« On n’est pas forcé d’aimer mes livres… » « Mon ambition était de devenir danseuse étoile… »« Je crois dans les anges visibles… » « Pourquoi nierais-je que je suis un être pervers ? » « J’ai voulu mourir à cause de la laideur de la bouche des carpes… » Dans un café ou sous la pluie, chez elle ou chez lui, ou encore… dans les bois : l’auteur d’Hygiène de l’assassin, de Stupeur et tremblements et des Prénoms épicènes a accordé une série d’entretiens à Michel Robert. Au fil de leur conversation – parfois sage ou sincèrement drôle, parfois folle ou même intime – est née une amitié.Amélie Nothomb se livre ici comme rarement, évoquant aussi bien sa vie privée que la création littéraire, l’Europe, la Chine et le Japon, son sens de l’amitié et sa vision de l’amour, son goût de la solitude et des « orgies intellectuelles »… Ainsi se dessinent les thèmes majeurs d’une œuvre en plein devenir.Un document exceptionnel, donnant à voir dans toutes ses dimensions un écrivain aussi déroutant que capital.
Autrice de La bouche des carpes : entretiens avec Michel Robert
Amélie Nothomb a connu un automne foisonnant : son roman annuel – le réussi Les prénoms épicènes –, a été rapidement suivi par un livre d’entretiens signé Michel Robert, La bouche des carpes.
« Signé » est-il d’ailleurs le terme approprié ? Dans sa préface, Jacques De Decker qualifie certes Michel Robert de « maître d’œuvre » du livre, mais tant la couverture que la page de titre présentent Amélie Nothomb comme l’autrice. Un choix des éditions de l’Archipel (le livre n’est pas publié par l’éditeur attitré de la romancière, Albin Michel) qu’explique peut-être cet échange entre l’écrivaine et Michel Robert :
– Vous êtes donc un instrument…
Privé : Phénomène : Portraits d’Amélie Nothomb
Paru aux éditions Gründ sous le titre Phénomène , un beau-livre présente le travail de Marianne Rosenstiehl sur Amélie Nothomb. Quatre-vingts portraits photographiques sont ainsi rassemblés, assortis d’interviews accordées par l’écrivaine à l’émission À voix nue de France Culture. Actes de colloques, livres d’entretiens, monographies, abécédaire, parodies… les livres sur Amélie Nothomb sont désormais presque aussi nombreux que ceux écrits par la pourtant prolifique romancière. Phénomène explore un pan important de la présence publique et médiatique, voire de l’œuvre, de l’écrivaine : les photos. Depuis 2003 et Antéchrista , la couverture de chacun de ses romans est en effet invariablement ornée d’un portrait en pleine page, tandis que ses interviews dans la presse sont toujours agrémentées d’images artistiquement mises en scène. Au fil des années, Amélie Nothomb a collaboré avec de grands noms de la photographie. On pense par exemple à Jean-Baptiste Mondino, Sarah Moon ou encore Pierre et Gilles. Et, donc, Marianne Rosenstiehl . La portraitiste française, qui affectionne le noir et blanc, a travaillé avec plusieurs icônes – Mylène Farmer, Isabelle Huppert et Juliette Binoche notamment. Avec Amélie Nothomb, la collaboration, qui a donné lieu à une exposition à Paris à l’automne 2021, a été de longue durée. Les photos reproduites dans Phénomène s’étalent sur dix-huit années, de 1995 à 2013. Certaines sont très connues (Marianne Rosenstiehl a notamment signé la photo, lèvres rouges façon geisha , choisie pour la couverture de l’édition de poche de Stupeur et tremblements ), d’autres plus confidentielles, ou même inédites.Malgré la longévité du compagnonnage entre l’écrivaine et l’artiste, et bien que toute photographie fasse inévitablement resurgir un instant passé et révolu, le volume édité chez Gründ donne finalement assez peu l’impression du passage du temps. Les photos n’y sont d’ailleurs pas classées par ordre chronologique. Ce qui frappe surtout, c’est le goût de la photographe et de son modèle pour des mises en scène éloignées de l’iconographie traditionnelle de l’écrivain. Qu’elle installe la romancière dans un décor parisien ou japonisant, qu’elle la coiffe d’un chapeau, d’une voilette ou la laisse nu-tête, qu’elle pose son objectif dans un cimetière ou saisisse son modèle juché sur une échelle, Marianne Rosenstiehl donne à voir non l’écrivaine Amélie Nothomb, mais des scènes, des embryons de fiction tantôt poétiques, tantôt incongrus, tantôt drôles, dont la protagoniste a pris les traits d’Amélie Nothomb. Les thématiques desdites scènes font écho, de manière plus ou moins directe, plus ou moins détournée, aux questions qui innervent l’œuvre littéraire de l’écrivaine. La seule série de photos qui fasse référence à l’écriture – un exemplaire des Catilinaires ouvert, Amélie Nothomb un crayon dans la main – est aussi celle où la romancière apparait comme morte, allongée sur un grand bureau à côté de sa création.Cette belle sélection de clichés, luxueusement reproduits, est précédée de la transcription d’un entretien en cinq épisodes accordé à l’émission À voix nue de France Culture en 2019. Séduisant par la qualité des interviews menées par Marie-Laure Delorme, ce choix éditorial étonne par son arbitraire apparent : à aucun moment Amélie Nothomb n’évoque les réalisations de Marianne Rosenstiehl ni même, plus généralement, son rapport à la photographie ou à ses portraits. Entre le texte et l’image, entre Nothomb telle qu’elle se dit et Nothomb telle qu’elle se montre, les échos sont discrets. On les devine ainsi dans l’évocation du rapport de l’écrivaine à son propre corps et à son apparence. Mais aussi, peut-être, dans son refus de distinguer la fiction de l’autobiographie (« mes livres de fiction sont mon autobiographie intérieure »). Dans les quelques mots qu’elle écrit à la fin de l’ouvrage, Marianne Rosenstiehl évoque le travail de la romancière sous sa direction comme une recherche « non pas pour interpréter des personnages mais pour leur donner corps et les faire coïncider avec les multiples facettes de son imaginaire ».Si le « phénomène » choisi comme titre évoque bien sûr l’excentricité généralement attribuée à Amélie Nothomb, il situe aussi les photographies reproduites dans le livre dans un espace entre apparence et réalité. Et l’on se souvient alors de ces mots que Nothomb prêtait à l’un des personnages de Péplum (1996) : Entre ce qui a eu lieu et ce qui n’a pas eu lieu, il n’y a pas plus de différence qu’entre plus zéro et moins zéro. Nausicaa Dewez En savoir plus Les cinq épisodes de l’émission À voix nue diffusés en août 2019 sont toujours disponibles en ligne sur le site de…
Plaisirs Suivi de Messages secrets : entretiens avec Patricia Boyer de Latour
Le doute, la mémoire, l’amour, le double, Venise, la musique, les Primitifs flamands, les visages, les miroirs, la Belgique… autant de portes d’entrée du voyage qui mena Dominique Rolin et Patricia Boyer de Latour à tisser un ensemble d’entretiens réunis sous le titre Plaisirs. Dès 1999, bien après Les marais, Le lit, La maison la forêt , Le corps, Les éclairs, à l’époque où paraissent des œuvres majeures comme La rénovation, Journal amoureux , débute une série d’échanges placés sous le signe de « la promenade dans un jardin » (Rolin), le jardin Rolin dont les fleurs s’appellent le doute, la passion, l’enfance, l’écriture comme « investissement total de l’être ». Une des lames de fond de l’univers existentiel et créateur de Dominique Rolin, sur laquelle elle revient sans relâche, a pour nom le doute. Non pas un doute cartésien qui, s’hyperbolisant, accouche d’une certitude irréfragable, mais un doute énergisant, qui, sans se convertir en conviction ferme, transmue la peur en force mentale. En dépit d’une irréconciliation avec soi, du démon de l’inquiétude, des « mouvements noirs » d’une enfance marquée par un père qui la rejette, l’écrivain et dessinatrice tire de sa dualité une vocation à l’allégresse. « Je vis en permanence sur deux niveaux : il y a l’extrême bonheur de vivre, et l’extrême peur de vivre ». Au fil des entretiens, Dominique Rolin exhume les alluvions de l’œuvre, les nappes phréatiques qui l’impulsent : les territoires de l’enfance à Boitsfort, de la forêt de Soignes, la fibre mystique, les sortilèges du rêve et de la surréalité, la fascination pour Breughel, Vermeer, Rembrandt, les élans oniriques des Primitifs flamands et la passion inouïe, éternelle qui la lie à Philippe Sollers… Lire aussi : Sollers-Rolin : une constellation épistolaire (C.I. n° 201) Art de vivre, l’écriture est inséparable de l’amour, consubstantielle à la présence de l’Amoureux, Jim/Philippe Sollers qui la sauve, qui « l’embryonne » (Sollers), qui lui ouvre leur port d’élection, Venise, et les vertiges de la musique. La découverte du jazz, de la musique classique, la révélation de la lumière australe, des canaux de la Sérénissime surgissent comme des expériences qui transforment la pratique de l’écriture. Abordant la littérature sous l’angle d’un laboratoire de vie, Dominique Rolin écoute, capte les phénomènes qui relancent son souffle de liberté. Transie par le temps, la substance de l’écriture est celle des transformations, des métamorphoses, des renouvellements formels, sensitifs, conceptuels. « Ma rencontre avec Jim [Philippe Sollers] a complètement transformé mon écriture. Écrire et tenir le coup, c’est se laisser secouer sismiquement par tous les événements extérieurs et toutes les évolutions intérieures qui en sont la conséquence. Il faut l’exercice d’un talent cru, le sens du rêve… ». Lire aussi : notre recension des Lettres à Philippe Sollers 1958-1980 Les textes qui composent Messages secrets ont pour origine les entretiens réalisés par Patricia Boyer de Latour entre 2007 et 2009. Celle qui vivra presque un siècle (1913-2012) entre alors dans sa nonante-quatrième année. Méditations sur la sur-vie, sur l’après-vie, sur les songes, conversion à la foi, coexistence proustienne du présent (l’appartement le « Veineux » rue de Verneuil à Paris) et du jadis (la maison d’enfance à Boitsfort), ces textes condensent une métaphysique de la sensation, une phénoménologie des existants. Ils explorent l’écriture comme expérience intérieure proche du sacré, évoquent les amours avant Sollers — Robert Denoël, Bernard Milleret —, les extases artistiques — les Mémoires de Saint-Simon, Breughel l’Ancien —, les amitiés avec Violette Leduc, Raymond Queneau, Roger Nimier ou encore l’attirance pour les escaliers en tant que passages du temps et lieux secrets. « La forêt des mots » que Dominique Rolin planta, de livre en livre, s’offre comme la prolongation de son amour pour les forêts de sa jeunesse. Ces forêts que, pris dans une spirale suicidaire, le XXIème siècle massacre, ces étendues boisées qu’on assassine, provoquant l’effondrement irréversible de la biodiversité, l’auteur de L’infini chez soi, L’enragé (sur Breughel) , Les géraniums les vénère avec la lucidité de qui sait qu’il n’y a monde que dans l’alliance entre les formes du vivant et que la disparition de la richesse des espèces animales et végétales prélude à notre anéantissement. Une ville est l’œuvre des hommes, mais les arbres… Ils donnent de la sève aux immeubles, aux rues et à cet environnement qui sans eux serait coupé de son âme. Nous devrions leur en être éternellement reconnaissants […] J’ai été élevée dans cet amour des forêts et je me souviens très bien de mes premières sensations, de mes premiers rêves et de mes premiers contacts liés à cette nature ombreuse,…