Jean-Louis Lippert : aède, athlète, anachorète

À PROPOS DE L'AUTEUR
Éric Brogniet

Auteur de Jean-Louis Lippert : aède, athlète, anachorète

Éric Brogniet est né le 16 août 1956 à Ciney. Après avoir longtemps séjourné dans le Namurois, il s’est désormais installé dans la région de Charleroi d’où provenait son père. Non loin aussi du Bois du Cazier, lieu de mémoire qu’il a abordé dans Tutti Cadaveri (L’Arbre à paroles, 2017), un livre dans lequel le redoutable analyste qu’il est, traite, sans concessions, de la dure réalité de cette catastrophe et de ses laissés-pour-compte. Documentaliste à Liège, puis au Gouvernement provincial de Namur, il travaille ensuite comme conseiller littéraire à la Maison de la Poésie de Namur où il fonde Sources, revue contemporaine majeure (comprenant, entre autres, une collection d’anthologies des poésies européennes). Il sera aussi conseiller d’un ministre des Arts, des Lettres et de l’Audiovisuel et enfin, de 2004 à 2014, directeur de la Maison de la Poésie de Namur. Il est, depuis 1982, l’auteur d’une bonne vingtaine de livres de poésie, d’essais et de très nombreux textes critiques. Femme obscure (Le Pont de l’Epée, 1982) et Terres signalées (Éditions Saint-Germain-des-Prés, 1984) l’installent d’emblée parmi les jeunes poètes de talent. Il reçoit d’ailleurs les prix Hubert Krains et Robert Goffin. Deux années plus tard, Le Feu gouverne (L’Âge d’Homme, 1986) est récompensé par le prix Max-Pol Fouchet, ce qui fait de lui, dès ses trente ans, l’un des meilleurs poètes d’une génération que Liliane Wouters a appelée «la génération expo 58». Jean Orizet, dans sa préface au Feu gouverne, disait, à propos de son écriture qu’elle «consiste bien à transgresser sans cesse le réel pour en faire, non pas un surréel, encore moins un irréel, mais un réel supérieur, cette synthèse entre mythe et réalité, impossible pour la pensée scientifique, mais que l’imaginaire poétique parvient à concevoir». C’est un recueil où, dans un monde éclaté, la place de l’humain est abordée sans détour. Cette attitude critique — face au monde et à ses égarements — sera désormais sienne de livre en livre, ce qui fera dire au chroniqueur Christophe Van Rossom que «devant le progressif désenchantement qui frappe le monde depuis environ un siècle et demi, Brogniet refuse catégoriquement toute forme d’angélisme». En 1987, Usage du rêve (Cahiers Froissart, 1987) se voit décerner le prix Pierre Basuyau et le prix Malpertuis de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique en 1990. Des tableaux de Magritte, De Chirico, Ernst et bien d’autres y sont revisités par le rêve ou le désir. Brogniet, il faut le souligner, a souvent jeté des ponts entre poésie et peinture. On lui doit, dans ce registre, des ouvrages tels que Les Jardins de Monet (L’Arbre à paroles, 1989), Visage de Jeanne Modigliani (Nemapress Éditions, 1990), Nicolas de Staël, le vertige et la lumière (Galiena, 1991), etc. C’est encore sous les auspices de la peinture qu’il fait paraître L’Atelier transfiguré (Le Cherche-Midi, 1993), constitué de quatre parties où apparaissent la figure et le travail des créateurs, Modigliani ou Chagall. Un titre récompensé par le prix Louise Labé en 1994. L’Ombre troue la bouche (L’Arbre à Paroles, 1996) aborde une autre thématique, elle aussi récurrente dans cette oeuvre résolument engagée, à savoir la Shoah et l’univers concentrationnaire, lieu de l’enfer personnel ou collectif. La Nuit foudroyée (Le Geai Bleu, 1997) tient aussi de ce registre-là, où génocide et condition humaine s’entremêlent. Autoportrait au suaire (L’Âge d’Homme, 2001), livre essentiel s’il en est, s’intéresse à l’errance et témoigne de l’engagement du poète, tout comme dans Nos Lèvres sont politiques (Tétras Lyre, 2000). On ne peut oublier ces œuvres remarquables que sont Dans la chambre d’écriture (L’Âge d’Homme, 1997), prix Maurice Carême en 1997, et Ce fragile aujourd’hui (Le Taillis Pré, 2007) où l’homme apparaît confronté à la beauté et à l’expérience du gouffre. Ulysse, errant dans l’ébloui (Le Taillis Pré, 2009) évoque, pour sa part, la figure du «survivant d’un naufrage intérieur» et notre fragilité. Ces dernières années, Éric Brogniet a fait paraître deux livres essentiels : Radical Machines (Le Taillis Pré, 2017) et Bloody Mary (Le Taillis Pré, 2019). Le premier est une sorte de livre «post-apocalyptique» où le poète nous plonge au coeur d’un monde où la machine règne en maître. Quant au second, il s’agit d’un voyage à travers l’Amérique des années soixante et de l’évocation d’une icône, Marilyn Monroe, et de son destin tel «une tragédie grecque». Une approche, non négligeable dans cette œuvre abondante, est celle de l’écriture érotique que Brogniet pratique volontiers, allant jusqu’à dire que «c’est la chair qui fait le verbe» et non l’inverse. Citons, à ce propos, La Tentation de Saint Antoine (Sources, 1996), éloge du désir et de la chair, Rhétorique de Sade (L’Arbre à paroles, 2000), Mémoire aux mains nues (Le Cormier, 2001), Géométrie de la fièvre (Hayez, 2008), À la table de Sade (Le Taillis Pré, 2012) ou ses contributions à Masques, corps, langues (Classiques Garnier, 2017). S’il est par essence poète, Éric Brogniet est aussi essayiste. On lui doit ainsi des publications sur La Poésie arabe moderne : vers un nouvel humanisme? (La Renaissance du livre, 2001), Christian Hubin : le lieu et la formule (Luce Wilquin, 2003), Jean-louis Lippert : approche du narrateur en aède athlète, anachorète (Luce Wilquin, 2003) ou Jacques Crickillon : la littérature en instance d’oubli (Samsa/ARLLFB, 2017). S’appuyant sur un «lyrisme critique» dont parle Jean-Michel Maulpoix dans son essai La Voix d’Orphée, toute l’œuvre d’Éric Brogniet témoigne d’un engagement profond où le poème reste «une tension permanente entre la plénitude et le gouffre» et se pose en questionnement incessant sur notre condition humaine.

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Marcel Lecomte. Les alcôves du surréalisme , Textes de Paul ARON et Philippe DEWOLF , lettres de René MAGRITTE , préface de Michel DRAGUET, Cahier n°22 des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique, Bruxelles, 144 p., 20 € Exposition jusqu’au 18 février aux M.R.B.A.B., rue de la Régence, 3, 1000 Bruxelles. Une exposition et une publication rappellent le souvenir de Marcel Lecomte, acteur discret du surréalisme en Belgique, écrivain, poète et critique d’art qui publia en 1964 Le Carnet et les Instants – un titre qui accompagne depuis sa naissance la revue de la Promotion des lettres belges. La place de Marcel Lecomte (1900-1966) au sein du surréalisme en Belgique et d’autres mouvements d’avant-garde, est l’une des plus particulières qui soient : à dix-huit ans, il fréquente déjà le poète et graveur dadaïste belge Clément Pansaers, auteur du Pan-Pan au Cul du Nu Nègre . Un peu plus tard, par son entremise, Lecomte publie un premier recueil chez Paul Neuhuys à Anvers. Puis se retrouve, avec Paul Nougé et Camille Goemans, l’un des trois signataires des tracts de Correspondance (1924-1925), avant d’en être éjecté sèchement, car trop enclin à faire œuvre littéraire aux yeux de Nougé. Dès 1922, Lecomte a rencontré René Magritte, qui illustre son recueil Applications en 1925, et que Lecomte accompagnera, malgré une période de brouille, dans tout son parcours de peintre et d’éditeur de revues. Préoccupé de taoïsme et de pensée chinoise, de spiritualité et d’occultisme, tout comme des différentes tendances de l’art moderne, l’écrivain (Nougé ne s’était pas trompé) s’est également approché des œuvres de Léon Spilliaert, René Guiette, Henri Michaux, Rachel Baes ou Jane Graverol. Il est encore tout juste là pour repérer le devenir d’un certain Marcel Broodthaers. 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Et l’on pourrait poursuivre, en soulignant qu’il était dès les années 1930 suffisamment proche de Jean Paulhan pour que ce dernier le publie dans la N.R.F. , et préface encore en 1964 son livre de récits Le Carnet et les Instants … qui a donné son nom à la revue et au blog de la Promotion des lettres belges.En dépit d’un titre qui semble plus racoleur que nécessaire ( Les alcôves du surréalisme …), l’exposition consacrée à Marcel Lecomte par les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique réussit à situer assez justement, par le recours à des chapitres groupant œuvres et documents, le parcours tout en réseaux multiples de cet homme aussi méconnu qu’atypique. Figure discrète au sein du surréalisme belge, qu’il ne parvint jamais tout à fait à quitter et dont il évite les polémiques, Lecomte fut souvent remarqué (et moqué) pour son physique ingrat, et pour son verbe d’une lenteur toute cérémonielle. 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