La bouche des carpes : entretiens avec Michel Robert

RÉSUMÉ

« On n’est pas forcé d’aimer mes livres… » « Mon ambition était de devenir danseuse étoile… »« Je crois dans les anges visibles… » « Pourquoi nierais-je que je suis un être pervers ? » « J’ai voulu mourir à cause de la laideur de la bouche des carpes… »   Dans un café ou sous la pluie, chez elle ou chez lui, ou encore… dans les bois : l’auteur d’Hygiène de l’assassin, de Stupeur et tremblements et des Prénoms épicènes a accordé une série d’entretiens à Michel Robert. Au fil de leur conversation – parfois sage ou sincèrement drôle, parfois folle ou même intime – est née une amitié.Amélie Nothomb se livre ici comme rarement, évoquant aussi bien sa vie privée que la création littéraire, l’Europe, la Chine et le Japon, son sens de l’amitié et sa vision de l’amour, son goût de la solitude et des « orgies intellectuelles »… Ainsi se dessinent les thèmes majeurs d’une œuvre en plein devenir.Un document exceptionnel, donnant à voir dans toutes ses dimensions un écrivain aussi déroutant que capital.

À PROPOS DE L'AUTRICE
Amélie Nothomb

Autrice de La bouche des carpes : entretiens avec Michel Robert

Comme on dit communément : faut-il encore présenter Amélie Nothomb ? Romancière plébiscitée par un vaste public qui va du plus jeune âge à ces âges dont Hellens estimaient qu’ils n’étaient grands que de réputation, elle est l’une des plumes de langue française les plus traduites dans le monde. Voilà un quart de siècle qu’elle alimente avec une régularité de métronome une oeuvre dont l’originalité autant que la cohérence sont indéniables. Le plus étrange est qu’elle l’édifie imperturbablement, indifférente aux recettes habituelles, en parfaite  symbiose avec une audience dont la fidélité est à toute épreuve. Il y a plusieurs veines dans la « manière Nothomb » : un fil autobiographique où il est difficile de démêler fiction et réalité ; un fil satirique à la férocité subtilement tempérée ; un fil fantasmatique aussi, qui la situe dans le sillage d’un surréalisme « à la belge » dont elle est l’une des représentantes les plus populaires. On pourrait, évidemment, à son propos,  aligner des chiffres, ceux de ses tirages en langue originale et en traductions, qui sont exorbitants, insister sur sa présence intercontinentale (être née à Kobé la prédestinait bien sûr à un rayonnement sans frontière), admettre qu’elle a parfaitement résolu les défis médiatiques d’aujourd’hui en se créant un personnage aussi aisément reconnaissable qu’un schtroumpf ou un marsupilami. Mais ce serait négliger le noyau dur d’un engagement artistique authentique qui la rend digne de celui auquel elle pourrait succéder, qu’elle a au demeurant connu, qu’elle a d’ailleurs situé dans l’un de ses livres, et avec qui elle partage, sans son expertise bien sûr, une réelle familiarité avec la Chine.
NOS EXPERTS EN PARLENT...
Le Carnet et les Instants

Amélie Nothomb a connu un automne foisonnant : son roman annuel – le réussi Les prénoms épicènes –, a été rapidement suivi par un livre d’entretiens signé Michel Robert, La bouche des carpes.

« Signé » est-il d’ailleurs le terme approprié ? Dans sa préface, Jacques De Decker qualifie certes Michel Robert de « maître d’œuvre » du livre, mais tant la couverture que la page de titre présentent Amélie Nothomb comme l’autrice. Un choix des éditions de l’Archipel (le livre n’est pas publié par l’éditeur attitré de la romancière, Albin Michel) qu’explique peut-être cet échange entre l’écrivaine et Michel Robert :
– Vous êtes donc un instrument…


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Ils admiraient Hitler. Portraits de 12 disciples du dictateur

Douze : le chiffre n’a certainement pas été innocemment arrêté par Arnaud de la Croix, expert ès connaissances ésotériques et symboliques. La galerie d’admirateurs d’Hitler qu’il rassemble a en effet tout de la cohorte de disciples, si dispersée et éclectique soit-elle. Bien sûr, l’entreprise aurait pu être plus ambitieuse, mais la vigueur des portraits et la force d’analyse s’en seraient alors trouvées délayées. Arnaud de la Croix a préféré miser sur une sobriété davantage éclairante quant aux motivations de l’engouement, quand ce n’est de la passion, que déclencha le Führer auprès de personnalités ô combien différentes. 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Le Duc de Windsor et ex-roi d’Angleterre Edouard VIII, lui, les vécut et leur survécut, pourtant il s’estimait en droit de déclarer, dans un entretien privé : «  [Hitler] killed only six millions of them. He didn’t finish the job  ».Pas question de parité dans cet ensemble ; bien que de nombreuses études aient démontré que la barbarie n’avait pas de sexe, il reste clair que la célébrité à l’époque reste l’apanage des mâles. L’exception la plus notable demeure Leni Riefenstahl, dont on connaît la place privilégiée qu’occupent ses longs métrages (grandes messes du Reich, exploits des dieux du stade) au sein de l’usine à propagande que fut le cinéma nazi. Ainsi Mick Jagger avait paraît-il visionné plus de vingt fois Le Triomphe de la Volonté , et Andy Warhol n’était pas indifférent à l’esthétique de « la Riefenstahl », comme la nommait Hitler. 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