Entre 2014-2019, ma recherche poétique a tourné autour de l’émergence des émotions et comment celles-ci créent de l’esprit. Nourrie par les dernières avancées en neurosciences, mon travail d’écriture s’est articulé à partir de « The Flux and the Puddle » (2014), une sculpture de David Altmejd. Il a mené à juin sur avril, un livre qui suit de près la transition horoscopique d’une femme bélier (avril) à une femme gémeaux (juin). La métamorphose est mesurée au jour le jour à l’intérieur du corps par des plongées microscopiques dans le cerveau, le sang, les organes, l’oeil, les jambes et les pieds. La sculpture d’Altmejd co-oriente l’interprétation et la mise-en-scène.
Thématiquement, « juin sur avril » pose des questions sur la destination du corps (de l’esprit/ de l’âme), sur ses possibilités d’extension à travers l’imaginaire (de nombreuses oeuvres d’artistes visuels, d’auteurs et de compositeurs accompagnent l’écriture), sur la non-distinction entre réalité et imaginaire, sur la tentative de devenir aérienne. Le livre offre une vision en même temps très lucide et mystique de notre corporéité, lié par d’infimes relations à l’univers proche et lointain. Formellement, l’écriture propose des poèmes hybrides de versification variée, qui sont autant de propositions performatives dans une langue qui se veut innovatrice.
Autrice de Juin sur avril (extrait), Juni over april (fragment)
Le corps est au cœur de la poésie d’Elke De Rijcke. En quarantaine[1], lacéré ou jouissant, le corps essuie les coups portés par les échouages successifs. Mais il se relève toujours, réapprend les gestes quotidiens même si la réadaptation peut être lente. Ce dernier recueil sous forme d’édition bibliophilique bilingue est un fragment. Bribes d’un travail en mouvement plus large que l’auteur entreprend comme on prendrait le large, vers des contrées inconnues, insoupçonnées. Les termes médicaux, précis qui jalonnent le texte ajoutent au sentiment d’intimité qui se tisse entre le lecteur et la page, peau que l’on caresse et pénètre parfois. Celle de l’amant vaincu ou fuyant, celle morcelée du malade en sursis :
à…
Uzès. La ville du rêve. La ville de l’absence. Un songe emporté par le vent. L’impression d’une…
À soixante-huit ans, Patrick Devaux prend désormais son temps. Surtout celui de la réflexion, se tournant face au passé comme devant un miroir. Il y mire ses souvenirs, y reconnait la nostalgie, y revoit des gens rencontrés et ceux qui ne sont déjà plus là. « Un souvenir est un acquis, ce n’est pas du temps perdu », m’explique-t-il par téléphone. Ainsi, le titre de son recueil, Le temps appris , signifie que ce dernier n’a rien pris sans laisser quelque chose, des bribes, des fragments, des poussières d’étoiles ; leur scintillement. Car fort de ses promenades nocturnes, au petit matin, sevré du silence de Rixensart où il vit, d’un jet continu, l’auteur écrit sa poésie, forme d’écriture « la plus proche de la réflexion ». Il s’y met dès lors d’un coup et « ça fuse, c’est presqu’instantané, comme une photo du passé vécu, alors transformé en acquis » grâce à la pointe d’encre sur le papier de l’aurore ; à l’heure où blanchit la campagne ne puis-je m’empêcher de réciter à part moi. Patrick Devaux remplit donc son carnet à la main avant de le « retravailler dans tous les sens », capable de bouleverser les vers et « même l’ordre des pages » en vue de construire ce qu’il décrit comme une « écriture en chute ascensionnelle, une échelle d’acides aminés, torsadés de mots qu’on peut lire, si on veut, autrement que selon leur présentation ».Effectivement, ses poèmes se dévalent et s’escaladent allègrement, chaque vers comme un échelon très court, très étroit, ramassé entre de larges marges aériennes. La lecture suscite ainsi le rythme et le souffle, oui : la marche réflexive et l’absorbante flânerie, toute mentale car les pas ne comptent plus et le corps connait par cœur le chemin, le circuit, la voie. « Qui peut prendre un sens bouddhique » où toute vie vaut une vie, et qui jamais ne s’enlèvent et s’interchangent. Tels les mots. Qui ne doivent compter ni majuscule, ni ponctuation, juste leur émanation vitale, l’haleine de leur âme avec l’inspiration profonde de l’air sous l’effort du pied. que faire d’un miroir qui t’invite à la danse de mots inconnus ? il garde de toute façon pour lui la tendre grimace des non-dits À la fois lointaine et présente, pendant notre échange, l’enfance de l’auteur lui remonte aux lèvres, lorsqu’il cachait ses bouts de papiers, des phrases écrites sous les couvertures et puis glissées dans les barreaux de son lit pour en garder l’absolu secret. Lointain donc dans le temps mais très présent dans le besoin : celui d’élévation vers le sacre du ciel contre les douleurs du temps, mais pour ce qu’on apprend de lui — l’auteur insiste —, à savoir ce qu’on fait du temps inaccompli en vue de relancer l’action, de retrouver le bonheur, de partager la joie.Autant d’élans que l’on perçoit dans les aquarelles de Catherine Berael et qui ravissent le poète. Il retrouve dans les brumes des montagnes colorées et très liquides de la peintre et poétesse, une mutuelle aspiration, force, persistance, volonté. Et de citer, passé oblige encore, le recueil d’Anne-Marie Wilwerth, Cri voilé de l’enfant-lune , un tournant dans son écriture : « Je ne cessais d’écrire de longues pages, mais avec elle j’ai découvert les formes courtes, très courtes ».Dont acte dans le présent recueil où les mots sont des lucioles s’évanouissant dès les prémisses de la clarté matinale, à l’instar des crépitements d’un feu s’éteignant sous la domination majestueuse de l’astre montant doucement, signalant la fin des flammes autour desquelles une douce tristesse console chacun en attendant l’avènement d’un éternel miracle : le…