Auteur de En étoile. Introduction à la philosophie
Éric CLEMENS, En étoile. Introduction à la philosophie, I. Le devenir, Presses universitaires de Louvain, 2023, 208 p., 21 €, ISBN : 9782390613114Éric CLEMENS, En étoile. Introduction à la philosophie, II. La dépense, Presses universitaires de Louvain, 2023, 202 p., 21 €, ISBN : 9782390613398 Éblouissant parcours en étoile, ressaisie d’une introduction à la philosophie en s’éloignant d’une approche qui exposerait les systèmes et les courants de pensée des origines grecques de la philosophie occidentale au paysage contemporain, En étoile. Introduction à la philosophie se construit autour d’un choix préjudiciel : la voie élue est celle d’un retour questionnant sur le « qu’est-ce que penser ? »,…
Mort aux vaches ! Récit et portraits. De Brassens à Soulages
Sous un titre qui affiche sa veine anarchiste, le critique d’art Roger Pierre Turine livre ses mémoires, un parcours de vie rythmé par la passion de la liberté, des arts plastiques, de l’amitié. Évocations de souvenirs, de rencontres décisives en amitié, en amour, dans le domaine de l’art, portraits de connaissances, d’artistes, cartographie d’un passionné qui embrassa le sport avec ferveur avant de se tourner vers la chanson et, ensuite, les beaux-arts, Mort aux vaches ! Récit et portraits. De Brassens à Soulages brûle d’un souffle indompté, d’un pari pour tout ce qui intensifie l’existence. Le catalyseur de sa passion pour les arts plastiques porte un nom, une date, un lieu : en 1956, un des professeurs du collège Saint-Michel, le père de Gruben, preste un cours sur Vincent Van Gogh, sur le tableau Portrait de Camille Roulin , ouvrant au futur critique le chaudron magique des beaux-arts. Nul ne vient de nulle part et nos actes les plus beaux bénéficient d’une assise, que nous ne sommes pas seul à maîtriser. Ce maître à penser m’avait, sans s’en rendre compte, inoculé un louable virus. Un de ceux qui vous aident à grandir. Le pont entre les sports et l’art est jeté. De chroniqueur sportif, il devient critique d’art au Vif , à Arts Antiques Auctions , à La Libre Belgique à laquelle il collabore depuis près de quarante ans. Les coups de foudre, les embrasements, les rencontres se succèdent mais ne se ressemblent pas. L’amitié avec Pierre Seghers se noue à l’engouement pour des compositeurs et interprètes publiés par l’éditeur dans la collection « Poésie et chanson » : Georges Brassens, Léo Ferré, Guy Béart. Grand voyageur, c’est au contact de personnalités, d’événements, d’expositions, de créateurs qui le fascinent que Roger Pierre Turine devient un des critiques d’art majeurs de la scène contemporaine. L’œil de Turine privilégie la perception buissonnière, le prisme de la sensation doublé d’une conceptualisation et d’une érudition en acte. Ni le souci méthodologique, ni le poids d’un savoir rognant les ailes ne guident sa manière unique de s’ouvrir aux univers d’artistes connus ou émergents qu’il nous fait découvrir. De la carte de ses rencontres artistiques, je ne citerai qu’une petite poignée de noms : Pierre Soulages, Pierre Alechinsky, Ernest-Pignon Ernest, Éric Fourez, Marie-Jo Lafontaine, Gabriel Belgeonne, Michel Mouffe, Yves Zurstrassen, Camille De Taeye, Vladimir Yankilevski, Antinio Segui, Ndary Lo, Barthélémy Toguo…Cheminant des galeristes aux artistes, aux musiciens, aux écrivains, des commissaires d’exposition aux directeurs de musée, des critiques d’art aux rencontres décisives, Roger Pierre Turine nous dresse un autoportrait traversé par le récit des ateliers de créateurs à la découverte desquels il nous convie.Un fil rouge politique, esthétique, existentiel traverse la vie de Turine et son œuvre de critique d’art : la passion viscérale pour la liberté, le vivre et le voir sans œillères, la connexion intime avec Georges Brassens. Sur son exemple [Georges Brassens] , mon cri de bravoure, de bravache, devint, l’est resté, mes amis le savent : Mort aux vaches, mort aux lois, vive l’anarchie ! Une façon de penser par-devers soi. Une façon de sourire face au néant. Ce qui vaut pour la philosophie de son existence vaut pour son regard de critique. Se libérer des lois d’un voir codifié par nos grilles de lecture, se tenir à l’écart des diktats du marché de l’art, de l’avalement des arts plastiques dans le champ de la spéculation, développer une logique de la sensation avec l’enthousiasme indéfectible d’un défricheur armé de lucidité et d’humour. Un important cahier iconographique accompagne ce récit d’une vie consacrée à l’art. « L’art — fût-il d’un autre —, partagé, aide à vivre. À survivre. Il est beauté. Il est réflexion. Il est engagement. Il est une voie unique. » …
Le fantastique dans l’oeuvre en prose de Marcel Thiry
À propos du livre Il est toujours périlleux d'aborder l'oeuvre d'un grand écrivain en isolant un des aspects de sa personnalité et une des faces de son talent. À force d'examiner l'arbre à la loupe, l'analyste risque de perdre de vue la forêt qui l'entoure et le justifie. Je ne me dissimule nullement que le sujet de cette étude m'expose ainsi à un double danger : étudier l'oeuvre — et encore uniquement l'oeuvre en prose de fiction — d'un homme que la renommée range d'abord parmi les poètes et, dans cette oeuvre, tenter de mettre en lumière l'élément fantastique de préférence à tout autre, peut apparaître comme un propos qui ne rend pas à l'un de nos plus grands écrivains une justice suffisante. À l'issue de cette étude ces craintes se sont quelque peu effacées. La vérité est que, en prose aussi bien qu'en vers, Marcel Thiry ne cesse pas un instant d'être poète, et que le regard posé sur le monde par le romancier et le nouvelliste a la même acuité, les mêmes qualités d'invention que celui de l'auteur des poèmes. C'est presque simultanément que se sont amorcées, vers les années vingt, les voies multiples qu'allait emprunter l'oeuvre littéraire de M. Thiry pendant plus de cinquante années : la voie de la poésie avec, en 1919, Le Coeur et les Sens mais surtout avec Toi qui pâlis au nom de Vancouver en 1924; la voie très diverse de l'écriture en prose avec, en 1922, un roman intitulé Le Goût du Malheur , un récit autobiographique paru en 1919, Soldats belges à l'armée russe , ou encore, en 1921, un court essai politique, Voir Grand. Quelques idées sur l'alliance française . Cet opuscule relève de cette branche très féconde de son activité littéraire que je n'étudierai pas mais qui témoigne que M. Thiry a participé aux événements de son temps aussi bien sur le plan de l'écriture que sur celui de l'action. On verra que j'ai tenté, aussi fréquemment que je l'ai pu, de situer en concordance les vers et la prose qui, à travers toute l'oeuvre, s'interpellent et se répondent. Le dialogue devient parfois à ce point étroit qu'il tend à l'unisson comme dans les Attouchements des sonnets de Shakespeare où commentaires critiques, traductions, transpositions poétiques participent d'une même rêverie qui prend conscience d'elle-même tantôt en prose, tantôt en vers, ou encore comme dans Marchands qui propose une alternance de poèmes et de nouvelles qui, groupés par deux, sont comme le double signifiant d'un même signifié. Il n'est pas rare de trouver ainsi de véritables doublets qui révèlent une source d'inspiration identique. Outre l'exemple de Marchands , on pourrait encore évoquer la nouvelle Simul qui apparaît comme une certaine occurrence de cette vérité générale et abstraite dont le poème de Vie Poésie qui porte le même titre recèle tous les possibles. Citons aussi le roman Voie-Lactée dont le dénouement rappelle un événement réel qui a aussi inspiré à M. Thiry la Prose des cellules He La. Je n'ai donc eu que l'embarras du choix pour placer en épigraphe à chaque chapitre quelques vers qui exprimaient ou confirmaient ce que l'analyse des oeuvres tentait de dégager. Bien sûr, la forme n'est pas indifférente, et même s'il y a concordance entre les thèmes et identité entre les motifs d'inspiration, il n'y a jamais équivalence : le recours à l'écriture en prose est une nécessité que la chose à dire, à la recherche d'un langage propre, impose pour son accession à l'existence. C'est précisément aux «rapports qui peuvent être décelés entre ces deux aspects» de l'activité littéraire de Marcel Thiry que Robert Vivier a consacré son Introduction aux récits en prose d'un poète qui préface l'édition originale des Nouvelles du Grand Possible . Cette étude d'une dizaine de pages constitue sans doute ce que l'on a écrit de plus fin et de plus éclairant sur les caractères spécifiques de l'oeuvre en prose; elle en arrive à formuler la proposition suivante : «Aussi ne doit-on pas s'étonner que, tout en gardant le vers pour l'examen immédiat et comme privé des émotions, il se soit décidé à en confier l'examen différé et public à la prose, avec tous les développements persuasifs et les détours didactiques dont elle offre la possibilité. Et sa narration accueillera dans la clarté de l'aventure signifiante plus d'un thème et d'une obsession dont son lyrisme s'était sourdement nourri.» Car, sans pour autant adopter la position extrême que défend, par exemple, Tzvetan Todorov dans son Introduction à la littérature fantastique, et qui consiste à affirmer que la poésie ne renvoie pas à un monde extérieur à elle-même, n'est pas représentative du monde sensible (et d'en déduire — j'y reviendrai dans la quatrième partie — que poésie et fantastique sont, pour cette raison, incompatibles), on peut cependant accepter comme relativement sûr que la traduction en termes de réalité ne s'opère pas de la même façon lors de la lecture d'un texte en prose ou d'un poème. C'est donc tout naturellement qu'un écrivain recourra à la prose, dont l'effet de réel est plus assuré, dont le caractère de vraisemblance est plus certain, chaque fois qu'il s'agira pour lui, essentiellement, d'interroger la réalité pour en solliciter les failles, d'analyser la condition humaine pour en déceler les contraintes ou en tester les latitudes. Le développement dans la durée permet l'épanouissement d'une idée, la mise à l'épreuve d'une hypothèse que la poésie aurait tendance à suspendre hors du réel et à cristalliser en objet de langage, pour les porter, en quelque sorte, à un degré supérieur d'existence, celui de la non-contingence. Il n'est sans doute pas sans intérêt de rappeler que, dans un discours académique dont l'objet était de définir la fonction du poème, M. Thiry n'a pas craint de reprendre à son compte, avec ce mélange d'audace et d'ironie envers lui-même qui caractérise nombre de ses communications, cette proposition de G. Benn et de T. S. Eliot pour qui la poésie n'a pas à communiquer et qui ne reconnaissent comme fonction du poème que celle d'être. La projection dans une histoire, l'incarnation par des personnages, la mise en situation dans un décor comme l'utilisation de procédés propres à la narration permettent une mise à distance qui favorise l'analyse et la spéculation et qui appelle en même temps une participation du lecteur. Parallèlement, on peut sans doute comprendre pourquoi presque toute l'oeuvre de fiction est de nature fantastique ou, dans les cas moins flagrants, teintée de fantastique. Car la création d'histoires où l'étrange et l'insolite ont leur part est aussi une manière de manifester ce désir de remettre en cause les structures du réel ou tout au moins de les interroger. Pour l'auteur d' Échec au Temps , la tentation de l'impossible est une constante et l'événement fantastique est le dernier refuge de l'espérance. Son oeuvre se nourrit à la fois de révolte et de nostalgie. Révolte contre l'irréversibilité du temps humain dans Échec au Temps , révolte contre le caractère irréparable de la mort qui sépare ceux qui s'aiment dans Nondum Jam Non , dans Distances , révolte contre l'injustice des choix imposés à l'homme dans Simul , révolte contre les tyrannies médiocres du commerce dans Marchands … Nostalgie du temps passé, du temps perdu, du temps d'avant la faute, nostalgie de tous les possibles non réalisés, de la liberté défendue, de la pureté impossible. Nostalgie complémentaire de la révolte et qui traverse toute l'oeuvre de Marcel Thiry comme un leitmotiv douloureux. Comme l'écrit Robert Vivier, «le thème secret et constant de Thiry, c'est évidemment l'amour anxieux du bonheur de vivre ou plus exactement peut-être le désir, perpétuellement menacé par la lucidité, de trouver du bonheur à vivre». Où trouver, où retrouver un bonheur que la vie interdit sinon dans la grande surprise du hasard qui suspendrait les lois du monde? La première maîtresse de ce hasard est justement la…