poétique du monde. Jean Tordeur est mort le 27 janvier 2010

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