La démarche nonchalante, André Stas approche ; il porte son chapeau, son perfecto et, par-dessus le pull rouge, un foulard constellé de gidouilles. Il vous salue de sa voix rocailleuse, son accent traînant trahissant quelque peu ses origines. Après quelques bières, il est fort probable qu’il marmonnera des blagues dont il rira plus fort que vous, parfois même avant la chute. Je vous parie l’intégrale des solos de guitare de Keith Richards contre toute l’œuvre de Marcel Mariën qu’il se mettra alors à tousser, calmant le graillonnement par une petite cibiche jadis mentholée. La soirée durera, il relatera les soupers chez Tom Gutt, les beuveries avec Jean-Bernard Pouy, les délires avec son ami Godin, il évoquera sa maman, se souviendra de l’époque de Radio Titanic, du Cirque Divers…
Mais si on parlait du Stas écrivain, du Stas grand lecteur, du Stas critique littéraire ?
Et si l’on rappelait qu’en 1972, pour couronner ses études de Philologie romane, il rédigea un mémoire sur les aphorismes d’Achille Chavée, démontrant magistralement le talent du poète louviérois pour écrire des formes brèves dont certaines passèrent à la postérité.
Des aphorismes, André Stas en produit depuis plus de trente ans ; ils cavalent dans son esprit, vagabondent dans sa tête, jouent avec son imagination et il nous les livre, s’il y pense, s’il en a envie, s’il a le temps.
Nous avons voulu ici rendre hommage à l’artiste de la forme concise, au patron qu’il convient de ne jamais tenter de plagier, à l’homme que nous aimons et qui a tant à nous apprendre.
Ce livre est une manière de le remercier pour tout cela…
Auteur de Je pensai donc je fus : Aphorismes complets 1993-2023
« Le temps d’apprendre à vivre, on est mort de fatigue. » « Jadis, je disais ‘Je vais mourir un jour’, maintenant ‘un de ces jours’ ». Et fidèle à lui-même, entêté jusqu’à l’os, c’est ce qu’a fait André Stas, qui a rompu les amarres le 26 avril dernier, ou si l’on préfère, s’est « définitivement occulté » (soit le 7 Palotin 150) pour ceux qui partagent avec lui les préceptes aussi sérieux que dérisoires du Collège de ‘Pataphysique. Avant de prendre le large vers le grand rien et de laisser désemparés tous ses proches et ses ami/es, ce grand manipulateur des images et des mots, collagiste très tenté et praticien graphomaniaque des causes désespérées, eut néanmoins le temps de signer…
Silence, Chavée, tu m’ennuies. 1031 aphorismes rassemblés par Jean-Philippe Querton
Figure incontournable du surréalisme belge (et plus particulièrement du groupe hennuyer), Achille Chavée demeure nimbé d’une aura qui, cinquante ans après sa disparition, rend toujours son cas aussi fascinant et épineux. Ayant physiquement combattu la « bête immonde » durant la guerre d’Espagne puis en tant que résistant entré dans la clandestinité, le brigadier international Chavée traîne cependant quelques dérangeantes casseroles rouges. À commencer par les soupçons d’interrogatoires musclés durant des procès staliniens à l’encontre de militants anarchistes. L’info est catégoriquement relayée dans la notice Wikipedia, mais sérieusement réévaluée dans certain article de Paul Aron sur l’engagement des écrivains belges francophones contre le franquisme… Mais depuis quand juge-t-on de la valeur d’un écrivain, d’un poète sur ses actes militants et ses aveuglements idéologiques ? Et même sur sa biographie, l’homme fût-il, imaginons, avocat porté sur la bibine, joueur de poker impénitent et mauvais perdant de surcroît, individu signalé comme désagréable et méprisant envers son épouse ? C’est bien connu, les artistes, les vrais, ne progressent pas, ils empirent, selon le célèbre adage : « On commence par tuer sa mère et on finit par voler la cathédrale de Chartres. »Au fait, qui a dit cela ? Chavée, justement, l’expert en prononcé de sentences laconiques, dont Jean-Philippe Querton propose un recueil d’aphorismes – presque – exhaustif ; 1031 en tout, c’est élégant et solide comme un nombre premier, et cela contient l’essentiel de « l’enseignement libre » dispensé par un esprit toujours frappeur. Car, grâce à Chavée, on apprendra que « La chaise est toujours assise », « Le pain n’a pas faim », « Une dynastie est une collection de cadavres numérotés » et que « Le bossu se démontre par sa bosse ».Selon les mots de Chavée lui-même, l’aphorisme est un genre d’auto-défense où se crée « un équilibre entre le lyrique et le réel ». La définition du genre est parfaite. Les antiphrases, antiproverbes et antimorales délivrés en rafales dans ce substantiel volume sont extraits des recueils publiés à La Louvière au Daily-Bul ainsi que de l’œuvre complet (au masculin, permettez) publié par les amis de Chavée. Libre à quiconque de les grappiller ou de les lire en enfilade, l’important est d’« apprendre entre les lignes de la page blanche ». Dans la galerie d’évocations qui précède l’ensemble, les beaux mots d’André Miguel rendent l’ambivalente présence de Chavée presque palpable : « Il avait une présence physique extraordinaire. Un regard à la fois tendre et pénétrant avec une certaine dureté par moment et aussi un visage de mage, surtout à la fin de sa vie de mage et de peau-rouge. Il y a avait chez lui quelque chose de diabolique si on veut, mais aussi une grande tendresse… »Chavée, tu déranges. Chavée, tu incommodes. Chavée, tu…