À propos du livre (début du Chapitre 1)
«Est-ce que nos livres, après tout, ne sont pas toujours faits des miettes de notre vie?» En posant la question comme il le fait, Lemonnier reconnaissait l’étroit rapport qui existe entre la propre expérience de l’écrivain et la matière de son oeuvre, les mille liens qui unissent celle-ci à celui-là.
Des quelque soixante-dix volumes qu’il a publiés, aucun mieux qu’Un mâle n’aiderait à montrer cette relation;…
Auteur de Histoire d'un livre : Un mâle de Camille Lemonnier
Petit éloge de David Bowie. Le dandy absolu
Le 10 janvier 2016, quand est tombée la nouvelle du décès de David Bowie, des millions de personnes à travers le monde ont senti qu’elles perdaient un proche. Chacune d’entre elles avait son Bowie : le punk émacié ou le beau gosse stylé, le mâle à l’irrésistible regard vairon ou l’androgyne outrageusement maquillé, le rouquin flamboyant ou le blond aryanisé, le musicien ou l’acteur, la bête de scène ou la star de clip ; il y a les fans qui ne jurent que par Ziggy Stardust et voient advenir la corruption de leur idole avec le star system au mitan des années 70, ceux qui larmoient en entendant à la radio ses succès plus commerciaux sur lesquels ils se sont déhanchés, de Let’s dance à China girl , enfin ceux qui l’ont découvert sur le tard, alors qu’il était déjà un « classique ». Le philosophe Daniel Salvatore Schiffer voit, quant à lui, disparaître avec Bowie l’avatar absolu d’une figure esthétique à laquelle il a consacré de nombreuses et passionnantes recherches : le dandy. L’éloge posthume – petit par la taille, grand par l’expression – qu’il prononce vient clore, en toute logique, une trilogie entamée avec Lord Byron et poursuivie avec Oscar Wilde.Convoquant donc l’auteur du Portrait de Dorian Gray , mais aussi Barbey d’Aurevilly, Baudelaire, Nietzsche, puis tous les spécialistes de la question (Sollers, Onfray, Marie-Christine Natta, etc.), Schiffer situe Bowie dans une « phénoménologie du dandysme » aux manifestations plurielles. Au fil de chapitres qui tiennent autant de l’oraison funèbre vibrante que du Magnificat , l’auteur débusque dans chaque pose (à ne pas confondre avec « posture ») de Bowie la griffe dandy qui la caractérise : la tendance à vouloir transmuter une vie en œuvre d’art ; la multiplication des doubles et des masques ; la fascination envers le « troisième sexe » ; l’hédonisme transgressif ; l’exercice d’une lucidité confinant à l’héroïsme pour combattre la souffrance et s’autoriser à clamer au seuil du néant : « Mort, où est ta victoire ? » ; la sublimation en astre noir, en Blackstar se consumant d’une flamme inverse, pour l’éternité.Cet essai, bien que nourri d’éléments factuels et d’une connaissance imparable de la discographie de Bowie, n’a rien à voir avec ces sarcophages de papier que sont souvent les biographies. Certains s’irriteront du style déployé dans cet In memoriam , qu’ils jugeront emphatique, grandiloquent, d’une tapageuse démesure. Mais parle-t-on d’un dieu à demi-mots ? Schiffer ne s’est pas accaparé en opportuniste le masque mortuaire de son idole : il l’a rehaussé d’un nouveau fard et a précisé les contours des éclairs qui le zèbrent, pour le faire entrer dans la galerie des Dandys majuscules – ces éphémères qui ont conquis…
Ils admiraient Hitler. Portraits de 12 disciples du dictateur
Douze : le chiffre n’a certainement pas été innocemment arrêté par Arnaud de la Croix, expert ès connaissances ésotériques et symboliques. La galerie d’admirateurs d’Hitler qu’il rassemble a en effet tout de la cohorte de disciples, si dispersée et éclectique soit-elle. Bien sûr, l’entreprise aurait pu être plus ambitieuse, mais la vigueur des portraits et la force d’analyse s’en seraient alors trouvées délayées. Arnaud de la Croix a préféré miser sur une sobriété davantage éclairante quant aux motivations de l’engouement, quand ce n’est de la passion, que déclencha le Führer auprès de personnalités ô combien différentes. Ils sont français, étasunien, italien, belge, allemand, anglais, arabe ; nés entre les années 1850 et l’aube du XXe siècle ; aviateur, cinéaste, écrivain, théologien, grand Mufti, philosophe ou encore… dictateur à leur tour ; et sur chacun de ces parcours, qui ne laissait pas nécessairement présager une dérive vers l’allégeance au totalitarisme, se dressa à un moment la silhouette de celui qui incarne le Mal absolu.Bien sûr, un antisémitisme de fond facilite leur adhésion aux thèses nazies et rend pour ainsi dire naturelle leur croyance dans le caractère providentiel d’Hitler pour régler la « Question juive ». Le cas Henry Ford est à cet égard étonnant, dans la mesure où ce sont certainement les quatre volumes de The International Jew , manière de réécriture des Protocoles des sages de Sion qu’il publie entre 1920 et 1922, qui inspireront plusieurs chapitres de Mein Kampf . Un portrait de l’industriel aurait même trôné dans le bureau d’Hitler, thuriféraire de la Ford T, et un lourd soupçon de financement de la NSDAP via des fonds provenant de Detroit subsiste encore aujourd’hui parmi les historiens. Aucun doute par contre quant au rôle joué par la filiale de la Ford Motor Company dans la construction de camions pour la Wehrmacht. Le renvoi de balle est logique : Ford se montrera très élogieux par rapport à la lutte contre le chômage menée en Allemagne de l’époque et se serait bien vu serrer la main à son modèle en politique sociale, au congrès de Nuremberg de 1939, si l’histoire n’en avait décidé autrement…La présence de deux autres Américains dans l’ouvrage révèle que l’aura d’un homme peut s’exercer sur des tempéraments antipodiques, et à des degrés très variables. Il y a d’une part Charles Lindbergh, homme d’action à la vie tumultueuse et meurtrie par la mort tragique de son bébé en 1932, véritable incarnation de l’ American way of life , qui rencontrera Hitler dans le contexte des Olympiades de Berlin en 1936. C’est principalement la menace soviétique qui le poussera à voir en Hitler un rempart à la décadence globale de l’Occident. Ce type de discours perdurera davantage dans les propos de l’aviateur que sous la plume de l’écrivain Lovecraft, dont la haine judéophobe sera un moment en phase avec celle de l’Allemagne de 1933 et lui fera même écrire à l’époque qu’Hitler, tout grotesque et barbare fût-il, était « profondément sincère et patriote ». Une opinion que le créateur du Mythe de Ctulhu , réactionnaire authentique doublé d’un suprémaciste blanc, ne maintint pourtant pas jusqu’au bout d’une existence qui, de toute façon, s’acheva en 1937, bien avant les grandes conflagrations et les horreurs de l’Holocauste. Le Duc de Windsor et ex-roi d’Angleterre Edouard VIII, lui, les vécut et leur survécut, pourtant il s’estimait en droit de déclarer, dans un entretien privé : « [Hitler] killed only six millions of them. He didn’t finish the job ».Pas question de parité dans cet ensemble ; bien que de nombreuses études aient démontré que la barbarie n’avait pas de sexe, il reste clair que la célébrité à l’époque reste l’apanage des mâles. L’exception la plus notable demeure Leni Riefenstahl, dont on connaît la place privilégiée qu’occupent ses longs métrages (grandes messes du Reich, exploits des dieux du stade) au sein de l’usine à propagande que fut le cinéma nazi. Ainsi Mick Jagger avait paraît-il visionné plus de vingt fois Le Triomphe de la Volonté , et Andy Warhol n’était pas indifférent à l’esthétique de « la Riefenstahl », comme la nommait Hitler. Entre eux deux régnait un mystérieux magnétisme, que la réalisatrice expliquait en ces termes à La Revue belge en 1939 : « Vous croyez qu[‘]Hitler est fou, sanguinaire et fanatique. Vous devriez le voir la nuit, à son balcon, admirant le ciel étoilé, parlant de Wagner, sans un mot sur la politique… […] Lorsque que quelque chose l’émeut, il a des larmes dans les yeux, mais l’instant d’après il est méconnaissable dans sa fureur. Il parle sans arrêt, mais ne discute jamais ».Moins que ses talents d’orateur, c’est aussi « la couleur et la tristesse des yeux d’Hitler » qui frappe l’écrivain et journaliste français Robert Brasillach, lorsqu’il l’entrevoit en 1937. Et Léon Degrelle, prétendant avoir reçu à l’oreille de la part de son Dieu vivant l’aveu qu’il aurait voulu ce fier Wallon pour fils, scrute à son tour « ses yeux clairs, si sensibles, à la flamme simple et rayonnante ». Une vision du monde, voilà au fond ce que partagèrent toutes ces individualités avec leur idole, momentanée ou d’une vie ; un regard exalté de mauvais démiurge, ivre de domination et, comble de l’abjection, imperméable…