Fastes du théâtre et du tango autour du corps de Dona Pia, décédée de mort brutale. Deux maîtres président au rituel funéraire, l’un élégant et solennel, l’autre pataud et bégayant, tous deux anges philosophiques ou professeurs en sciences de la mort. Leur attelage branlant conduit l’étrange cérémonie. Au gré de celle-ci, la vie de Dona Pia repasse par bribes, par éclats, alors qu’Alfina (sa sœur), Amédéo (son amant), Miro (son fils) et Lala (sa petite-fille) viennent prendre place auprès de sa dépouille mortelle. Les temps s’entremêlent. Les discours font place aux explications, aux règlements de comptes, aux questions métaphysiques. Avec l’arrivée d’Umberto, feu le mari de la défunte, le rite se mue peu à peu en banquet des vivants et des morts. Et l’adieu à Dona Pia prend les allures d’un grand bal drolatique et funèbre où hommes et femmes dansent au-dessus des abîmes.
Auteur de Funeral Tango
« Oléo : À l’enterrement d’une reine, il est prescrit de bander la jambe arrière gauche de son cheval personnel.L’animal n’est donc pas intégré à l’attelage qui tracte le carrosse funéraire mais il marche un peu en retrait, tenu au mors par un très jeune officier.À cause de l’entrave à sa jambe le cheval boite et sa claudication attire tous les regards. »Dans la litanie des crescendos et decrescendos d’un tango joué par deux musiciens, un rituel de mort se déploie autour de Dona Pia, vivante, qui va mourir, qui est morte.Un étrange équipage autour Dona Pia, Oléo le premier maître, Osandro, le second maître, Amadeo, l’amant de Dona Pia, Miro, son fils, Alfina sa…
L’endroit défriché par le fou : Carnets d’une Côte d’Or
L’endroit défriché par le fou : quel titre étrange ! C’est ainsi que le Romains auraient appelé Sclessin, Scloeticinus , où le narrateur a grandi. Quant aux Carnets d’une Côte d’Or , ils font référence à la rue où vécut sa famille. La Belgique est terre de comédiens et de comédiennes. Parmi ces nombreux artistes, Christian Crahay n’est pas le moindre. Il a travaillé aux côtés de Lucas Belvaux, Jean-Pierre et Luc Dardenne, Peter Brook, Isabelle Pousseur, Benno Besson, Kore-Eda Hirokazu, Chantal Akerman, Adrian Brine pour n’en citer que quelques-unꞏeꞏs. Ce que le public ignorait, c’est qu’il avait également un talent de plumes, comme le révèle L’endroit défriché par le fou . Ce livre est l’évocation sensible de la vie du comédien, à peine déguisée, à travers des notes et des esquisses où il revisite notamment Liège et en particulier Sclessin. Comme l’auteur, son narrateur, Victor, est comédien et passe par les lieux qui l’ont formé. Mais il met surtout en scène une incroyable galerie de personnages dont on devine qu’ils ont dû être proches de Christian Crahay. On pense à l’oncle José, fossoyeur surnommé Tati Cimetière, qui s’est constitué une belle cave à vins dans les sépultures. Il y a aussi le père, Fernand, architecte, qui fut nommé citoyen courageux pour s’être jeté dans la Meuse depuis le Pont d’Ougrée afin de sauver un désespéré. Dans l’orbe familial, il y a aussi la grand-mère Fernande, une féministe avant l’heure, qui officia bénévolement comme écrivaine publique, donna des cours de français aux travailleurs étrangers, fonda le magazine L’action parallèle en 1936, imagina dans un manifeste la Journée internationale des devoirs des hommes, entendez à l’égard des femmes. Elle trouva notamment son inspiration auprès de Lucie Dejardin, hiercheuse de fond durant son enfance qui deviendra la première femme députée socialiste à la Chambre en 1929.À travers des évocations intimistes, écrites avec tendresse, c’est donc aussi un regard décalé sur la Belgique que proposent ces textes. C’est ainsi quel’auteur/narrateur se souvient qu’il a été comédien dans le film de Raoul Peck consacré à l’assassinat de Patrice Lumumba. Tout en citant le discours d’Indépendance prononcé le 30 juin 1960 par le tout jeune premier ministre qui mérite d’être lu et relu, Christian Crahay dénonce clairement le rôle joué par les autorités belges dans l’élimination de cet homme élu par la population congolaise.L’ensemble du livre est empreint d’émotions et de nostalgie, à travers des évocations de la cité ardente et notamment de sa gastronomie avec quelques recettes typiques reprises à la fin de l’ouvrage, sans oublier « les lacquemants, pas lacquements ni laquemants, mais lackmants, ou peut-être lakements, enfin comme vous voudrez . » Michel Torrekens Au commencement, il y a Sclessin, Scloeticinus, ou l’endroit défriché par le fou, comme l’appelaient les Romains. Et il y a le père, dont la prospérité et le déclin incarnent le sort de cette banlieue liégeoise, aujourd’hui sinistrée, au passé industriel prestigieux. Revenu sur le tard habiter le quartier de son enfance, Victor, le fils, comédien, remonte le temps, poussé par le besoin de comprendre un homme attachant…