Le recueil de poèmes La gaieté me sidère est une approche sensible de l’expérience de spectatrice du film Jeanne Dielman de Chantal Akerman. Ce livre, qui agit comme une suspension poétique du temps, interroge le statut de l’action au cinéma comme dans la vie. Rassemblés en ce recueil, les poèmes visent à construire, à propos des habitudes de Jeanne Dielman, une sorte de musée de gestes. Ils décrivent un agencement du monde, celui d’une ménagère des années 1970.
Auteur de La gaieté me sidère
La gaieté me sidère, le recueil poétique de Clarisse Michaux s’est écrit depuis un déchirement, depuis une révélation livrée par une séquence du film de Chantal Akerman, Jeanne Dielman, 23, quai du commerce, 1080 Bruxelles. La spectatrice du film entreprend un pèlerinage qui gravite autour du film, du personnage de Jeanne, dans une attention à l’espace de la répétition, à la monotonie des gestes d’une ménagère enfermée dans la routine d’une vie. J. D., ses tâches ménagères et ses clients, la même chose. J. D., son fils, une dévitalisation de l’existence. C’est au cœur de l’expérience de la durée délivrée par Jeanne Dielman, filmée par Chantal Akerman que Clarisse Michaux s’installe, dans un dialogue avec la ménagère-prostituée…
Au sein de son recueil poétique qui repose sur des questionnements existentiels, Clarisse Michaux entreprend un voyage immersif à travers le quotidien de Jeanne Dielman, suivant ses pas tout au long du film. Jeanne Dielman est un film contemplatif qui suit la vie de Jeanne, une femme d'âge moyen, veuve et mère d’un jeune garçon, qui répète constamment les gestes domestiques dans la solitude et le silence. Une émancipation graduelle se révélera à travers le changement de ses gestes. La durée étirée de l’œuvre de Chantal Akerman pousse Clarisse Michaux à se concentrer sur les détails que l’on a tendance à négliger : les espaces, les allées, les vêtements, les objets, le nombre d’étages avant d’arriver à l’appartement, ou encore les gestes…
Jean DOMINIQUE , Le don silencieux suivi de La Littéraire de Blanche Rousseau, Impressions nouvelles,…
Il vient à deux amies l’idée de titiller leur talent d’écrivain bien connu au fil d’une balade en train. Ensemble ou séparément, peu importe. Elles s’appellent Colette Nys-Mazure et Françoise Lison-Leroy. On n’essaiera pas d’identifier l’une ou l’autre à travers ces textes alors qu’elles ont décidé de les partager de façon anonyme. Échange de sang en quelque sorte… Si l’on doutait de la mobilité du projet, les photos d’Iris Van Dorpe, troisième Hennuyère de ce « complot », l’attestent avec des photos dont les cadrages et les flous artistiques évoquent tant le regard échappé par les étranges lucarnes du train que la fuite des paysages et l’allure du convoi. Ce qui en fait des compositions presque abstraites en même temps qu’un heureux raccroc à la réalité du voyage, dans un album raffiné et bien aéré. Bien entendu, il ne s’agit pas ici de tourisme au sens traditionnel, mais d’un tourisme intérieur, d’une descente en soi. Celle que le rythme ferroviaire obsessionnel et l’environnement humain – richement aléatoire – peuvent susciter et encourager. Doubles vues à plus d’un titre… Des thèmes méditatifs sont esquissés. Comme « Habiter l’enfance » ou « Déjouer les pièges »… Sans doute est-ce la vue d’une petite fille qui en rappelle une autre : celle qui disait parler aux oiseaux ou pouvait s’enchanter du cul blanc des lapins qui détalent. Et qui suscite aussi constat et supplique : « La vie lui va. Faites qu’aucune bourrasque ne déchire cet étendard au vent ». Et ce petit garçon aperçu dans la prairie, enfoncé dans sa lecture : « Cow-boy, Petit Prince, Justicier ? »Ainsi va le livre, accrochant au passage l’un ou l’autre regard sur le trajet, sur une gare, sur les autres passagers, éveillant des fantasmes ou des souvenirs de lieux visités, de moments forts, d’émotions vécues, à Ostende avec Permeke en toile de fond, sur la Semois, dans la foule urbaine ou dans n’importe quel ailleurs. Des tranches et des scènes de vie, de la vie des autres ou de soi-même. Et c’est peut-être aussi une vie tout entière qui se condense dans ses lignes de force, dans ses aspirations, dans ses regrets aussi. Avec, toujours en discret filigrane, les pensées et les consignes que l’on s’est dictées ou les constats qui s’imposent au fil du voyage : « Rien à perdre », « Tomber sans bruit », « Traquer l’inconnu » etc. Et toujours et encore les souvenirs de l’enfance qui s’obstinent à remonter à la surface des rêveries. Et le beau souci de l’écriture… « Écrire, se taire autrement »… « Dire quoi ? Ce qui bout et fermente, chante et hurle en chacun. […] Creuser en soi-même/ Te rejoindre là où tu existes au plus juste/ Accroître la vie. »Tout les voyages ont une fin, mais peuvent aussi, une fois la porte franchie se « Poursuivre demain »… « Très loin, les convois déversent leur incroyable marchandise. Petits êtres feuillus, serrés comme en bibliothèque. Ils se détachent et filent vers les maisons./ Là quelqu’un les entrouvre ».Ce qui fait surtout le charme de cet album, de cette invitation au voyage, c’est précisément le désordre, la confiance faite à la désorganisation du mental et du ressenti happés par cette randonnée à la fois bien réelle et toujours transcendée.Avec cette question posée au dos du livre : « Où vont les images quand le convoi s’immobilise ? Elles demeurent dans les yeux des passagers, puis filent en douce vers le cahier d’écriture ». Ghislain COTTON Françoise Lison-Leroy et Colette Nys-Mazure ont pris le train, la route et le large. Scènes…
Ostende, où la mer abandonne, longe et déborde la terre, joint à la géographie les ombres du mythe.…