Histoire de ne pas rire. Le surréalisme en Belgique

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À l’origine, Histoire de ne pas rire est le titre donné en 1956, par Marcel Mariën, qui en est l’éditeur à l’enseigne des Lèvres nues, aux écrits théoriques de Paul Nougé (1895-1967). Au dos de l’ouvrage figure un encart en lettres capitales : « Exégètes, pour y voir clair, rayez le mot surréalisme ». Ce n’était pas la première fois que Nougé prenait ses « distances » avec le mot surréalisme, qu’il avait déjà indiqué plus tôt utiliser simplement « pour les commodités de la conversation ». Il n’en reste pas moins que Nougé, dès l’automne 1924 – et indépendamment de la publication par André Breton du premier Manifeste du Surréalisme – constitue avec Camille Goemans et Marcel…


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Giorgio de Chirico. Aux origines du surréalisme belge : Magritte-Delvaux-Graverol

Giorgio de Chirico (1898-1978) fut l’un – peut-être même le premier – des initiateurs du surréalisme en peinture. En Belgique, la révélation de son œuvre constitua un choc majeur pour René Magritte, qui se plaisait à dire que, grâce à lui, «  [s]es yeux ont vu la pensée pour la première fois  ». Jusqu’au 2 juin 2019, une exposition exceptionnelle se tient au BAM de Mons, qui met en scène le dialogue entretenu par Magritte mais aussi Paul Delvaux et Jean Graverol avec la production du mage italien . Le catalogue issu de cet événement se lit autant qu’il se contemple. De substantielles contributions nous permettent de pénétrer dans cet univers onirique et troublant. Face à une toile de Giorgio de Chirico, toute en apparente immobilité, le spectateur assiste bien à ce que Xavier Roland nomme avec justesse une «  dramaturgie silencieuse  ». Roland revient notamment sur l’importance du cadre citadin chez Chirico qui, dans ses tableaux mais aussi dans un roman méconnu intitulé Monsieur Dudron , ajoute, à la dimension esthétique de son art, un regard engagé sur l’urbanisme. Chirico avait ainsi développé une vision de la ville harmonieuse et sereine, rejetant le spectacle «  agité et mécanisé  » qu’elle offrait aux contemporains. «  Longtemps perçu comme rétrograde, ce discours trouve une forme de résonnance dans les enjeux de nos villes actuelles  » explique encore le directeur du BAM.Laura Neve s’attache quant à elle à dégager l’influence spécifique de l’artiste sur les trois figures majeures du surréalisme belge convoquées ici. Chez Magritte, la présence de Chirico se fera sentir jusque dans la période Renoir des années 1940. André Delvaux «  nordicisera  », en les grisant et les bleutant, les tonalités couleurs chaudes et ocreuses, méditerranéennes, de ses paysages et de ses atmosphères tandis que, chez Graverol, l’influence se marque davantage dans le traitement des objets, incongrument associés, qui font culminer le processus de «  rencontre fort uite » à la base, comme on le sait depuis Lautréamont, du surgissement de toute «  beauté convulsive  ». Lorenzo Canova envisage la période 1925-1929, où l’artiste vit à Paris la phase la plus lyrique de sa création. Jacqueline Munck revisite tout son parcours sous l’angle du rapport à la métaphysique. Enfin, Victoria Noël-Johnson se penche sur les liens privilégiés de Chirico avec l’exceptionnel collectionneur et bibliophile belge que fut René Gaffé.Bien que considéré comme un artiste de grand talent et d’importance, Chirico n’est sans doute pas encore mesuré à sa juste envergure aujourd’hui. L’exposition montoise lui rend sa place de contemporain capital dans le domaine pictural. Qu’importe au fond le temps qu’il aura fallu avant qu’advienne cette reconnaissance. Monsieur Dudron s’en était fait une raison, lui qui avait appris de son maître Arthur Schopenhauer qu’«  un long sommeil est indispensable pour les hommes…

Dépassons l’anti-art. Écrits sur l’art, le cinéma et la littérature

Nous sommes en 1960. Une revue danoise sollicite Christian Dotremont pour retracer l’apport spécifique des artistes danois à l’art expérimental et au mouvement CoBrA. Mais CoBrA s’est dissout en 1951, peu après sa 2e et dernière exposition internationale qui s’est tenue à Liège. Les artistes du groupe, qu’ils soient hollandais, danois, belges, français, et autres, ont continué à tracer leur chemin, n’ignorent plus Paris dont ils s’étaient écartés en 1948, et la capitale française les accueille plutôt mieux. Alors Dotremont, un peu ennuyé, revient aux sources, vingt ans plus tôt : la création en 1941 d’un périodique danois, Helhesten , et d’un groupe réunissant des créateurs, architectes, peintres, dessinateurs, sculpteurs, poètes… dans une spontanéité expressionniste, un intérêt pour le primitivisme et une effervescence interdisciplinaire qui sera l’une des clés à venir de CoBrA. Du pays nordique, un peu plus « provincial », et moins influencé par les grands courants en « isme » de l’avant-garde artistique internationale, Dotremont retient encore sa capacité à résister à une civilisation de la mécanisation, de l’esprit technique (on dirait aujourd’hui : technologique), « tactique et scientifique qui gangrène l’esprit humain » . À la peinture constructiviste ou « abstraite-froide » , aux « constructions pures et parfaites (…) tracées à la règle et au compas » des bâtiments de l’Expo universelle de 1958 à Bruxelles, Dotremont oppose la capacité de l’art nordique à s’ancrer étroitement dans les éléments naturels (la terre, la mer) et à devenir de plus en plus «  un refuge pour la sensibilité immédiate, pour la joie éternelle des ponts, et pour la poésie cosmique de la nature  ». Cette prédominance de la nature et du vivant, si justement réaffirmée avec force de nos jours, demeure une présence constante chez l’artiste des « logoneiges » : un poème de peu de mots, tracé avec un bâton dans la neige de Laponie, donc par essence éphémère, et qu’on peut apparenter à une forme de Land Art. Art et expérimentations Et ce texte, aussi éclairant sur le corpus de pensée et d’écriture du poète-voyageur en 1960 que sur sa relecture, après-coup, de l’histoire de CoBrA et de ses composants, est l’une des découvertes que l’on peut faire dans Dépassons l’anti-art (titre emprunté à un logogramme), un imposant ensemble de textes en prose de Dotremont, réunis et édités par Stéphane Massonet . Les quatrièmes de couverture vendent parfois du vent. Mais ce n’est assurément pas le cas ici, face à cet ouvrage de près de mille pages, dévoilant effectivement « une encyclopédie des artistes expérimentaux de la seconde moitié du XXe siècle » et présentant « comment les échanges avec les peintres nourrissent profondément la réflexion de Dotremont autour de l’écriture et de sa graphie » . Ce travail colossal, mené durant plusieurs années par Stéphane Massonet, rassemble plus de deux cents articles, textes, notes de lectures, préfaces… disséminés dans différents livres, catalogues ou revues, et rédigés par Dotremont, depuis son entrée au sein du groupe surréaliste belge jusqu’aux derniers écrits du créateur des logogrammes, malade et reclus dans sa chambre-atelier de la pension « Pluie de roses » à Tervuren.Le volume s’ouvre tout d’abord sur un texte rédigé en 1958, où Dotremont documente longuement la naissance de CoBrA, après le passage par le surréalisme (Magritte, Nougé, Breton) et l’expérience déçue (et décevante) du Surréalisme-Révolutionnaire. Une première section présente ensuite les textes tournant plus explicitement autour du surréalisme. On peut y lire un Dotremont polémiste, attaquant à bon droit Jacques Van Melkebeke, peintre et journaliste ami de Jacobs et Hergé, qui dans les journaux autorisés par les nazis sous l’Occupation s’en était pris à Picasso – Melkebeke fut à la Libération condamné pour collaboration. Ou un éloge de Cocteau, qui froissa durablement ses amis surréalistes. Et encore un autre de Paul Eluard, laudateur de Staline dans ses Poèmes politiques qui venaient de paraître. S’il raille dans un tract «Les Grands Transparents » de Breton, Dotremont en garde des figures essentielles, Poe, Lautréamont, Baudelaire, Roussel, Picasso, et met en exergue, dans la « Nouvelle NRF », la singularité du langage et du surréalisme de Paul Nougé – dont Mariën en 1956 sortait de l’ombre les œuvres restées jusque-là clandestines. Vers la « cobraïde » La deuxième section, de loin la plus abondante, est placée sous l’égide de CoBrA. Elle est effectivement l’occasion pour Dotremont de rallier à lui, parfois stratégiquement, toute une série d’artistes qui sont passés par le Surréalisme-Révolutionnaire puis CoBrA, ou qui, par une exposition, une publication, ont rejoint à un moment donné ce qu’il nommait « La cobraïde ». Certains y sont évidemment au premier plan en tant que membres à part entière, Jorn, Alechinsky, Appel, Atlan, Jacobsen, Corneille, Constant, Heerup, Ubac, Reinhoud … D’autres sont là au titre de « compagnons de route » et d’affinités électives, tels Armand Permantier, Louis Van Lint, Oscar Dominguez, Maurice Wijckaert ou Marcel Havrenne. On retrouve également tout l’esprit (et l’humour distancié ou potache) de Dotremont, qui par transitions osées et parfois contradictions vivantes, élabore peu à peu sa propre définition d’un « art expérimental ». Sa principale caractéristique pourrait être de ne jamais succomber à un néo-académisme, en ce compris celui de « l’anti-art ». On l’aura saisi, cet ouvrage témoigne de l’impératif désir de vie et d’expériences nouvelles qui anima Dotremont, et constitue une lecture passionnante d’un bout à l’autre. Abordant par bien des angles des situations qui nous restent contemporaines, elle ne devrait pas combler que les seuls spécialistes…