La texture des choses : Contre l’indifférenciation

RÉSUMÉ

Depuis une époque immémoriale, nous sommes entourés d’êtres et de choses – des animaux et des plantes, des objets quotidiens, des bâtiments – qui ont une forme reconnaissable, un certain « visage », et c’est une donnée première de notre expérience. Cela contribue à tisser une « texture des choses » que diverses théories contemporaines, de concert avec certaines forces sociales, s’emploient à défaire ou tendent à nier. (« Il ne faut pas s’imaginer que le monde tourne vers nous un visage lisible », a déclaré Foucault). Ainsi s’effectue peu à peu, de diverses manières, une disparition des formes et un retour à une réalité supposée être originairement un flux indifférencié. Pour s’opposer à cette tendance à la fois intellectuelle et sociale, Jacques Dewitte met en évidence, à travers des lectures serrées, un terrain commun pouvant accueillir à la fois une pensée des apparences vivantes et du tact qu’exige toute classification (Adolf Portmann), un renouveau de la typologie en architecture (Léon Krier), une exigence de faire distinctions conceptuelles dans la théorie sociale et politique (Hannah Arendt), sans oublier une théologie des êtres créés selon leur espèce. Un petit livre fondamental, donc, au sens où il pose les fondements rationnels de l’émerveillement devant un « monde beau et très divers ».

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Philosophe, écrivain, traducteur, auteur entre autres du Pouvoir de la langue et la liberté de l’esprit. Essai sur la résistance au langage totalitaire, de L’exception européenne, de Kolakowski. Le clivage de l’humanité, Jacques Dewitte pose dans son dernier essai La texture des choses. Contre l’indifférenciation, les fondements d’une pensée ontologique qui, s’appuyant sur Aristote, réfute les mutations conceptuelles et sociales actuelles promouvant l’indifférencié. Composé de textes parus il y a une vingtaine d’années et de textes récents, l’essai se présente comme une réflexion ambitieuse sur ce que l’auteur appelle « la texture des choses » ou « la bigarrure de l’Être ».…


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Des lucioles et des ruines : Quatre récits pour un éveil écologique

Athane ADRAHANE , Des lucioles et des ruines. Quatre récits pour un éveil écologique , Le Pommier, 2024, 336 p., 22 € / ePub : 14,99 € , ISBN : 9782746526891Il est des livres qui bondissent comme des chiens-loups, qui prennent à bras le corps la question de nos rapports au vivant et lancent un chant en faveur de nouveaux dialogues avec le monde, les humains, la faune, les arbres, les océans. Philosophe, artiste pluridisciplinaire, écrivaine, photographe, chanteuse, Athane Adrahane ouvre un chantier de réflexions, de pratiques éthopoétiques qui, s’appuyant sur les puissances du récit, délivre des cailloux de Petite Poucette afin de ne pas se résigner au monde des ruines qui compose notre présent. Les alliés qu’Athane Adrahane choisit afin de retisser des liens harmonieux avec les formes du vivant, afin d’habiter autrement la Terre, de retisser le monde compose comme un portrait en creux (au-delà du « Je » personnel) de l’autrice. 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Civiliser la modernité ? Whitehead et les ruminations du sens commun

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La parole comme voie spirituelle : Dialogue avec l’Inde

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Lorsque la poésie fait résonner l’homme et le non-humain, elle rejoint la résonance que visait la musique, le dhvani (…) L’affect cette fois n’est plus causé par le monde, mais par quelque chose qui le dépasse.  Les cheminements dans les textes, les œuvres de Plotin, de mystiques, de Maître Eckhard, de Lacan, de Heidegger, de John Cage, la subtilité des rapprochements, des frottements idéels entre Rabindranah Tagore, Bataille, Foucault, Deleuze s’emportent dans les mouvements d’un texte derviche tourneur qui épouse une parole perçue comme une énergie, un souffle, une expérience inscrite dans un rapport au sacré. Point d’ombilic du sacré, la parole, son nouage entre sens et sons, son espace où respire le silence, produisent des effets thérapeutiques, sont dotés d’effets performatifs : la conception de l’Inde rejoint celle de la psychanalyse fondée sur les vertus de la cure par la parole. 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