Ils sont légion, les « – isme » malmenés par Jean-Marie Klinkenberg dans un essai qui a tout d’une somme et vient couronner un brillant parcours de passeur de savoir et d’agitateur d’idées. « Purisme », « centralisme », « essentialisme », « conservatisme », « communautarisme »… Les voici pointés et dénoncés, les mots / maux qui sclérosent notre rapport à la langue, et plus particulièrement au français. Car si Klinkenberg plaide pour la mise en œuvre globale de politiques linguistiques efficaces, assumées par les États, l’ère culturelle qu’il problématise est bien celle de la francophonie, avec son tropisme hexagonal (sinon parisien), ses périphéries, ses dominions d’Empire et ses reliquats d’Ancien Régime. Engoncée…
La Littérature fantastique belge : Une affaire d’insurgés
Qui d’autre que Jean-Baptiste Baronian pouvait relever le défi d’explorer en moins de soixante pages un domaine entier de nos Lettres, celui du fantastique ? Si le tour d’horizon est exhaustif, il ne vise bien entendu qu’à la synthèse. L’on trouvera peu de détails biographiques ou d’études fouillées au sujet des nombreux auteurs cités dans cette plaquette. Par contre, quelle mise en appétit littéraire, dès qu’un érudit de cette envergure, au lieu de cultiver jalousement le plaisir de ses connaissances, ouvre ainsi les portes de sa bibliothèque intime ! Après une mise en condition qui consiste à exercer l’art de définir (Baronian nuançant les différences entre SF, merveilleux féérique, réalisme magique, etc.) puis la pose d’indispensables balises socio-historiques, le défilé peut commencer, avec des noms peu attendus a priori . Voici convoqués en trio de tête le promeneur de Bruges Rodenbach, le chantre de la Flandre éternelle Verhaeren et le Nobel Maeterlinck. Ces géants-là monopolisent les places d’un podium où l’on voyait plutôt d’emblée se jucher Jean Ray, Thomas Owen et Franz Hellens… C’est que – par bonheur – il n’existe pas de genre littéraire pur, et Baronian fait œuvre utile en rappelant qu’en Belgique les germes du fantastique pointaient déjà dans le terreau des serres chaudes du symbolisme.Le propos circule de manière discursive, au fil d’une mémoire et surtout d’une sensibilité. À cela tient sa justesse : nous n’entendons pas la voix docte d’un mandarin ânonnant ses vérités majeures, mais bien celle d’un amoureux des livres doublé d’un ami des écrivains. Ainsi, nul ne pourra lui faire grief de tendre en appâts, sans les approfondir, des références aussi rares que Le Capitaine Vaisseau fantôme de Van Offel ou L’Allumeur de rêves de Robert Guiette. Ni l’accuser de « name dropping » après avoir lu les pages vibrantes d’émotion qu’il consacre à Gérard Prévot, sa réhabilitation de Jean Ray – que, selon lui, seuls méprisent les cuistres – ou encore ses plongées dans des textes plus contemporains signés Michel Rozenberg ou Christopher Gérard.Conclusion ? « Le fantastique belge est par excellence un fantastique de réaction, de rébellion. Il s’insurge avec force contre le conformisme, il ouvre des brèches, cause des distorsions, laisse entrevoir des zones inconnues. » Dixit le Grand Marabout, depuis 1972.La littérature fantastique belge de langue française n’est pas un phénomène marginal. Elle s’affirme dès la naissance du fait littéraire belge et traverse toute l’histoire littéraire de la Belgique francophone, des années 1880 à nos jours. Elle s’affirme avec ses caractéristiques propres et des auteurs remarquables tels que Franz Hellens, Jean Ray, Michel de Ghelderode, Marcel Thiry, Thomas Owen, Gérard Prévot Jean Muno ou, ces dernières années, Alain Dartevelle ou Bernard Quiriny. Aussi peut-on parler d’une école belge de l’étrange, tout comme on parle du surréalisme…
Essai sur l'identité d'un peuple.La bistouille, l'escavèche mais Robert Campin, Simenon, le site mégalithique de Wéris,…
Dans la collection « Documents pour l’Histoire des Francophonies » qu’il dirige aux éditions Peter Lang, Marc Quaghebeur publie le premier volume d’une somme qui en comptera cinq : Histoire, Forme et Sens en littérature. La Belgique francophone . Si l’auteur y rassemble – encouragé par le regretté Jean Louvet – une série d’articles publiés depuis 1990, il ne s’agit pas d’une simple réédition : sélectionnés avec soin, les textes ont été retravaillés parfois en profondeur, ré-intitulés, ordonnés à la fois selon la chronologie des périodes traitées et selon le point de vue adopté. Ces coups de projecteur mettent en relief avec une grande précision la diversité et la complexité des relations entre histoire générale et œuvres littéraires – car tel est le fil conducteur de l’entreprise. Sans s’attarder aux micro-structures textuelles – de minimis non curat praetor –, l’auteur parcourt à grandes enjambées les siècles et les règnes, le champ international de préférence aux terroirs, les mythes nationaux et les idéologies officielles, le romanesque et le théâtral davantage que la poésie, les récits extravertis plutôt que les introvertis. Ainsi traque-t-il obstinément « l’enracinement et l’articulation des faits littéraires dans et à l’Histoire », ses recherches l’ayant progressivement convaincu qu’il existe un « lien génétique entre l’Histoire et les Formes ». L’entreprise n’est pas sans risque. Expliquer le surgissement et le contenu des œuvres littéraires par les caractéristiques du contexte où elles sont nées mène généralement à une vision déterministe où sont oubliées tant la position spécifiquement subjective de l’écrivain que la structure interne du texte. M. Quaghebeur ne tombe pas dans ce travers positiviste, précisément parce qu’il ne fait pas de l’explication de texte. Ce qui l’intéresse chez De Coster ou Kalisky en passant par Verhaeren, Maeterlinck, Bauchau, Compère, c’est de repérer dans leurs écrits les échos – tantôt manifestes, tantôt plus discrets – de l’histoire passée ou contemporaine de la Belgique, et d’analyser ces échos pour en identifier la logique sous-jacente : idéalisation de personnages ou d’épisodes, mythification, déformation, parodie, dénégation, etc. Il affirme en particulier la propension des écrivains belges à éluder les événements survenus, à se réfugier dans l’imaginaire, le légendaire, le fantastique. Et « si renvoi à l’Histoire il y a dans la fiction belge de langue française, c’est foncièrement à travers les figures de l’échec historique ou de la sortie de l’Histoire »… Avisé, l’auteur ne se contente pas de revisiter le panthéon des chefs-d’œuvres estampillés, lequel donne de toute littérature une image faussée. D’une part, il redécouvre des livres peu connus de Nirep, G. Eekhoud, M. Van Rysselberghe, Rosny ainé, sans négliger les genres paralittéraires comme la bande dessinée ; d’autre part, il examine de nombreux ouvrages, textes et articles non littéraires qui concernent l’histoire et l’identité nationales, offrant ainsi d’utiles points de comparaison ou de référence.Intitulé L’engendrement (1815-1914) , ce Tome 1 montre l’importance de certains mythes dans la construction de l’identité nationale, particulièrement l’« âge d’or » de la période 1450-1560, ou la « culture belge » comme confluent des cultures latine et germanique, tandis que le rapport à la France fait l’objet d’une attention soutenue, notamment en ce qui concerne la question de la langue ou l’histoire des lettres à la Gustave Lanson ; la colonisation du Congo et le déclenchement de la Grande Guerre ne sont pas, eux non plus, sans relation avec la production littéraire, ce que l’auteur démontre de manière convaincante. D’une grande richesse intellectuelle et informative, ces pages sont toutefois d’une lecture ardue. La formulation est souvent abstraite, elliptique, surtout dans les passages généralisants. Plus curieusement, M. Quaghebeur ne définit pas les grands concepts sur lesquels s’appuie son édifice. Ainsi, ce qu’il dénomme l’« Histoire » se réduit le plus souvent, sous sa plume, à l’exercice du pouvoir, de la domination, avec la place prépondérante donnée aux volontés des puissants, ce pour quoi il peut qualifier de « sorties de l’Histoire » l’exil d’Œdipe ou l’abdication de Charles Quint. Quant aux « Formes » littéraires qui seraient déterminées par les vicissitudes historiques, ce vocable ne semble pas désigner le genre ou le style, comme on s’y attendrait, mais plutôt la thématique et l’imaginaire des œuvres… Bref, l’ouvrage est visiblement destiné à un cercle étroit d’universitaires expérimentés. Daniel Laroche L'auteur met en relation la fin de la révolution de 1830, qui voit la naissance d'une Belgique moderne, et l'apparition d'une littérature francophone…