La fille du Triangle de Franco Meggeto nous donne à lire une fiction, un polar bien mené mais aussi le fourmillement parfois chaotique d’une ville complexe. Les villes de l’avenir seront les villes du passé, pourrait-on dire en pensant à Charleroi, comme à toutes les métropoles post-industrielles. Elles ont été la force d’une région, l’industrie est tombée, la ville est restée un temps à genoux, couturée de toutes parts, invalide parfois, mais jamais KO. Le renouveau est le destin obligé de ces villes traumatiques, sinon, c’est la disparition dans la poussière d’un western d’après la Ruée vers l’Or. La Wallonie a connu du Nord au Sud cette mutation urbanistique, humaine, historique, légendaire même.Dans ces villes…
Angélica, une jeune infirmière en mal de vivre, quitte son amant et son pays pour fuir en Afrique,…
Quel beau projet que celui de la nouvelle collection « Combat » de CotCotCot éditions, qui entend proposer aux jeunes de 10 à 15 ans des romans engagés « dont la devise est combattre maintenant pour construire demain ». Avec Bulldozer , second roman de la collection , Aliénor Debrocq (au texte) nous fait arpenter l’univers de Detroit, la ville du Michigan (USA). Elle nous permet d’en découvrir les enjeux et combats grâce au regard de sa narratrice, jeune fille d’une quinzaine d’années qui, le temps du récit, s’éveille autant à la vie sentimentale qu’à la nécessité d’une action militante et de résistance. Detroit. La ville de l’industrie automobile (Ford, Chrysler, General Motors), qu’on appelle aussi Motor City. Celle qu’on aurait plutôt envie d’appeler Destroy tant elle connait un destin chahuté depuis son lent déclin économique (entamé dans les années 1950 et qui aboutit, après la crise des Subprimes, à ce qu’on déclare la ville en faillite, en 2013).Detroit, protagoniste de ce récit au même titre que la narratrice, dans ce court roman de 63 pages.« Produire ses propres légumes est devenu une arme citoyenne pour lutter contre la crise et se réapproprier le territoire »« On a besoin de nouvelles énergies et de nouvelles idées, de renouer avec nos racines pour bâtir une société nouvelle et éviter d’autres crises »D’emblée le ton est donné. Nancy (meilleure amie de la mère de la narratrice), son mari Bob et leurs enfants ont pris la décision de quitter Detroit. La vie, là-bas, n’est plus possible : le lycée où Nancy travaille est sur le point de fermer vu que le gouvernement ne veut plus financer d’école. Il préfère financer des établissement dans des quartiers où les banques (ré)investissent. Pas surprenant quand on sait que Detroit s’est vidée des deux-tiers de sa population depuis que les usines ne fournissent plus de travail et que seuls les gens qui en ont les moyens fuient pour trouver un salaire ailleurs, laissant les populations précarisées se démerder dans des quartiers où près d’une maison sur cinq est laissée à l’abandon.S’occuper d’un potager collectif (agriculture urbaine, tentative d’autosubsistance) est donc bel et bien un outil de lutte dans ce contexte particulier.L’annonce du départ de Nancy fonctionne comme une sonnette d’alarme pour la famille de la narratrice. Seront-ils les derniers à rester ou seront-ils les prochains à devoir quitter leur vie, leur ville ? Le temps d’une année scolaire, la jeune narratrice traverse différents obstacles liés à l’avenir de Detroit. Autant de prétexte à raconter l’histoire de ceux à qui « on promet que la richesse des uns va ruisseler vers les autres, que les investisseurs vont relever la ville ».Alors qu’en vrai c’est « la privatisation et la spéculation immobilière qui nettoient les quartiers populaires pour faire revenir les Blancs. Et les autres, les invisibles, les oubliés du renouveau ? Tous ceux qui ont perdu leur emploi ? Midtown est en train de devenir le nouveau terrain de jeu des riches. (…) On va tous être chassés d’ici, soit parce que les loyers seront trop chers, soit parce qu’ils décideront de raser nos maisons pour nous chasser sans risquer un procès ».Ce récit porte très bien son nom – Bulldozer – quand l’on sait que le verbe, to bull-doze signifie intimider. Sauf qu’il en faut plus à la narratrice pour se laisser bull-dozer quand le gouvernement envoie ses gros engins pour raser leur maison, en faire une vaste plaine agricole, vidée de gens, de lien social, déconnectée de toute possibilité de vie (urbaine).Le récit est habillement illustré par Evelyne Mary . Les illustrations aux teintes sépia et bleues fonctionnent comme pour adoucir la violence de ce que des millions de gens ont vécu, vivent dans ces zones où la seule manière de rester debout c’est de résister. Ensemble. Ou de fuir, quand on ne vous laisse même plus un toit pour vivre.Celles et ceux qui veulent prolonger le récit seront ravis de trouver le lexique et la postface à la fin de l’ouvrage. Ils définissent et expliquent simplement les quelques mots, termes et concepts mis en œuvre dans ce roman jeunesse engagé. Amélie Dewez En savoir plus Depuis 1950, Detroit a perdu la moitié de sa population. Cette ville, la plus grande de l’État du Michigan, en déclin économique depuis des décennies, a même fini par être déclarée en faillite ! Des quartiers entiers ont ensuite été voués à la démolition et leurs habitants menacés d’expulsion. Une ville nouvelle se dessine à présent qui risque de n’être peuplée que de nantis majoritairement blancs. L’histoire de Detroit a intrigué et passionné Aliénor Debrocq. À tel point qu’elle a décidé d’écrire une fiction qui aurait pour cadre l’ancienne capitale de l’automobile. Cette auteure de romans et de nouvelles qui enseigne la littérature dans nos écoles d’art, est aussi journaliste : le travail d’investigation, elle maîtrise ! Sa narratrice – on ne connaitra pas son prénom – est une jeune adolescente. Sa mère a quitté l’Europe pour venir étudier aux États-Unis, son père, un natif de l’endroit, fut ingénieur dans l’industrie automobile. Elle a une toute petite sœur. Un matin, ses parents reçoivent une lettre d’expulsion. En réaction, une manifestation est organisée avec les voisins, le jour de la fête du travail. Malgré le retentissement que connait cet acte de résistance, un bulldozer fait son apparition quelques mois plus tard. C’est alors qu’une nuit, en grand secret, notre jeune narratrice et son ami Jimmy imaginent une action originale : un acte de vandalisme pas bien méchant qui – s’il ne sauve pas la situation – provoque un énorme rire dans tout le quartier ! À remarquer les linogravures d’Evelyne Mary, « habitées » notamment par le fameux nain rouge, ce lutin annonciateur de catastrophes qui hanterait la ville de Detroit. Quant à la postface documentaire, elle est particulièrement bienvenue et éclairante. (On pourrait en déduire qu’ici la fiction est destinée à des jeunes et la postface à des adultes. Mais, plus satisfaisante serait la suggestion d’une lecture « inter âges » propice à l’échange et à la discussion.) La collection Combat n’en est qu’à son deuxième numéro. Laissons-lui le temps de s’installer à l’aise, sans précipitation. En notant toutefois que l’appel au talent d’auteurs et d’autrices n’ayant jamais ou très rarement travaillé en « Jeunesse » semble être une piste pleine de promesses ! (Maggy Rayet)Bien avant ma naissance, on appelait Détroit “Motor City”. C’était la capitale de l’automobile, du progrès ! Aujourd’hui, des quartiers entiers sont démolis. Les habitants, menacés d’expulsion. Alors, j’ai décidé d’agir… Roman suivi d'une postface sur Détroit, ville en décroissance démographique et économique.…
Le 28 juin 1892, Stéphane Mallarmé s’empare de sa plume la plus leste pour ciseler un compliment à Georges Rodenbach : Votre histoire humaine si savante par instants s’évapore ; et la cité en tant que le fantôme élargi continue, ou reprend conscience aux personnages, cela avec une certitude subtile qui instaure un très pur effet. Si délicieusement absconses que demeurent ces lignes, l’on y aura sans peine identifié les allusions à Bruges-la-Morte . C’est que le poète aura su ramasser les traits les plus saillants de cet incontournable de nos Lettres : l’évanescence de l’atmosphère qui règne à chaque chapitre, la contagieuse spectralité de son décor médiéval immuable, enfin les résonances qu’il ne manque pas d’éveiller dans la sensibilité des lecteurs qui le redécouvrent ou, ô extase, de ceux qui l’ouvrent pour la première fois. Proposer comme le fait aujourd’hui la collection patrimoniale Espace Nord une édition définitive de ce livre culte, « méconnu parce que trop connu » selon l’expression de Paul Gorceix, est une entreprise d’utilité publique. Car, si son auteur était presque devenu parisien d’adoption à force de fréquenter les Mirbeau, Goncourt et autres Villiers de l’Isle-Adam, Bruges-la-Morte n’est pas seulement le plus français de romans belges fin de siècle ; c’est surtout un chef-d’œuvre de la littérature mondiale, où style et fantasme se fécondent mutuellement. En fait, investir l’univers brumeux et appesanti de ce roman constitue moins une expérience littéraire que matérielle. La langue déployée par Rodenbach n’est ni baroquisante ni sauvagement charnelle, mais par la richesse poétique et l’art consommé des correspondances qui y sont en jeu, elle s’éprouve davantage comme une étoffe rare, un parfum capiteux, un cru millésimé, une musique empreinte de mystère – que comme un texte se maintenant à ras de page.Un critique qui « spoilerait » Bruges-la-Morte est juste bon à faire rafraîchir dans le premier canal flamand venu. Il importe de laisser intacts aux profanes l’abord de la destinée tourmentée d’Hugues Viane, ténébreux, veuf, inconsolé ; ses errances dans les rues d’une Venise du Nord où le temps s’est comme figé ; le délire qui le possède et les superpositions troubles qu’opère son esprit entre le visage de la Morte et celui de la Vivante ; le crescendo de sa tragédie qui ne débouche sur aucun dénouement, que du contraire…Mais les connaisseurs, qui en possèdent sans doute quelque exemplaire écorné datant de leurs Romanes, ne manqueront pas d’acquérir aussi cette édition augmentée d’une anthologie de textes évoquant Bruges et, surtout, d’une postface tirée au cordeau. Le spécialiste à solliciter était tout trouvé en la personne de Christian Berg. En trente-cinq pages, voici Bruges-la-Morte et son auteur situés dans leur contexte, les thèmes binaires (la vivante/la morte, l’homme/la ville, la copie/le modèle, etc.) éclairés en leurs réciprocités comme en leurs divergences, et le style enfin, ce style d’orfèvre, soupesé avec délicatesse et posé sous la loupe d’un critique qui préfère regarder les gemmes en joaillier, pas en minéralogiste.L’étude de Berg constitue un maître-étalon en matière d’approche d’un texte aussi singulier, qui reste néanmoins symptomatique de son époque. Plutôt que de s’attarder sur l’épineuse question du genre auquel appartient l’œuvre (et qu’il résout avec justesse en la situant « entre le roman psychologique, la nouvelle fantastique et le poème en prose »), l’exégète préfère se concentrer sur le pivot rhétorique qui en assure la cohésion, à savoir l’analogie. La brillante analyse qu’il livre de l’omniprésente dialectique entre ressemblance et nouveauté s’articule à celle de la chronologie itérative à laquelle obéit l’histoire ainsi qu’à la topographie littéraire où s’ancre le récit. Tout en affiliant Rodenbach aux crépusculaires que furent Barrès, D’Annunzio, Rilke, Zweig ou Mauclair, Berg rappelle en effet à quel point « les villes mortes ou mourantes menacées par l’eau noire, les palais abandonnés environnés de plans d’eau stagnante, les petites cités de province prostrées dans le silence ou l’oubli, les villes tombeau et les “Thulés des Brumes” constituent la géographie privilégiée de l’imaginaire fin de siècle ».Au final, Bruges-la-Morte se révèle un prisme visuel, sonore, olfactif, tactile, sensible – bref la réalisation romanesque des principes synesthésiques chers à Baudelaire – nous permettant de mener une expérience littéraire unique que l’on se plaît à recommencer sans fin… parce qu’on sait qu’elle est irreproductible.Parmi les canaux blêmes de l’ancien port figé dans des eaux sépulcrales, le roman se joue entre des reflets : celui d’une femme que Hugues Viane a passionnément aimée, celui d’une morte dont il croit retrouver l’image chez une vivante. Récit fétichiste, où toute la sémiologie de la ville participe aux cérémonies du deuil. Livre culte pour les spleens d’aujourd’hui.Hugues Viane a choisi d'habiter Bruges, qui s'accordait à la mélancolie de son deuil. Dès lors cette ville au charme délétère s'impose comme la véritable héroïne de ce roman, l'un des chefs-d'oeuvre du symbolisme.Parmi les canaux blêmes de l’ancien port figé dans des eaux sépulcrales, le roman se joue entre des reflets : celui d’une femme que Hugues Viane a passionnément aimée, celui d’une morte dont il croit retrouver l’image chez une vivante. Récit fétichiste, où toute la sémiologie de la ville participe aux cérémonies du deuil. Livre culte pour…